Pass sanitaire : comment ça pourrait se passer (ou ne pas se passer) ?

Paris, le mardi 13 juillet 2021 – « Même nous on était pas prêts, mais c’est une bonne nouvelle! » a publié sur Twitter l’entreprise Doctolib hier soir. Dans les minutes qui ont suivi l’annonce par le Président de la République d'un pass sanitaire (présentation d’un certificat de vaccination contre la Covid, d’un test négatif récent ou d’une preuve d’une infection ancienne) élargi aux activités et lieux culturels puis aux restaurants et bars, des dizaines de milliers de personnes se sont connectées à la plateforme de Doctolib pour prendre un rendez-vous de vaccination. Ils ont été ainsi 926 000 à réserver un créneau pour l’injection d’une premier dose, le plus souvent dans les dix jours à venir. Dans la majorité des cas (65%) il s’agit de personnes de moins de 35 ans.

Aura-t-on assez de doses pour que tout se passe bien ?

Bien sûr, le gouvernement ne peut que s’en féliciter. « Vous êtes des centaines de milliers à avoir réservé un RDV de vaccination ce soir. Ca tombe bien, on a des vaccins, des centres ouverts partout, et des dizaines de milliers de soignants, pompiers, agents des collectivités qui n’attendent que vous », a ainsi publié sur Twitter, le ministre de la Santé, Olivier Véran. Pourtant, derrière la satisfaction de rigueur, le doute n’est pas loin. Alors que les fermetures estivales de centres de vaccination ont déjà commencé et que de nouvelles sont prévues au mois d’août, la cadence qui se devine pour les jours à venir pourra-t-elle vraiment être assumée ? Sera-t-il possible d’augmenter le nombre de personnes vaccinées avec des capacités réduites de 20 % par rapport à ce printemps ? Concernant la disponibilité des doses, d’ici le 15 août, la France peut compter sur 16 millions de doses du vaccin Pfizer/BioNTech et plus de 1 800 000 de doses de Moderna… sans parler des 2 650 000 doses d’AstraZeneca qui dorment dans les frigo (mais que la HAS n’a pas retenu dans sa stratégie vis-à-vis du variant Delta). Si ces stocks apparaissent confortables, ils pourraient être rapidement épuisés. Avec 700 000 injections par jour (ce qui correspond à la moyenne actuelle en cumulant première et seconde injections) au cours du mois avenir, notre stock pourrait être épuisé avant le 15 août, d’autant plus qu’aujourd’hui plus de 8 700 000 Français sont en attente de recevoir leur seconde dose.

Un timing très serré

Ainsi, si on le voit, en ce qui concerne la gestion des doses, le tempo pourrait être plus complexe que ne le laissent deviner les déclarations emphatiques du ministre de la Santé, le timing du passe sanitaire pourrait également faire déchanter les centaines de milliers de Français qui hier ont pris rendez-vous pour espérer pouvoir continuer à profiter des restaurants et cinémas au début du mois d’août. Car qui dit pass vaccinal, dit schéma vaccinal complet depuis quinze jours. Les dates annoncées hier par le Président de la République devraient donc créer dans les quinze premiers jours d’août une situation difficile pour ceux qui sont des convaincus de la vaccination de la dernière heure. En effet à partir du 21 juillet, le pass sanitaire s’imposera « pour tous nos compatriotes de plus de 12 ans, (…) pour accéder à un spectacle, un parc d'attraction, un concert ou un festival ». Et au début du mois d’août, il concernera les cafés, les restaurants, les centres commerciaux (mais pas les supermarchés ont précisé Gabriel Attal et Olivier Véran), ainsi que les hôpitaux, les maisons de retraites, les établissements médico-sociaux mais aussi les avions, trains et cars pour les longs trajets ont énuméré le Président de la République et les ministres. Si pour les utilisateurs, la nécessité de ce sésame pourrait entraîner quelques difficultés, pour les personnes y travaillant la donne est plus complexe encore. Le délai est en effet trop court pour ceux qui jusqu’à hier après-midi avaient décidé de ne pas se faire vacciner. Les membres du gouvernement ont déjà annoncé qu’une tolérance serait probablement aménagée dans les premiers temps, si la personne peut apporter la preuve de l’engagement dans une démarche vaccinale. Mais au-delà, les employés des cinémas et restaurants toujours réfractaires à la vaccination devront en passer par des tests réguliers. Qui aura la charge du coût de ces tests quand ils deviendront payants cet automne (ce qui concernera tous les tests sans prescription ou nécessité administrative antigéniques comme PCR) ? Est-il soutenable légalement d’imposer à des personnes en dehors du secteur médico-social de devoir se vacciner ou se faire tester quotidiennement pour travailler ?

Contrôles, adolescents, des questions à l’infini…

Ces questions font partie d’une avalanche d’interrogations que les ministres peinent aujourd’hui à toutes déminer. Qu’en sera-t-il des contrôles ? Les représentants des restaurants ont déjà tiqué à l’idée, affirmée par le ministre du Travail, Elisabeth Borne, que les contrôles devront être réalisés par les patrons de ces établissements (y compris sur les terrasses !). Difficile pour ces derniers en effet d’assumer ce rôle qui pourrait être facilement contesté par les consommateurs, tandis que beaucoup s’inquiètent des répercussions du dispositif sur la fréquentation. Difficile il est vrai d’envisager que les contrôles soient réalisés par les forces de l’ordre… forces de l’ordre qui ne sont pas concernées par le pass sanitaire ou une vaccination obligatoire. La justification de cette exception n’a pas pu être apportée clairement ce matin par le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, interrogé sur RTL. Et quelle attitude vis-à-vis des adolescents, pour lesquels la vaccination n’a été ouverte que le 15 juin, ce qui explique un taux de couverture encore restreint (moins de 20 %) et alors que se posent pour cette tranche d’âge des considérations éthiques multiples. Elles concernent notamment leur consentement et la responsabilité que la société leur a attribuée dans l’épidémie. Bruno Lemaire, père de quatre enfants, a affirmé qu’une certaine souplesse devrait être garantie dans les premières semaines, notamment pour permettre aux familles un été le plus serein possible…

Quelle égalité entre les citoyens ?

Malgré ces promesses de bon père de famille, les incertitudes se multiplient et sont également juridiques.

Si le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’État devraient être consultés en amont pour éviter les recours et annulations, les risques demeurent cependant nombreux. Interrogé par le Figaro Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble, observe « étendre ce pass aux bars et restaurants change la nature du pass sanitaire, dont l’usage était jusque-là exceptionnel. Nous sommes en train de franchir une borne. Outre la grande difficulté pratique d’en faire peser le contrôle sur les restaurateurs, cette extension créerait trop d’effets d’éviction, d’autant que seulement 50 % de la population est vaccinée. Il est juridiquement paradoxal de ne pas vouloir imposer la vaccination à tous, mais d’écarter de certaines activités ceux qui ne veulent pas se faire vacciner ou n’ont pas de tests. Nous ne sommes pas loin de la rupture d’égalité entre les citoyens », prévient-il.

Sans pass sanitaire, une vie confinée ?

En écho à cette remarque, une partie de la classe politique s’est émue hier soir de ce qu’elle considère comme une obligation vaccinale qui ne dit pas son nom. Le mot « apartheid » a ainsi été utilisé tant par l’extrême droite sous la plume de Florian Philippot, président des Patriotes que par l’eurodéputée écologiste Michelle Rivasi. Olivier Véran bien sûr s’en défend, rappelant l’absence d’amende ou encore l’existence d’alternative. Il rappelle encore que les dispositions autour du pass sanitaire n’empêchent pas de prendre le métro pour aller travailler (à condition de ne pas travailler dans un lieu recevant du public…) ou emmener ses enfants à l’école. Une vie comme au temps d’un confinement allégé en somme ? Olivier Véran ne s’en cache pas qui remarque : « La question qui se pose, ce n’est pas la vie normale ou le pass sanitaire. C’est le confinement ou le pass sanitaire ». Quelle sera la proportion de Français qui choisiront le confinement ? Et le gouvernement se donnera-t-il les moyens au-delà de ce coup de poker du pass sanitaire d’éduquer, rassurer et de faciliter le plus possible la vaccination en particulier de ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques, ne savent pas lire, comprennent mal le français ou ont des difficultés à se déplacer ? Sur ces derniers points, le président de la République n’a pas été très disert.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • Risque de pénuries de vaccins?

    Le 13 juillet 2021

    L'article est bien fait
    Toutes les difficultés administratives ont été envisagées
    Risque de pénuries de vaccins
    Il y a aussi le cas des personnes vaccinées en janvier et février dernier et qui devront faire en septembre une injection de rappel pour continuer à être immunisées.
    Dr Buffet

  • Choqué!

    Le 13 juillet 2021

    Ca y est on y est! Vous commencez à les sentir, les prémices, les préliminaires, ou peut être qu'on y est déjà bien enfoncé, jusqu'à la garde, dans cette société futuriste du tout sécuritaire, du tout sanitaire bien propre, mais attention, c'est pour votre bien et surtout pour défendre vos libertés. C'est vrai, avec un bon pass sanitaire vous serez bien plus libre! Vous la comprenez la novlangue ou vous avez besoin des sous titres. Mais surtout, tout ca pour quoi? Pour une hypothétique, peut être ben que oui ou peut être ben que non, quatrième vague du variant rhume des foins delta. Non mais réveillez moi, c'est un cauchemar? Non mais là c'est plus un problème de vacciné et de non vacciné, on est juste en train de nous voler notre démocratie et tout le monde continue, business as usual. Suis-je le seul à être choqué?

    Dr Bentolila

  • Choqué! Où est la médecine...?

    Le 14 juillet 2021

    Un vaccin est un traitement préventif d'une pathologie x ! Où est l'argumentation, la discussion médicale et scientifique...? Balayées d'un revers de main. Le débat est clos d'emblée puisque le discours médiatico-politique se réduit au provax et antivax. Terminé! pas de débat propre à l'avancée scientifique. Il y a les POUR et les CONTRE, les bons et les mauvais, ceux qui sont dedans (direct paradis) et ceux qui sont dehors (direct enfer): vive la nouvelle religion du "scientisme". La science et la médecine c'est d'un autre niveau, le scientifique, si ce mot a encore un sens aujourd'hui, n'est ni pour ni contre mais fait avancer la connaissance par la recherche et la discussion. Ce qui est très instructif et ...interpellant c'est la ruée sur Doctolib (1 million de personnes) dans les heures qui ont suivi l'allocution, pour des raisons non pas médicales mais strictement sociétales (!): aller au resto, aller en vacances, aller voir un match de foot, etc... Belle liberté quand la contrepartie est le flicage!Bê bê bê bê bê.
    Je ne parle même pas de l'obligation pour le personnel soignant sous peine d'exclusion sans salaire, alors qu'ils étaient au front les mains nues en début de crise voir même après!! alors qu'il y a un manque flagrant de personnel depuis des dizaines d'années (RIEN n'a été fait depuis 1 an et demi). RIEN. Je suis choqué
    Une question basique qu'aurait pu se poser tout stratège digne de ce nom: comment pouvoir faire appliquer ces directives sur le plan pratique ( par exemple, comment mettre un policier devant chaque grande surface, le vigile n'étant pas habilité à contrôler notre identité!), en dehors même de la partie légale...???
    Dr. A. Carillon

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