Défaut de réponse humorale à l’infection par le SARS-CoV-2 pour les patients atteints d’hémopathie maligne

Les patients porteurs d'une hémopathie maligne, lorsqu'ils sont atteints par la Covid-19 présentent souvent une forme plus sévère de la maladie, avec hospitalisation plus fréquente et un taux de mortalité plus élevé bien que ce dernier point au fil du temps ait pu être controversé (1).

Ces données ont été obtenues par comparaison avec une population sans hémopathie ni cancer et ont même été retrouvées par comparaison aux données observées chez des patients porteurs de tumeurs solides. L'étude rapportée ici porte sur 513 patients atteints de Covid-19 dont 10 présentaient une hémopathie maligne. Elle confirme chez ces derniers patients un taux de mortalité plus élevé et met en évidence pour la première fois une altération de la réponse immune qui peut  aggraver le pronostic de l'infection.

La lutte contre l'infection virale nécessite une réponse immune adaptée à la fois humorale et cellulaire : or celle-ci peut être compromise au cours des hémopathies malignes du fait de la lymphopénie et de la dysmyélopoïèse inhérentes à ces affections et d'autre part consécutivement à l'utilisation de chimiothérapies et de traitements immunosuppresseurs. Au demeurant, la question d'un rôle favorable de certains de ces traitements sur l'évolution de la Covid-19 s'est posée du fait en particulier de la diminution potentielle de l'intensité de ''l'orage cytokinique'' qu'ils peuvent induire. Il a donc semblé nécessaire aux auteurs de cet article d'approfondir la connaissance du statut immunologique de ces patients afin de mieux guider leur prise en charge.

Dix patients atteints d’hémopathie maligne ou pré-maligne

De mars à mai 2020 correspondant à la première vague de la pandémie, l'étude a inclus 513 patients atteints de Covid-19 dont 10 étaient porteurs d'hémopathie maligne. Chez ces derniers patients, par rapport aux patients sans hémopathie, le taux d'hospitalisation était plus élevé (80 % vs 77 %), de même que le taux de transfert vers les services de réanimation (50 % vs 5 % : p < 0,01), de même enfin que le taux des décès (30 % vs 4 % : p < 0,01). Ces résultats sont en accord avec ceux rapportés précédemment dans la littérature (1). Parmi ces patients, 2 avaient une gammapathie monoclonale de signification indéterminée (MGUS), 8 présentaient une lymphocytose monoclonale (MBL) ou une leucémie lymphocytaire chronique (LLC), 3 une dysmyélopoïèse (MDS) ou une leucémie aiguë myéloblastique (LAM), et 3 un lymphome B soit folliculaire (FL) soit diffus à grandes cellules (DLBCL).

Dès lors, une étude des différentes sous-populations des cellules impliquées dans la réponse immune a pu être réalisée de façon quasi-exhaustive et sans biais grâce à la cytométrie en flux multidimensionnelle. Ont été ainsi quantifiés 17 types cellulaires (dont 5 appartenant aux sous-populations myéloïdes et 12 aux sous-populations lymphoïdes) au niveau de 680 prélèvements du sang périphérique effectués chez les 513 sujets de l'étude à la phase initiale de l’infection et chez 167 d'entre eux durant l'évolution. Par comparaison avec les patients sans hémopathie, l'on notait chez les patients atteints d'hémopathie maligne une diminution  significative du pourcentage des monocytes classiques, des cellules ''natural killers'', des  lymphocytes T doublement positifs et des lymphocytes B. De façon similaire, les patients présentant une hémopathie, avaient tendance à avoir un nombre diminué de ces différents types cellulaires en valeur absolue mais qui n'atteignait toutefois la significativité statistique que pour les lymphocytes T doublement positifs.

Anomalies de répartition au niveau des sous-populations de lymphocytes B

Au cours de l'infection, une ''clearance'' efficace des particules virales nécessite l'intervention des lymphocytes T cytotoxiques CD8+ de même que celle des lymphocytes T CD4+ qui renforcent l'action des lymphocytes T CD8+, et par ailleurs celle des lymphocytes B à l'origine de la formation des anticorps. Dans cette étude, il a pu être montré chez 4 patients porteurs d'hémopathie maligne (par rapport à 10 patients sans hémopathie) que la répartition des sous-populations lymphocytaires T était similaire, tandis qu'il existait des anomalies de répartition au niveau des sous-populations de lymphocytes B atteignant le degré de significativité pour les sous-types de lymphocytes B mémoire exprimant les immunoglobulines IgG et IgA. Ces données sont importantes car la réponse immune humorale semble jouer un rôle important au cours de la Covid-19 qu'il s'agisse de l’infection initiale ou de la prévention des réinfections (2). Des prélèvements itératifs ont pu être effectués chez 6 patients ayant une hémopathie  en comparaison avec 161 patients sans hémopathie.

L'évolution montrait une grande variabilité ; il faut noter cependant que - chez les patients porteurs d'une hémopathie - ceux ayant eu une évolution fatale, présentaient, par rapport à ceux ayant survécu, une augmentation du nombre des neutrophiles contrebalancée par une diminution du nombre  des autres cellules impliquées dans la réponse immune.


Il a été bien démontré que l'infection des cellules épithéliales respiratoires par le SARS-CoV-2 induit une activation des monocytes, des macrophages et des cellules dendritiques responsable d'une réaction inflammatoire importante dont l'intensité corrèle avec la gravité de la maladie. Aussi les auteurs ont étudié le transcriptome des   cellules myéloïdes et des cellules présentatrices de l'antigène chez 3 patients de cette série porteurs d'hémopathie maligne et pour comparaison chez 10 patients sans hémopathie.

Différences d’expression de gènes impliqués dans la réponse immune et inflammatoire au coronavirus

Des différences d'expression  de gènes, très variables selon les types cellulaires, ont été notées  entre les patients porteurs d'hémopathie et ceux sans hémopathie : ces différences concernaient les gènes impliqués dans l'expression des facteurs de transcription NF-KB et STAT comme  les gènes codant pour les récepteurs Toll-like ou ceux codant pour les récepteurs des interleukines pro-inflammatoires, tous ces gènes étant impliqués dans la réponse immune et inflammatoire à l'infection par le coronavirus.

Ainsi cette étude encore préliminaire montre qu'il existe au cours de la Covid-19 des altérations du statut immunologique chez les patients atteints d'hémopathie par rapport à ceux sans hémopathie. Ces anomalies sont similaires chez les patients porteurs d'hémopathie ''pré-maligne'' (MGUS, MBL et MDS) et chez ceux porteurs d'hémopathie maligne bien que le pronostic soit beaucoup plus sévère chez ces derniers. Elles se caractérisent en particulier par une diminution des lymphocytes B responsables de la synthèse des anticorps (et des lymphocytes B mémoires correspondant). Cette étude bien que portant sur un petit nombre de patients a le mérite de souligner le défaut de la réponse humorale observé au cours de la Covid-19 chez les patients atteints d'hémopathie et qui doit être considéré comme un critère de gravité de l'infection. Une détection de cette anomalie aisément réalisable est recommandée afin d'optimiser la prise en charge thérapeutique de ces patients.

(1) Shah V et al. British J of Haematology 2020;190:e279-e282.
(2) Vabret N et al.Immunity 2020;87:867-882.

Dr Sylvia Bellucci

Références
Maia C et coll. : Immunologic characterization of COVID-19 patients with hematological cancer. Haematologica, 2020; 106(5):1457-1460. doi: 10.3324/haematol.2020.269878.

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