
Défiance politique, critique de la gestion de la crise, particularités régionales : l’Espagne ne manquerait pas de facteurs de risque
Prise de rendez-vous personnalisée
Dès lors, comment l’Espagne échappe-t-elle aux freins français, souvent attribués à la défiance en ce qui concerne les institutions et le gouvernement ? Outre une confiance « naturelle » plus importante vis-à-vis des vaccins, la méthode utilisée a sans doute joué un rôle décisif. Ainsi, les autorités sanitaires espagnoles ont-elles notamment tablé sur la tactique dite de « l’opt-out » qui avait été présentée dans les colonnes du JIM par la sociologue Angela Sutan. Des convocations ont été envoyées à tous les Espagnols (au fur et à mesure de leur éligibilité à la vaccination) avec des dates imposées. Outre qu’une majorité a répondu présent, des SMS et coups de téléphone de rappels ont été organisés pour ceux qui auraient manqué leur rendez-vous, tandis que des sessions de rattrapage ont été organisées. Le dispositif est très différent des plages de rendez-vous ouvertes sur internet, nécessitant de s’armer de patience, et reléguant les procédures d’accompagnement personnalisées en dehors du régime commun. Enfin, les très haut niveau de protection des plus âgés sont expliqués par les sociologues espagnols par des schémas familiaux différents avec notamment en raison de taux de chômage élevés, des adultes qui continuent à vivre encore tardivement chez leurs parents (en France, les jeunes quittent leurs parents en moyenne à 23,7 ans contre 29,5 en Espagne).Cacophonie bulgare en écho aux ratés français
A l’autre bout du spectre européen, en Bulgarie c’est l’heure de
la déroute, avec seuls 15 % des 6,9 millions d’habitants
complètement vaccinés, contre une moyenne européenne de 53,3 %. Le
ministre de la Santé ne cesse de s’en désoler. Là-bas les médias et
leur complaisance vis-à-vis des discours complotistes et/ou
rejetant les vaccins sont directement mis en cause pour expliquer
cet échec. La figure du docteur Atanas Mangarov est ainsi tout
autant critiquée que respectée : directeur de l’unité Covid au sein
de l’hôpital des maladies infectieuses de Sofia, il s’est pourtant
opposé au port du masque et maintenant aux vaccins. A un degré
évidemment moindre, ce type de déclarations publiques controversées
peut faire écho à la cacophonie qui existe en France et qui n’est
nullement corrigée par les discours officiels qui sont eux aussi
caractérisés par des revirements et des informations parcellaires
ou présentées de façon parfois tronquée.
Si Emmanuel Macron laissait la parole aux médecins…
Au-delà de ces tentatives de diagnostic, quel traitement la France pourrait-elle appliquer, au-delà du passe sanitaire qui est l’objet d’une contestation qui si elle est très loin d’être majoritaire (avec seulement 34 % des Français qui affirment soutenir les mouvements de protestation organisés tout les week-end) ne connaît pas d’essoufflement ? Une évolution quant à la méthode semblerait probablement opportun. D’autres observateurs considèrent que face à la défiance que semble inspirer Emmanuel Macron, un changement « d’émetteur » serait également salutaire. Difficile cependant d’être sûr, qu’au vu des contradictions qui se sont manifestées entre médecins ces derniers mois, une parole uniquement médicale soit toujours mieux entendue. Enfin, dans le Monde, ce samedi, l’anthropologue Katia Andreetti et le député (MoDem) Philippe Berta appellent au lancement d’« états généraux de la culture scientifique et technique, pour mieux lutter contre le complotisme et mettre la science à portée de tous ». Vaste programme, mais un peu tard et une fois encore sans garantie de succès.Aurélie Haroche