
Le terrain est plus que miné. Au moment où le variant Delta fait son apparition en France, le grand public découvre le faible taux de vaccination des soignants. Si 89,9 % des soignants libéraux ont reçu au moins une dose de vaccin contre la Covid-19, seuls 59,3 % des professionnels en EHPAD et en USLD ont reçu au moins une injection, selon les données de la Direction Générale de la Santé (DGS).
Alors même que le personnel soignant des EHPAD est éligible à la vaccination depuis plusieurs mois, l’écart avec le taux de vaccination de la population générale (52,10 %) ne cesse de se réduire. Si 72 % des Français semblent favorables à la vaccination obligatoire des soignants (d’après un sondage Odoxa publié le 1er juillet dernier) le gouvernement a sans doute voulu attendre de convaincre l’opinion avant de s’engager dans une bataille aussi risquée.
Car assurément, les publics les plus hostiles à la vaccination affutent leurs arguments et préparent d’ores et déjà leurs recours contre cette nouvelle politique publique. La question mérite d’être posée : quels sont les éventuels obstacles qui pourraient se dresser sur la route d’une campagne de vaccination obligatoire à destination des soignants ?
Est-il possible d’instaurer une vaccination obligatoire ?
A l’évidence, il serait hasardeux de se livrer à un exercice de divination en affirmant de façon péremptoire de quel coté se trouve le droit. Depuis plusieurs jours, de nombreuses publications opposent des arguments parfois construits mais le plus souvent farfelus sur le caractère légal ou non d’une vaccination obligatoire.Pour comprendre un peu mieux les tenants et aboutissants, il est plus intéressant de se pencher sur un processus juridique qui commence nécessairement par le passage d’une loi.
Rendre un vaccin obligatoire n’est pas une nouveauté en droit français. Plusieurs dispositions spécifiques du Code de la Santé Publique imposent des vaccinations obligatoires soit pour la population générale (L.3111-2 du Code de la Santé Publique) soit pour l’accès à certains territoires (L.3111-6 du CSP pour la fièvre jaune en Guyane) ou encore pour l’accès à certaines professions (L.3111-3 et 4 du CSP).
Ainsi, en principe, ajouter une nouvelle maladie à la liste des vaccinations obligatoires pour les personnels soignants ne présente pas une difficulté insurmontable pour le législateur.
La jurisprudence constitutionnelle et européenne permet également au gouvernement d’être raisonnablement confiant sur une éventuelle conformité de cette loi avec les normes supérieures (CEDH, Grande Chambre, 8 avril 2021, ou Conseil Constitutionnel, 20 mars 2015, QPC n°2015-458).
Est-il possible d’instaurer une vaccination obligatoire avec un vaccin ne faisant l’objet que d’une autorisation temporaire ?
Mais une éventuelle vaccination obligatoire contre la Covid-19 est-elle comparable à celle contre la rougeole ou la polio ?En effet, les vaccins contre le Covid-19 ne font l’objet dans l’UE que d’une autorisation d’utilisation en urgence (AUU) et non d’une AMM classique. S’agit-il pour autant d’un obstacle pour le passage de la loi ?
Ce point est également au centre du recours engagé par de 300 soignants en Italie à l’encontre du décret-loi instaurant la vaccination obligatoire pour les professionnels de santé.
Quelles sanctions en cas de non-injection ? L’exemple italien scruté de près
Une chose est sure : il n’est pas possible pour les autorités de contraindre physiquement les professionnels de santé à la vaccination.En revanche, une dernière question complexe va devoir être tranchée pour les autorités françaises : quelle sanction pour les professionnels de santé refusant la vaccination ? La Cour de Cassation a eu l’occasion de valider le licenciement de personnes refusant de se soumettre à une vaccination obligatoire (dans le cas des thanatopracteurs contre l’hépatite B, notamment : Cour de Cassation, 11 juillet 2012 (n° 10-27.888 FS-PB)).
A ce stade, le gouvernement souhaite envisager des sanctions graduées pour les contrevenants.
Un problème en réalité chronique
Le déficit de couverture des professionnels de santé reste toutefois un problème chronique. En 2019, s’agissant de la grippe, seuls 68 % des médecins, 36 % des infirmiers et 21 % des aides-soignants avaient accepté de se faire vacciner contre la grippe. Un taux qui était de 32 % dans les Ehpad où de nombreux pensionnaires décèdent chaque année du fait de cette maladie.Charles Haroche