Vaccination : le succès espagnol peut-il inspirer la France ?

Paris, le lundi 16 août 2021 – La semaine dernière a été marquée par une diminution de 25 % du nombre de premières injections réalisées en France, selon les données du site Covid Tracker, actualisé par l’équipe du spécialiste des data, Guillaume Rozier. La période estivale explique sans doute en partie cette décélération. Cependant, certains signaux sont préoccupants. Ainsi, ces derniers jours en Martinique et en Guadeloupe ont bien été marqués par une forte progression du nombre de personnes vaccinées chaque jour (qui a été multiplié par au moins deux), mais le rythme demeure néanmoins inférieur à ce qui est observé en métropole, en dépit d’une couverture vaccinale encore faible (autour de 22 %) et de la violence de la vague épidémique actuelle dans ces territoires. Par ailleurs, dans l’ensemble du pays, chez les plus âgés, la situation n’est pas encore optimale. Certes, pour les tranches d’âge de 70 à 74 ans et de 75 à 79 ans, la couverture vaccinale flirte avec les 95 %. Cependant, chez les plus de 80 ans les records de la Grande-Bretagne, du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, du Portugal et de l’Espagne qui avoisinent les 100 % sont loin d’être égalés, avec seulement 83,4 % des Français de cette classe d’âge vaccinés. Quels enseignements nous offre l’observation de la situation des pays européens, et notamment du champion de l’Union, l’Espagne, pour tenter de mieux comprendre les freins français ?

Défiance politique, critique de la gestion de la crise, particularités régionales : l’Espagne ne manquerait pas de facteurs de risque

En Espagne, si le passe sanitaire peut s'imposer localement, les autorités centrales n’ont pas considéré comme nécessaire de recourir à un tel dispositif pour encourager à la vaccination. Il faut dire qu’avec 61 % de sa population complètement vaccinée (contre 57,4 % en France et alors que la protection des plus de 12 ans ne fait que commencer très localement chez nos voisins), et neuf Espagnols de plus de quarante ans sur dix, l’Espagne se démarque de ses partenaires européens. Comment expliquer cette vitalité vaccinale espagnole, comparée notamment à la France ? Le poids de l’histoire doit probablement d’abord être rappelé. Quand dans notre pays, le déroulement de la campagne de vaccination contre l’hépatite B ou contre la grippe H1N1 demeurent comme des épisodes sombres ayant nourri la défiance à l’égard des vaccins, en Espagne, au contraire, le souvenir des conséquences terribles du retard de vaccination contre la poliomyélite dans les années 60 continue à avoir une influence décisive. Il existe par ailleurs une confiance traditionnelle dans le système de santé, souvent considéré comme le symbole d’un pays en marche vers la modernité, au lendemain de la chute de la dictature franquiste. Ce qui est en outre remarquable, c’est que la très forte identité régionale, qui conduit régulièrement à des conflits politiques ouverts avec le pouvoir central, n’ont pour autant pas entamé le mouvement global en faveur de la vaccination.

Cette unanimité est à mettre en regard avec les importantes disparités régionales que l’on relève en France, avec un hexagone nettement divisé entre le nord et le sud, ce qui est notamment expliqué par un désir de décentralisation plus fort au sud de Lyon. De la même manière, une profonde défiance vis-à-vis du gouvernement et des institutions ont pu être constatées ces dernières années dans les enquêtes d’opinion en Espagne, en particulier au moment de la crise économique. Par ailleurs, en tout cas dans ses premiers mois, la gestion de l’épidémie par Madrid a été analysée avec sévérité par l’opinion publique, s’interrogeant notamment sur la transparence en ce qui concerne les chiffres. Autant de tendances qui n’ont pas entamé la confiance des Espagnols envers le vaccin.

Prise de rendez-vous personnalisée

Dès lors, comment l’Espagne échappe-t-elle aux freins français, souvent attribués à la défiance en ce qui concerne les institutions et le gouvernement ? Outre une confiance « naturelle » plus importante vis-à-vis des vaccins, la méthode utilisée a sans doute joué un rôle décisif. Ainsi, les autorités sanitaires espagnoles ont-elles notamment tablé sur la tactique dite de « l’opt-out » qui avait été présentée dans les colonnes du JIM par la sociologue Angela Sutan. Des convocations ont été envoyées à tous les Espagnols (au fur et à mesure de leur éligibilité à la vaccination) avec des dates imposées. Outre qu’une majorité a répondu présent, des SMS et coups de téléphone de rappels ont été organisés pour ceux qui auraient manqué leur rendez-vous, tandis que des sessions de rattrapage ont été organisées. Le dispositif est très différent des plages de rendez-vous ouvertes sur internet, nécessitant de s’armer de patience, et reléguant les procédures d’accompagnement personnalisées en dehors du régime commun. Enfin, les très haut niveau de protection des plus âgés sont expliqués par les sociologues espagnols par des schémas familiaux différents avec notamment en raison de taux de chômage élevés, des adultes qui continuent à vivre encore tardivement chez leurs parents (en France, les jeunes quittent leurs parents en moyenne à 23,7 ans contre 29,5 en Espagne).

Cacophonie bulgare en écho aux ratés français

A l’autre bout du spectre européen, en Bulgarie c’est l’heure de la déroute, avec seuls 15 % des 6,9 millions d’habitants complètement vaccinés, contre une moyenne européenne de 53,3 %. Le ministre de la Santé ne cesse de s’en désoler. Là-bas les médias et leur complaisance vis-à-vis des discours complotistes et/ou rejetant les vaccins sont directement mis en cause pour expliquer cet échec. La figure du docteur Atanas Mangarov est ainsi tout autant critiquée que respectée : directeur de l’unité Covid au sein de l’hôpital des maladies infectieuses de Sofia, il s’est pourtant opposé au port du masque et maintenant aux vaccins. A un degré évidemment moindre, ce type de déclarations publiques controversées peut faire écho à la cacophonie qui existe en France et qui n’est nullement corrigée par les discours officiels qui sont eux aussi caractérisés par des revirements et des informations parcellaires ou présentées de façon parfois tronquée.

Si Emmanuel Macron laissait la parole aux médecins…

Au-delà de ces tentatives de diagnostic, quel traitement la France pourrait-elle appliquer, au-delà du passe sanitaire qui est l’objet d’une contestation qui si elle est très loin d’être majoritaire (avec seulement 34 % des Français qui affirment soutenir les mouvements de protestation organisés tout les week-end) ne connaît pas d’essoufflement ? Une évolution quant à la méthode semblerait probablement opportun. D’autres observateurs considèrent que face à la défiance que semble inspirer Emmanuel Macron, un changement « d’émetteur » serait également salutaire. Difficile cependant d’être sûr, qu’au vu des contradictions qui se sont manifestées entre médecins ces derniers mois, une parole uniquement médicale soit toujours mieux entendue. Enfin, dans le Monde, ce samedi, l’anthropologue Katia Andreetti et le député (MoDem) Philippe Berta appellent au lancement d’« états généraux de la culture scientifique et technique, pour mieux lutter contre le complotisme et mettre la science à portée de tous ». Vaste programme, mais un peu tard et une fois encore sans garantie de succès.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • Coût des tests

    Le 16 août 2021

    Un petit plus qui incite aussi à la vaccination en Espagne : les tests covid sont chers et ne sont pas remboursés...

    S.Milesi

  • Précisions sur les tests en Espagne

    Le 16 août 2021

    Précision : les tests sont non remboursés sauf symptômes et cas contacts évidemment.

    S. Milesi

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