France, ton « modèle » fout le camp ! C’est grave docteur ?
Paris, le samedi 12 juin 2021 – Ce n’est sans doute pas propre
à la France, mais il est probable que la tendance soit
particulièrement marquée dans notre pays. Tout en se montrant
souvent très critique vis-à-vis de l’Etat et des services publics,
les Français en attendent également presque tout. Les niveaux
élevés d’imposition des Français légitiment probablement cette
exigence, tandis que la persistance d’un discours auto-glorifiant,
prompt à considérer notre modèle et sa gratuité comme le plus
abouti du monde fait le reste.
Quand les institutions faillissent, les hommes demeurent
C’est dans ce contexte que la réponse française à la crise
sanitaire a suscité chez beaucoup une cuisante blessure. Les
exemples de faillite, il n’est pas nécessaire d’y revenir, ont été
nombreux. Et c’est bien plus souvent grâce à l’engagement des
individus qu’à la robustesse des organisations que les épreuves ont
pu être dépassées. C’est ce que résume un collectif de 145
présidents d’université, doyens de faculté et directeurs dans une
tribune publiée cette semaine dans Le Monde et dédiée notamment aux
failles des CHU : « La crise due au Covid-19 n’a pas amélioré
cette situation. Si elle a montré l’engagement magnifique de tous
les soignants et hospitalo-universitaires ayant pris part au combat
pour juguler l’épidémie, elle a aussi révélé ses fragilités »
relèvent-ils.
Quand les institutions faillissent, les start-up innovent
Sans revenir sur nos stocks de masques inexistants ou la
sclérose de nos administrations, l’inadaptation de nos outils
numériques, pour monitorer la surveillance de l’épidémie a été
remarquable. Bien sûr, Santé publique France (SPF) peut se
féliciter aujourd’hui d’avoir su faire preuve d’agilité en
développant finalement des dispositifs opérants : le rapport Pittet
avait salué cette réactivité. Néanmoins, comment ne pas ignorer que
le site le plus clair et le plus facile d’utilisation pour évaluer
l’évolution de l’épidémie et de la campagne de vaccination est le
fruit d’une initiative individuelle (et gratuite) : celle du jeune
spécialiste des data, Guillaume Rozier. Pour Caroline Vigoureux,
éditorialiste de l’Opinion, il est certain que l’aventure Covid
Tracker ne sera pas sans incidence sur les rapports entre l’Etat et
le privé. « Quelque chose a changé dans la vie de Guillaume
Rozier le 6 mai dernier. Ce jour-là, Emmanuel Macron annonce dans
un tweet que les créneaux pour la vaccination qui n’auront pas
trouvé preneurs seront ouverts à tous les adultes volontaires 24
heures avant. Le Président renvoie vers le site ViteMaDose, élaboré
en quelques jours par cet ingénieur de 25 ans. (…) Que le président
de la République renvoie à une initiative privée pour accélérer la
campagne de vaccination, c’est inédit » commence-t-elle. Puis,
après avoir décrit les différentes étapes du déploiement du site
Covid Tracker, elle conclut : « Voilà comment le gouvernement
s’est greffé sur les services d’un ingénieur privé dans la lutte
contre la Covid. Faut-il y voir là une carence du service public,
devancé par une armée de bénévoles capables de mettre en place ce
que lui n’a pas su faire ? Ou une formidable symbiose du public et
du privé au service de tous ? ». « On ne peut pas être dans
le fantasme d’une société purement étatisée dans laquelle seuls les
acteurs publics auraient un rôle à jouer, répond-on à Matignon. On
ne cherche pas à court-circuiter les initiatives comme Doctolib ou
ViteMaDose mais bien à favoriser ces collaborations » . Cette
présentation de la situation n’est pas unanimement partagée. Dans
les mêmes colonnes de l’Opinion, Baptiste Jourdan fondateur de
Toucan Toco qui a élaboré un projet visant à analyser les données
concernant les eaux usées de Marseille lance : « Les start-up ou
data scientists essaient de pallier les manques de l’Etat et de ses
grosses lourdeurs. Ça aurait dû être à l’Etat de mettre en place
l’équivalent de CovidTracker ou Doctolib. Mais si eux ne le font
pas, des start-up vont le faire en moins de quinze jours
».
Quand les institutions faillissent, Doctolib hégémonise
Dans ce passage en revue de ces exemples de « délégation » de
service public à marche forcée vers des entreprises dynamiques, le
nom de Doctolib revient inévitablement. L’ancienne petite
entreprise suscite autant d’admiration que d’inquiétudes, liées à
sa position de quasi-monopole ou à l’hébergement de ses données.
Mais une certaine unanimité reconnaît « Derrière le procès fait à
Doctolib apparaît aussi la critique de l’abandon progressif de
l’Etat en matière de politique de santé. Pour Mme Le Sauder, « la
Caisse d’assurance-maladie aurait peut-être pu développer sa propre
solution si on l’avait saisie beaucoup plus tôt. L’Etat ne se pose
pas ces questions, il est plutôt dans la promotion à outrance de
Doctolib » », relève le journaliste du Monde, Vincent Fagot dans un
article intitulé « Faut-il avoir peur de Doctolib ? ». Ce type de
réflexion suscite une certaine forme d’ironie de la part de
l’analyste économique Nathalie MP Meyer, qui s’affirme ouvertement
libérale, sur le site de Contrepoints : « Curieusement, il y a
six mois, le même média déplorait le sous-développement de la
France en matière de numérique et pointait combien elle avait été
incapable de saisir la vague de la transformation digitale imposée
par les restrictions d’activité et de déplacement face à la
pandémie de Covid-19. Mais dans l’esprit des éditorialistes du
Monde, peut-être faudrait-il que la révolution numérique passât
exclusivement par des fonds souverains, des clouds souverains, des
startups souveraines et des licornes souveraines. Le vocabulaire
est certes nouveau, il fait moderne et branché comme la « startup
nation » à la Macron se rêve de l’être, mais dès lors qu’on y
ajoute « souverain », il n’évoque rien d’autre que l’implication
intense de l’État dit stratège dans l’activité économique. Et de ce
côté-là, il suffit de dire Minitel souverain ou, plus récemment,
TousAntiCovid souverain pour comprendre immédiatement que l’échec
est au bout du chemin ».
Quand les institutions faillissent, la peur du libéralisme
persiste
De fait, il persite un rejet marqué de toute forme de
libéralisme chez les responsables publics. C’est ce qui transparaît
dans la tribune dédiée aux CHU où l’on peut lire « Sans renoncer
au système de la tarification à l’activité, le Ségur a entériné une
vision managériale et axée uniquement sur le soin ». Quelques
mois auparavant, également dans le Monde, à propos de l’université
et de son déclin qui était comparé à celui des CHU, Stéphane
Viville, praticien hospitalier au CHU de Strasbourg et Pierre
Gilliot, physicien, directeur de recherche au CNRS remarquaient : «
Et pourtant, tout comme pour la santé, l’université s’enferre
dans une logique qui défend une rentabilité, ici de la
connaissance. La crise dans laquelle nous a plongés le virus
SARS-CoV-2 illustre combien cette logique est extrêmement néfaste
au fonctionnement du système de soin, au moins public. Il en va de
même de la connaissance et de sa transmission. Tous sont des biens
communs, indispensables au bon fonctionnement de la société, qui
n’ont pas à avoir, intrinsèquement, une rentabilité pécuniaire,
mais participent de l’intérêt général et, en servant celui-ci,
acquièrent une rentabilité non comptabilisable en monnaie sonnante
et trébuchante. Toutes ces mutations sont clairement portées par
une logique et une idéologie libérale, inspirée du modèle
américain, laissant une plus grande place à une gestion
individuelle qu’à une réflexion nationale d’ampleur sur
l’enseignement et la recherche » écrivaient ces auteurs. Et
parallèlement à cette déploration de l’incursion de l’idéologie
libérale, désignée comme seule responsable des dysfonctionnements
actuels, ces tribunes n’omettent jamais de louer le modèle originel
français. « Au-delà des personnels hospitalo-universitaires,
c’est tout l’environnement médico-technique et de soin développé
par les CHU qui en a fait un modèle internationalement reconnu. On
saluera le rôle des praticiens hospitaliers, admirablement investis
dans les missions d’enseignement et de recherche dans la formation
des professionnels de santé ainsi que dans la contribution au
progrès scientifique et médical » écrit le collectif de
présidents et doyens d’université.
Quand les institutions faillissent, d’autres attirent
Il y a pourtant un certain paradoxe à vanter les mérites de
notre modèle, tout en ne pouvant que reconnaître ses failles. De la
même manière, faire du libéralisme un épouvantail s’accommode mal
de la constatation de son efficacité (à travers Doctolib) et de son
attractivité. Ainsi, les auteurs de la tribune publiée par le Monde
observent : « L’attractivité des carrières hospitalo-universitaires
est en chute libre, de nombreux professeurs de médecine quittent
leur emploi pour exercer dans le secteur libéral. Plus grave, le
vivier se tarit car la carrière hospitalo-universitaire ne fait
plus rêver ».
Quand les institutions faillissent, la réflexion s’impose
Qu’est-ce à dire ? Le JIM est-il en train de vanter
l’aboutissement de la mutation libérale de nos services publics,
après avoir fait la constatation de leur échec et des réussites des
initiatives et entreprises privées ? Le traitement à apporter est
sans doute plus nuancé. Car de la même manière qu’il semble
inopportun de faire du méchant libéralisme le coupable idéal pour
expliquer les manquements de notre modèle, on ne peut nier que la
sacro-sainte notion de service public peut inévitablement pâtir
d’une trop grande intrusion des services privés. C’est ce que
remarque le collectif d’agents publics, « Nos services publics »
constitué récemment et dont l’objectif est de « prendre la parole
de l'intérieur » pour alerter sur les dysfonctionnements des
pouvoirs publics. Ainsi, dans une note dédiée à la campagne
vaccinale, il s’intéresse aux inégalités d’accès à la vaccination
et déplore que la France, si fière de ses services publics et de
son égalitarisme, n’ait pas su corriger les inévitables disparités
entre les différentes catégories de population. Le collectif
développe : « L’outil imposé de prise de rendez-vous en ligne
via Doctolib, Maiia et Keldoc, s’il a pu être efficace dans la
gestion des plannings de certains centres de vaccination, a de fait
profité aux personnes les plus autonomes et a constitué un obstacle
d’accès à la vaccination pour celles les moins éduquées au
numérique et à la santé. Le recours à cette plateforme a aussi
contribué à fragiliser les relations entre acteurs publics,
Doctolib étant chargé au détriment des institutions de faire
remonter un maximum de données à l’Etat. Aussi, l’opacité sur les
données de santé disponibles et les moyens d’y accéder a fortement
complexifié le pilotage local de la campagne là où la prise en
compte des inégalités aurait nécessité de faire le choix d’une
ouverture large des données. Cette hypercentralisation a fait
obstacle à l’émergence d’une réelle politique “d’aller vers”. Ce
sont les acteurs locaux qui sont le mieux à même de mobiliser les
outils adaptés contre les inégalités : leur repositionnement est en
cela nécessaire, appuyés dans leur action par les institutions
nationales qui ne sauraient les cantonner à un rôle de simple
exécution ». Derrière cette analyse, on le pressent, outre une
probable réticence vis-à-vis de la sous-traitance, c’est plus
certainement une critique de l’incapacité et de l’impuissance des
décideurs publics qui est faite, ainsi que de
l’hypercentralisation. Reste dès lors à trouver la méthode qui
permettra de refonder notre modèle, en évitant les anathèmes
faciles. Certains comme les collectifs inter-hôpitaux et
inter-urgences qui ont récemment créé l’association « Notre hôpital
c’est vous » veulent croire que c’est le référendum d’initiative
populaire qui pourrait permettre de trouver les solutions. A
réfléchir.
Il serait temps de se poser la question de l’utilité et éventuellement de la dangerosité de nos mille feuilles administratifs (Santé Publique France, ARS, ARH, et il y en a des centaines), auto promues et reconnues sur des critères que je souhaiterais connaitre! Certes la critique est facile, mais ayant des devoirs, tout citoyen a également des droits sans pour autant se faire traiter de complotistes.
Bonnes vacances à tous, rendez vous en septembre ou octobre.
Dr Jean-Paul Vasse
Dégraissez le mammouth
Le 12 juin 2021
"L’attractivité des carrières hospitalo-universitaires est en chute libre, de nombreux professeurs de médecine quittent leur emploi pour exercer dans le secteur libéral. Plus grave, le vivier se tarit car la carrière hospitalo-universitaire ne fait plus rêver". C'est la conséquence de 30 années d'incompétence et d'une conception dépassée du management hospitalier. Merci à nos successifs ministre de la santé et de la solidarité qui n'ont eu de cesse que de développer les rigidités administratives. On l'a vu pendant la pandémie dès la première vague: capacités d'innovation des soignants, inefficacité et désorganisation des administrations. Redonnez le pouvoir de décision et d'innovation aux équipes médicales avec l'appui des administrations hospitalières dont le rôle doit se réduire à la gestion. Formez des médecins directeurs d'établissement et on fera revenir les hospitalo universitaires dans le public.