Ecoles et élections : la vulnérabilité des piliers de la République face à l’épidémie
Paris, le jeudi 25 mars 2021 – L’état d’inquiétude sur
l’évolution de l’épidémie de Covid est tel que le chiffre ne
pouvait que fonctionner comme un point d’orgue. Hier, Santé
publique France déclarait 65 373 cas de contaminations par le
Sars-Cov-2. Cependant, immédiatement, l’agence mettait en garde,
signalant que cette donnée correspondait à des rattrapages liés à
des problèmes techniques successifs et ne devrait donc pas être «
interprétée comme une augmentation exponentielle du nombre de
cas quotidiens bien qu’une tendance générale à la hausse soit
néanmoins constatée ». Ces réserves ont cependant eu
probablement moins d’impact que l’effet produit par l’ampleur de ce
chiffre.
Vers un tri des malades en réanimation ?
Il faut dire qu’il s’ancre dans un contexte de préoccupations
croissantes des équipes de réanimation, notamment en Ile-de-France
(tandis que de manière globale en France le taux d’occupation des
lits de réanimation par des patients atteints de Covid atteint
désormais 90,2 %). « Nous serons obligés, rapidement et si rien
n'est fait, de trier les malades, ce que nous n'avons pas fait au
printemps dernier » a ainsi averti le professeur Karine Lacombe
(infectiologie, hôpital Saint-Antoine).
Regroupements de plus de six personnes verbalisés
Face à cette situation dégradée, le gouvernement donne comme
toujours des signes ambivalents. Des gages d’une action rapide
veulent être donnés, avec hier soir la diffusion par le ministère
de l’Intérieur d’une circulaire invitant les préfets à verbaliser
tout regroupement de plus de six personnes sur la voie publique,
dans les seize départements faisant l’objet de mesures de freinage
renforcées. Parallèlement, il a été confirmé que trois départements
supplémentaires allaient être l’objet de dispositions
supplémentaires : il s’agit du Rhône (dont les taux d’incidence
atteint 383/100 000 contre une moyenne nationale de 313/100 000),
la Nièvre (329) et l’Aube (445).
Gestion explosive dans les établissements
scolaires
Mais au-delà de ces dispositifs dont l’efficacité est très
discutée, beaucoup attendent que le gouvernement repense la
question de la fermeture des écoles où l’épidémie entraîne des
perturbations de plus en plus importantes. Le nombre d’écoles et de
classes fermées est ainsi passé respectivement de 30 et 833 à 80 et
2018 entre le 12 et le 19 mars (les chiffres de cette semaine
seront connus demain). Dans certains départements, la gestion de la
multiplication des cas entraîne inquiétudes et désorganisation. «
Contrairement à la situation de septembre dernier (…), toutes
nos brigades de professeurs remplaçants sont désormais sur le pont.
C'est aussi le cas pour les personnels municipaux ou les
surveillants », décrit par exemple dans Le Parisien
Céline de Kerpel, représentante de la FCPE pour toutes les écoles
primaires de Chelles. Les témoignages concordent pour observer que
l’épidémie en milieu scolaire est incomparable avec celle de cet
automne : « Il y a des cas dans toutes les écoles. C'est une
réalité statistique que je mesure sur le terrain, à l'hôpital
depuis trois semaines, d'après le nombre de cas chez les gens
proches, les enfants et les Atsem. C'est une situation qu'on n'a
connue ni pendant le premier confinement, ni pendant le
deuxième » commente ainsi le maire de Provins, Olivier Lavenka
(LR). L’effet du variant britannique et plus généralement de la
circulation très active des virus sont invoqués pour expliquer cet
emballement, qui ne semble cependant pas heureusement associé à une
proportion plus importante de cas graves chez les plus
jeunes.
L’ambivalence, c’est notre marque de fabrique
Ce tableau contribue cependant à une multiplication des appels
à des mesures plus strictes, inspirées par le rôle que ne peut
manquer de jouer le brassage de 15 millions de personnes chaque
jour dans les structures éducatives et plus encore dans celles où
sont accueillis des adolescents et des jeunes adultes
(indépendamment du risque faible de formes graves chez les écoliers
et du fait que la transmission par les enfants avant une dizaine
d’années pourrait être plus restreinte que celle par des
adolescents et des adultes). La plus médiatisée a été celle de la
présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse suggérant
des vacances de printemps anticipées dans la région.
Réagissant à cette proposition, le porte-parole du
gouvernement, Gabriel Attal l’a considérée avec respect mais en
rappelant néanmoins encore une fois que la fermeture des écoles
devait être « l’ultime recours ». Pourtant, moins de
vingt-quatre heures plus tôt, dans les colonnes du journal
champenois l’Union, il admettait pour la première fois « Nous
n’excluons pas que les écoles doivent refermer ». Son
revirement est-il la conséquence d’un rappel à l’ordre du Premier
ministre, Jean Castex qui aurait lancé à des députés LREM « Les
écoles ouvertes, c’est notre marque de fabrique. C’est ce que nous
fermerons en dernier. Je vous invite à le revendiquer ! » ? Dès
lors, en tout cas, difficile de savoir quelles seront les mesures
supplémentaires qui pourraient être annoncées ce soir par le
Premier ministre et le ministre de la Santé. L’idée d’introduire la
règle de la demi-jauge également dans les collèges, comme le
préconisent plusieurs syndicats d’enseignants, sera-t-elle retenue
?
On vote partout… sauf en France ?
Ce qui est certain c’est que Jean Castex et Olivier Véran ne
donneront pas ce soir le verdict concernant le maintien ou non des
élections départementales et régionales en juin. L’avis du Conseil
scientifique sur le sujet est en effet attendu dimanche. Cependant,
les rumeurs d’un nouveau report sont de plus en plus insistantes
alors que les élections législatives partielles prévues les 4 et 11
avril à Paris et dans le Pas-de-Calais sont repoussées. Difficultés
d’organiser une campagne sereine et complète dans les conditions
actuelles et crainte concernant le taux de participation font
partie des arguments avancés pour soutenir un tel report.
Cependant, parallèlement, beaucoup font remarquer que malgré
l’épidémie des scrutins importants se sont tenus (ou vont se tenir)
dans un grand nombre de pays dans le monde ces derniers mois :
Etats-Unis, Catalogne, Pays-Bas, Portugal, Allemagne… Face à cette
énumération, difficile de comprendre la raison qui ferait de la
France une exception. On peut par ailleurs observer que si
l’ouverture des écoles implique inévitablement la circulation des
virus (comme l’a reconnu Gabriel Attal lui-même), la démonstration
est moins flagrante pour des élections où les contacts (le jour J
et à condition d’éviter les embrassades de la victoire !) sont bien
plus restreints. Il est en outre également possible de regretter
une fois encore un défaut d’anticipation de la France qui n’a
peut-être pas pris les mesures adaptées pour faciliter le bon
déroulé d’un scrutin en temps épidémique (organisation du vote
électronique par exemple ?).
Inévitablement en tout cas, les inquiétudes concernant les
conséquences sur la vie démocratique de notre pays ne peuvent
qu’émerger (d’autant qu’un report à l’automne aurait un impact
certain sur ces élections locales qui seraient très probablement
parasitées par le lancement de la campagne présidentielle). Ces
préoccupations sont d’autant plus fortes que la confiscation de la
décision par le plus haut sommet de l’exécutif suscite une
exaspération de plus en plus forte. Hier, à l’occasion d’un débat
qui était organisé à l’Assemblée et qui a été boudé par un grand
nombre de députés, l’élu communiste (PCF) de Seine-Maritime,
Sébastien Jumel, a ainsi donné son sentiment sur cette rencontre
manquée : « Peut-être que le caractère inopérant de ce débat est
lié au fait qu’un conseil de défense s’est tenu il y a quelques
minutes et que nous ne savons pas ce qui s’y est dit, et que l’on
réunit l’Assemblée aujourd’hui pour parler de la crise sanitaire
alors que les décisions ont été annoncées par le président de la
République il y a deux jours. »
Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.