
Paris le samedi 6 mars 2021 - Premiers confinés, premiers vaccinés, premiers libérés ? Les résidents des Ehpad ont sans aucun doute été les premières victimes de la Covid-19. Avant le début de la campagne de vaccination, la Haute Autorité de Santé (HAS) avait rapporté que 44 % des morts de la Covid-19 en France étaient résidents au sein de ces établissements.
Depuis le début de la crise sanitaire, les lieux de vie des personnes dépendantes font l’objet d’une surveillance renforcée avec des mesures portant atteinte aux libertés de déplacement mais aussi au droit à une vie familiale « normale ».
Face à l’émergence des nouveaux variants, le Ministère de la santé a émis les 19 et 24 janvier dernier deux recommandations à destination des Ehpad interdisant de manière générale et absolue à tous les résidents des Ehpad, qu’ils soient vaccinées ou non, d’en sortir.
Mais après le succès de la campagne de vaccination dans les Ehpad (plus de 80 % de couverture vaccinale dans les établissements) cette interdiction reste-t-elle encore aujourd’hui justifiée ? C’est la question posée au Conseil d’Etat à l’occasion d’un référé-liberté initiée par la famille d’une résidente.
La famille estime notamment que les recommandations émises par le Ministère de la Santé portent une atteinte grave « à la liberté d’aller et venir des résidents des EHPAD ayant été vaccinés contre le Covid-19, atteinte qui n’est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée aux exigences de la lutte contre l’épidémie ».
Les recommandations du Ministère de la Santé sont susceptibles de recours
Si la sécurité sanitaire des établissements des Ehpad relève de la responsabilité des établissements qui les accueillent, conformément à l’article L.311-3 du Code de l’action sociale, le Conseil d’Etat relève que les « recommandations » émises par le Ministère de la Santé sont des actes administratifs « susceptibles d’emporter des effets notables sur la liberté d’aller et de venir des résidents de ces établissements ».
Dans le cadre du recours, le Ministère de la Santé fait valoir le fait que, malgré les bons chiffres de la vaccination dans les établissements « l’existence d’études invitant à la prudence quant à l’absence de contagiosité des personnes vaccinées » mais surtout « l’incertitude scientifique sur l’immunité conférée par la vaccination en cours à l’égard des variants du virus » incitait à ne pas relâcher l’étau sur les établissements.
Sur ce point, le Conseil d’Etat souligne que les informations données sur le site du ministère de la santé lui-même précisent que « les vaccins permettent de prévenir lors d’une contamination le développement d’une forme grave de la maladie » et que les cas de nouvelles contaminations sur des personnes vaccinées en France ne concernaient que des personnes n’ayant reçu qu’une seule dose du vaccin.
Par conséquent, le Conseil d’Etat estime que « la prescription d’interdiction de sortie des résidents des Ehpad qui présente un caractère général et absolu ne peut manifestement pas être regardé comme une mesure nécessaire et adaptée et proportionnée à l’objectif de prévention de la diffusion du virus ».
Les recommandations du Ministère de la Santé doivent donc désormais être considérées comme suspendues « en tant qu’elles prescrivent d’interdire les sorties des résidents des EHPAD ».
Un pas vers le passeport vaccinal
Quels enseignements de cette décision ? Pour le Conseil d’Etat, il y a lieu de considérer que « sont désormais compatibles avec la sécurité de l’ensemble des résidents » la sortie des résidents « ayant été vaccinés ». Il serait donc possible pour un directeur d’établissement de définir le régime des sorties des patients en considération du statut vaccinal des sujets (une dose, ou deux) mais aussi du « taux de vaccination des résidents ».
Cette solution est-elle susceptible d’avoir un impact dans le contexte où la campagne de vaccination devrait (enfin !) connaître une accélération dans le reste de la population ? Il est possible d’imaginer qu’un juge administratif considère comme disproportionnée des atteintes portées à la liberté de circulation à l’avenir dès lors qu’elles viseraient sans discrimination les personnes ayant été vaccinées ou non contre la Covid-19. Une solution qui renforce les arguments juridiques en faveur d’un passeport vaccinal.
Charles Haroche