
Aura-t-on assez de doses pour que tout se passe bien ?
Bien sûr, le gouvernement ne peut que s’en féliciter. « Vous êtes des centaines de milliers à avoir réservé un RDV de vaccination ce soir. Ca tombe bien, on a des vaccins, des centres ouverts partout, et des dizaines de milliers de soignants, pompiers, agents des collectivités qui n’attendent que vous », a ainsi publié sur Twitter, le ministre de la Santé, Olivier Véran. Pourtant, derrière la satisfaction de rigueur, le doute n’est pas loin. Alors que les fermetures estivales de centres de vaccination ont déjà commencé et que de nouvelles sont prévues au mois d’août, la cadence qui se devine pour les jours à venir pourra-t-elle vraiment être assumée ? Sera-t-il possible d’augmenter le nombre de personnes vaccinées avec des capacités réduites de 20 % par rapport à ce printemps ? Concernant la disponibilité des doses, d’ici le 15 août, la France peut compter sur 16 millions de doses du vaccin Pfizer/BioNTech et plus de 1 800 000 de doses de Moderna… sans parler des 2 650 000 doses d’AstraZeneca qui dorment dans les frigo (mais que la HAS n’a pas retenu dans sa stratégie vis-à-vis du variant Delta). Si ces stocks apparaissent confortables, ils pourraient être rapidement épuisés. Avec 700 000 injections par jour (ce qui correspond à la moyenne actuelle en cumulant première et seconde injections) au cours du mois avenir, notre stock pourrait être épuisé avant le 15 août, d’autant plus qu’aujourd’hui plus de 8 700 000 Français sont en attente de recevoir leur seconde dose.Un timing très serré
Ainsi, si on le voit, en ce qui concerne la gestion des doses, le tempo pourrait être plus complexe que ne le laissent deviner les déclarations emphatiques du ministre de la Santé, le timing du passe sanitaire pourrait également faire déchanter les centaines de milliers de Français qui hier ont pris rendez-vous pour espérer pouvoir continuer à profiter des restaurants et cinémas au début du mois d’août. Car qui dit pass vaccinal, dit schéma vaccinal complet depuis quinze jours. Les dates annoncées hier par le Président de la République devraient donc créer dans les quinze premiers jours d’août une situation difficile pour ceux qui sont des convaincus de la vaccination de la dernière heure. En effet à partir du 21 juillet, le pass sanitaire s’imposera « pour tous nos compatriotes de plus de 12 ans, (…) pour accéder à un spectacle, un parc d'attraction, un concert ou un festival ». Et au début du mois d’août, il concernera les cafés, les restaurants, les centres commerciaux (mais pas les supermarchés ont précisé Gabriel Attal et Olivier Véran), ainsi que les hôpitaux, les maisons de retraites, les établissements médico-sociaux mais aussi les avions, trains et cars pour les longs trajets ont énuméré le Président de la République et les ministres. Si pour les utilisateurs, la nécessité de ce sésame pourrait entraîner quelques difficultés, pour les personnes y travaillant la donne est plus complexe encore. Le délai est en effet trop court pour ceux qui jusqu’à hier après-midi avaient décidé de ne pas se faire vacciner. Les membres du gouvernement ont déjà annoncé qu’une tolérance serait probablement aménagée dans les premiers temps, si la personne peut apporter la preuve de l’engagement dans une démarche vaccinale. Mais au-delà, les employés des cinémas et restaurants toujours réfractaires à la vaccination devront en passer par des tests réguliers. Qui aura la charge du coût de ces tests quand ils deviendront payants cet automne (ce qui concernera tous les tests sans prescription ou nécessité administrative antigéniques comme PCR) ? Est-il soutenable légalement d’imposer à des personnes en dehors du secteur médico-social de devoir se vacciner ou se faire tester quotidiennement pour travailler ?Contrôles, adolescents, des questions à l’infini…
Ces questions font partie d’une avalanche d’interrogations que les ministres peinent aujourd’hui à toutes déminer. Qu’en sera-t-il des contrôles ? Les représentants des restaurants ont déjà tiqué à l’idée, affirmée par le ministre du Travail, Elisabeth Borne, que les contrôles devront être réalisés par les patrons de ces établissements (y compris sur les terrasses !). Difficile pour ces derniers en effet d’assumer ce rôle qui pourrait être facilement contesté par les consommateurs, tandis que beaucoup s’inquiètent des répercussions du dispositif sur la fréquentation. Difficile il est vrai d’envisager que les contrôles soient réalisés par les forces de l’ordre… forces de l’ordre qui ne sont pas concernées par le pass sanitaire ou une vaccination obligatoire. La justification de cette exception n’a pas pu être apportée clairement ce matin par le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, interrogé sur RTL. Et quelle attitude vis-à-vis des adolescents, pour lesquels la vaccination n’a été ouverte que le 15 juin, ce qui explique un taux de couverture encore restreint (moins de 20 %) et alors que se posent pour cette tranche d’âge des considérations éthiques multiples. Elles concernent notamment leur consentement et la responsabilité que la société leur a attribuée dans l’épidémie. Bruno Lemaire, père de quatre enfants, a affirmé qu’une certaine souplesse devrait être garantie dans les premières semaines, notamment pour permettre aux familles un été le plus serein possible…Quelle égalité entre les citoyens ?
Sans pass sanitaire, une vie confinée ?
En écho à cette remarque, une partie de la classe politique s’est émue hier soir de ce qu’elle considère comme une obligation vaccinale qui ne dit pas son nom. Le mot « apartheid » a ainsi été utilisé tant par l’extrême droite sous la plume de Florian Philippot, président des Patriotes que par l’eurodéputée écologiste Michelle Rivasi. Olivier Véran bien sûr s’en défend, rappelant l’absence d’amende ou encore l’existence d’alternative. Il rappelle encore que les dispositions autour du pass sanitaire n’empêchent pas de prendre le métro pour aller travailler (à condition de ne pas travailler dans un lieu recevant du public…) ou emmener ses enfants à l’école. Une vie comme au temps d’un confinement allégé en somme ? Olivier Véran ne s’en cache pas qui remarque : « La question qui se pose, ce n’est pas la vie normale ou le pass sanitaire. C’est le confinement ou le pass sanitaire ». Quelle sera la proportion de Français qui choisiront le confinement ? Et le gouvernement se donnera-t-il les moyens au-delà de ce coup de poker du pass sanitaire d’éduquer, rassurer et de faciliter le plus possible la vaccination en particulier de ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques, ne savent pas lire, comprennent mal le français ou ont des difficultés à se déplacer ? Sur ces derniers points, le président de la République n’a pas été très disert.Aurélie Haroche