
Etape majeure
Les recherches reposant sur l’introduction de cellules
humaines dans des embryons animaux ont connu ce printemps une
avancée importante : pour la première fois deux équipes (l’une
américaine, l’autre française) sont parvenues à cultiver pendant
quelques jours des embryons de macaques auxquels des cellules
souches humaines avaient été injectées. Si des travaux semblables
impliquant des porcs ou des lapins avaient été publiés il y a
quelques années, l’utilisation du macaque, plus proche de l’homme,
constitue une étape majeure. Ce type de recherche vise d’abord à
une meilleure compréhension du développement des embryons et des
cellules souches pluripotentes. Les applications en médecine
pourraient tout d’abord être une amélioration des taux de réussite
des fécondations in vitro. Enfin, mais à plus long terme,
l’ambition serait de pouvoir obtenir des organes implantables chez
l’homme, dans un contexte de pénurie de greffons.
Démystification
Suspicion
De telles explications n’ont cependant pas su atténuer les
critiques. Une partie d’entre elles s’apparentent à de la
suspicion. Ainsi, dans leur texte publié dans La Croix en février,
un collectif d’associations catholiques, protestantes et
écologiques n’ont eu de cesse de qualifier de « curieux » ou
de « surprenant » l’introduction de dispositions sur les
embryons chimériques dans le projet de loi semblant mettre en doute
la sincérité des intentions déclarées par les chercheurs et la
pertinence scientifique des travaux concernés. « La possibilité
réelle de créer des chimères animal-homme aux fins d’une
…chimérique fabrication de greffons humains chez le porc n’avait
pas été discutée lors des États généraux de la bioéthique. Elle ne
figurait pas non plus dans le projet initial du gouvernement
puisqu’elle a été introduite par des amendements des rapporteurs en
séance. On essaie de comprendre la raison d’une telle proposition
alors que les chercheurs français ne se distinguèrent pas vraiment
dans ce curieux domaine qui n’a que peu d’intérêt scientifique.
C’est l’exploitation des propriétés des cellules-souches
pluripotentes, cellules-souches embryonnaires (1998) et
cellules-souches pluripotentes induites (iPS)(2006), suivie de la
découverte de la nucléase bactérienne Crispr-Cas9 permettant des
manipulations génétiques ciblées dans les embryons, qui ont
provoqué aux États-Unis et au Japon ce curieux engouement dans la «
complémentation de blastocyste » appliquée au porc. Ce
procédé permettrait théoriquement, à partir de cellules-souches
pluripotentes humaines, de faire croître des organes humains chez
des mammifères de grande taille comme le porc ou le singe »,
écrivent-ils.
Qui fantasme ?
C’est évidemment méconnaître la temporalité de la
recherche.
Sans cœur et sans clonage
Dans la continuité de ce déni de la pertinence scientifique de
tels travaux, Lucie Pacherie dénonce le recours à des arguments «
compassionnels ». Elle énumère ainsi : « Les arguments
affectifs pour repousser les limites. Le chercheur Pierre Savatier,
vise un « travail de compréhension » pour faire adhérer aux
chimères animal-homme. Le député rapporteur Philippe Berta et la
ministre de la recherche Frédérique Vidal ont adopté la même
technique « pédagogique » qui consiste en réalité à invoquer des
arguments compassionnels. M. Savatier balaie rapidement l’objectif
de pallier la pénurie de dons d’organes qu’il qualifie lui-même d’«
hypothétique ». Il s’appuie sur d’autres arguments :
améliorer les techniques de PMA (entre 80 et 90 % d’échecs) et
étudier le comportement des CSEh. La PMA est un sujet tabou,
puisqu’il donne des enfants à ceux qui les désirent tant. Et la
conscience de l’embryon humain n’est plus, alors s’il peut servir à
la science… Pour les plus sceptiques, M. Savatier invoque que les
chimères seraient une alternative à la recherche sur l’embryon
humain. (…)M. Berta et Mme Vidal, ont quant à eux évoqué la
guérison des cancers pédiatriques pour justifier la création
d’embryons transgéniques (modification de son génome en
laboratoire), les 3 millions d’enfants atteints de maladies rares
pour justifier la recherche sur les CSEh, ou encore la maladie
d’Alzheimer qui pourrait être soignée grâce aux « cellules souches
» (sans d’ailleurs préciser s’il s’agit d’iPS ou de CSEh). Face à
ces arguments vitrines aux explications scientifiques faibles mais
qui touchent à des situations difficiles, qui oserait opposer les
arguments scientifiques contraires au risque de passer pour un sans
cœur ? », ironise la juriste qui veut croire que ses propres
réponses techniques (en réalité imparfaites) suffisent à
décrédibiliser ce discours.
Le revers de l’émotion
Bien sûr, nous l’avons déjà évoqué, le recours à l’émotion,
même pour défendre des causes pouvant être considérées comme «
légitimes », peut appauvrir la solidité de l’argumentation.
Le fait que des recherches puissent sauver des enfants ne suffirait
en effet probablement à les autoriser si elles étaient contraires à
l’éthique. Cependant, c’est probablement parce qu’ils sont à la
fois convaincus de l’absence de problèmes éthiques (grâce aux
gardes fous mis en place) et de l’impossibilité d’en convaincre une
partie de l’opinion que les responsables politiques et
scientifiques usent de cette méthode. On le voit, cette tactique
conduit en réalité à accroître la suspicion : ils sont soupçonnés
d’être obligés d’utiliser les images des enfants malades pour
cacher leurs méfaits.
Rien ne justifie de prendre des risques majeurs et inévitables ?
Cause animale
De la même manière, les considérations concernant la nécessité
de protéger les animaux peuvent être entendues, même si elles ne
seront pas nécessairement partagées. Ainsi, dans la Croix, en
juillet dernier, plusieurs associations de défense de la cause
animale remarquaient : « A l’heure où les questions de
respect des animaux sont de plus en plus présentes dans la société,
ce type de procédure les instrumentalise totalement. Ils sont
réduits à n’être que les « supports » d’organes à transplanter chez
des humains avant leur mise à mort. L’animal n’est alors plus qu’un
outil au service de certains humains. Cela représente ce qu’on peut
imaginer de pire en termes d’exploitation et de réification de
l’animal. Sans oublier les centaines de milliers d’animaux qui vont
être « utilisés » pour tenter de mettre au point la technique.
L’animal non humain, dont la loi a pourtant reconnu le caractère
d’être sensible, ne saurait être ainsi réduit à l’état de simple
matériel. L’acceptabilité par la société de l’éthiquement
inacceptable est directement liée à ce qui, par bien des aspects,
s’apparente à un « chantage émotionnel » de devoir choisir entre la
vie de notre chien ou celle de notre enfant ? Fausse alternative
car (…) ce « pseudo-choix » ne prend pas en compte le fait que
l’intelligence humaine est capable d’envisager d’autres approches.
En effet, des alternatives sont envisageables pour pallier le
manque d’organes destinés aux patients en attente de
transplantation. (…) D’aucuns craignent que la France prenne du «
retard » en réglementant trop strictement les expérimentations sur
les chimères. Mais pourquoi ces autres axes de recherche (moins
dangereux et plus éthiques) ne seraient-ils pas davantage explorés
et soutenus, ce qui permettrait à la France de prendre le
leadership ? ».
Ce qui est intéressant, ici, c’est qu’on ne remet pas en cause
l’intérêt des « chimères », mais on invoque un réel interdit
éthique. On notera cependant que, la mise en avant d’alternatives
apparaît indispensable… révélant peut-être une peur que l’argument
éthique (le fait de ne pas faire souffrir les animaux) ne soit pas
considéré comme suffisant, surtout face à la possibilité de guérir
certaines maladies infantiles.
Mais si l’on oublie la possible faillibilité des
argumentations, on mesure que le débat convoque deux conceptions
différentes du destin humain : dans la première, on voudrait
raisonner son aspiration infinie à toujours plus de progrès, en
l’appelant à se méfier de lui-même, tandis que dans la seconde on
estime que la soif de connaissance, le désir de toujours plus de
progrès, la confiance en l’humanité ne doivent pas être freinés.
Chimérique ?
On relira :
Le collectif d’associations catholiques, protestantes et écologiques
Le texte de Lucie Pacherie
La tribune d’Olivia Sarton
Le collectif d’associations de défense de l’animal
Aurélie Haroche