
Paris, le samedi 11 septembre 2021 - Tout en voulant se
persuader, malgré la douleur et la colère, que sa grandeur et sa
dignité démocratique sont en jeu, la France s’interroge : quel sera
le sens du procès des attentats du 13 novembre ? La question est
plus forte encore pour les victimes : peuvent-elles espérer une
quelconque lumière de ces mois à retracer en boucle l’enfer de
cette nuit d’horreur ? Le professeur de psychiatrie Antoine
Pelissolo remarquait cette semaine dans le Monde : « Les
conditions d’un procès ne sont pas celles d’une thérapie, ce ne
sera donc évidemment pas facile. En entendant les témoignages, il y
aura une recontextualisation psychologique de la scène. Ça
replongera dans les mauvais souvenirs. (…) D’un autre côté, le
procès en lui-même théoriquement a quand même des vertus : c’est
une manière d’être mieux reconnu au plan social et juridique. Il
peut aussi être l’occasion de tourner une page de manière
collective en disant qu’il y a des coupables qui seront condamnés
et des faits qui seront établis. C’est toujours bénéfique quand
même à long terme pour progresser. C’est malheureusement au prix
d’une confrontation douloureuse. (…) Il est question là d’une étape
difficile aux effets favorables ».
Contraste
Parcelle
Après une intervention de routine à Bastille et alerté d’une fusillade boulevard Voltaire, il remonte avec son équipe « jusqu'à Nation. Sans rien voir. Il ne se passe rien. On ne voit rien, mais on se doute que les informations sont très parcellaires », débute-t-il. Puis, il est envoyé Comptoir Voltaire et apprend qu’il y a potentiellement encore une bombe dans le café. Là encore, cette impression obsédante de n’être qu’un fragment : « Je sais rapidement qu'il y a trois UA (urgences absolues) dans cette cour d'immeuble. Je les fais déplacer très rapidement dans un endroit couvert, parce qu’on est en plein vent et même s'il fait chaud ce soir-là, on est dehors. Je les fais déplacer un peu plus loin, dans un endroit où on peut travailler de manière plus efficace avec mon équipe. Et on voit ce qui se passe. Avant d'accéder aux victimes, j'ai la notion qu'il y a une bombe, mais je n'en sais pas plus. Je ne sais pas s'il y a des blessures par balles. J'ai une vision très parcellaire de ce qui s'est passé. Et ça, je m'en rends compte à posteriori. Quand on arrive, les trois victimes sont conscientes et je comprends qu'elles sont polycriblées, mais je ne sais pas avec quoi. Ça, je ne le découvre que le lendemain, en regardant les radiographies des victimes ».Solitude
Corollaire de ce monde découpé, le sentiment de solitude. «
Je suis très seul. Il y a beaucoup de monde, beaucoup de
secouristes, de pompiers, autour de nous, mais je suis très seul
parce que je suis la seule équipe médicale, et donc le seul médecin
sur les lieux. Et ça, c'est quelque chose dont on n’a pas
l'habitude, surtout à Paris. A Paris, les moyens médicaux sont très
importants, dès qu'il se passe quoi que ce soit, il y a très vite
beaucoup de renforts médicaux. Mais là, je suis seul et je
comprends très vite qu'il n'y aura pas de renforts »
raconte-t-il.
Routine
Détachement
Inévitablement, cependant, cette nuit a interrogé son approche
de la médecine. Un détachement s’est créé en lui : « Je crois
que ce soir-là m'a permis de me détacher de mon travail. J'aime mon
travail et je pense le faire de manière très consciencieuse et
professionnelle, mais je crois que c'est là où j'ai compris que
c'était... un travail. Pour beaucoup de gens, la médecine n'est pas
un travail, ça fait partie de leur vie. Et je crois que ça m'a fait
évoluer là-dessus ». Peut-être que cette attitude n’est pas
étrangère au fait que contrairement à d’autres SMUR, il n’y a pas
eu au sein de son équipe de débriefing psychologique. Une lacune
qu’il a éprouvée avec colère : « On n'avait d’ailleurs pas de
psychologue référent sur le service, et ce n'est toujours pas le
cas. On fait des métiers où au quotidien, on est amenés à voir des
choses très dures. Mais c'est toujours ce dogme qu'on nous apprend
depuis qu'on est tout petit : "T'es médecin, tu encaisses et tu
fais avec. Tu encaisses sans pleurer, sans geindre..." C'est au
départ vu comme une faiblesse de solliciter une aide. C'est un
défaut d'éducation dans nos études, avec des aînés qui nous ont
inculqué ça.
J'espère qu'on y revient. Et je pense qu'on y revient :
après des évènements comme ça, il y a une réflexion autour de ça et
on essaie de faire plus attention à nous » conclut-il.
L.C.