
Paris, le samedi 17 juillet - Après avoir éprouvé un intérêt
soudain pour l’épidémiologie, de nombreux Français se découvrent
désormais une passion dévorante pour le droit
constitutionnel.
En un temps record, les détracteurs du « passe sanitaire »
sont donc parvenus à engloutir et à digérer les centaines de
traités consacrés aux contentieux administratifs et aux libertés
publiques pour aboutir à une conclusion catégorique : le passe
sanitaire proposé par le gouvernement serait tout simplement
illégal. L’exercice est d’autant plus admirable puisque l’analyse
se fonde sur un projet de loi qui n’a même pas encore été présenté
en Conseil des ministres…
Une chose est sûre à ce stade : le débat juridique n’est
malheureusement pas épargné par les biais de confirmation.Faut-il pour autant partir du postulat inverse, et affirmer que toute norme qui serait prise par un gouvernement pour lutter contre l’épidémie serait juridiquement inattaquable ?
Si la jurisprudence administrative et constitutionnelle a souvent confirmé la licéité des mesures mises en place par le gouvernement, elle a aussi eu l’occasion de censurer plusieurs décrets ou arrêtés adoptés par les autorités au nom de la crise sanitaire.
Avant même de disposer du texte du projet de loi, livrons-nous donc à cet exercice prospectif délicat qui consiste à savoir « de quel côté se trouve le droit ».
Si d’un côté le principe même de l’établissement d’un passe sanitaire semble conforme à la Constitution, les modalités de mise en œuvre de ce passe semblent sujet à caution
Sur le principe, le « passe sanitaire » a déjà été validé par le Conseil Constitutionnel !
Le « passe sanitaire » a fait une entrée tonitruante dans le débat public à l’occasion de l’allocution solennelle du président de la République le 12 juillet dernier. « A partir du début du mois d’août » le passe sanitaire s’appliquera dans les cafés, les restaurants, les centres commerciaux, ainsi que dans les hôpitaux, les maisons de retraites, les établissements médico-sociaux mais aussi dans les avions, trains et cars pour les longs trajets.Mais si le passe est étendu, il ne constitue pas une nouveauté dans notre droit.
En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 mai 2021
relative à « la gestion de la sortie de crise sanitaire » le
Premier Ministre dispose de la possibilité de « subordonner l’accès
à certains lieux ou évènements impliquant de grands rassemblements
de personnes (…) à la présentation soit du résultat d’un examen de
dépistage virologique, soit d’un justificatif de statut vaccinal,
soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une
contamination par le Covid-19 ». Une mesure jugée parfaitement
conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel. Estimant
que cette loi respectait l’objectif de conciliation entre les
libertés individuelles et le droit à la santé, le Conseil a
toutefois tenu à ajouter une réserve de taille. Si les autorités
peuvent limiter l’accès « aux activités de loisirs » le
passe sanitaire ne peut être étendu à une activité « politique,
syndicale ou culturelle ».
Un passe sanitaire également validé (avec une réserve) par le Conseil d’Etat
Le 6 juillet dernier, à l’occasion d’un recours formé par l’association la Quadrature du Net, le Conseil d’Etat a eu également l’occasion de confirmer la licéité des décrets pris en application de la loi du 27 mai 2021.Dans sa décision, le Conseil d’Etat a souligné que le passe sanitaire « était de nature à permettre, par la limitation des flux et croisements de personne qu'il implique, de réduire la circulation du virus de la Covid-19 dans le pays ».
Mais tout en validant la licéité du passe et des décrets pris en application de la loi, le Conseil d’Etat a souligné que cette mesure était légale parce que n’étaient pas concernés « l’exercice des libertés de culte, de réunion ou de manifestation » mais aussi « les activités quotidiennes ». Faut-il voir dans cette référence aux « activités quotidiennes » un obiter dictum qui mettrait en garde le gouvernement contre une extension trop large du passe ? La précision peut être jugée regrettable dans la mesure où elle laisse place à une forte marge d’appréciation. Faut-il comprendre par « activités quotidiennes » une référence à la distinction traditionnelle entre « commerce essentiel et non essentiel » ou bien à une nouvelle qualification juridique (il faut bien le dire, imprécise) ?
Autre piste, il est peut être simplement possible de lire dans cette précision du Conseil d’Etat une simple référence à l’habilitation législative actuelle.
Vers des recours en cascade sur la question des modalités
Interrogé par France Info, l’avocat au Conseil d’Etat et à la
Cour de Cassation Patrice Spinosi « ne voit pas » les
juridictions administratives ou constitutionnelles « chambouler
les propositions qui ont été faites par le gouvernement ». Il
est vrai que, dans l’ensemble, « malgré toutes les mesures qui
ont pu être prises pendant tout le temps de l'état d'urgence
sanitaire, le Conseil d'État ou Conseil constitutionnel, quand ils
ont été saisis, n'ont jamais remis en cause le principe même des
choix du gouvernement ».*
Toutefois, plusieurs questions risquent d’émerger sur les
modalités de mise en œuvre du passeport sanitaire.
Tout d’abord, sur le périmètre précis d’application du passe
sanitaire. Pour limiter le droit d’accès à certains lieux publics,
le gouvernement devra être en mesure de prouver l’existence d’un
risque de circulation du virus. Partant, un juge pourrait-il
considérer que cette mesure serait, par exemple, excessive en ce
qui concerne l’accès aux terrasses des restaurants où le risque de
contamination semble faible ?
Autre question importante, celle du taux d’incidence en dessous
duquel le maintien des mesures sera considéré comme portant une
atteinte excessive à la circulation des personnes.Enfin, reste la question de la protection des données personnelles et santé. Quel niveau de contrôle sera exigé par les restaurateurs ? Sera-t-il nécessaire pour ces derniers de scanner ou simplement de vérifier visuellement le QR code ?
Une chose est sûre à ce stade, pour le Conseil d’Etat, la présentation d’un passe sanitaire au format numérique reste facultatif. Chaque personne dispose de la possibilité de présenter une preuve écrite de la vaccination (par exemple, le QR Code délivré par le centre de vaccination) ou du résultat de son test négatif.
Charles Haroche