
La sécurité sociale durablement impactée par la crise
Ces largesses interviennent dans le contexte de comptes
sociaux lourdement grevés par la pandémie et ses conséquences
économiques. En 2020, le déficit agrégé du régime général et du FSV
(Fonds de solidarité vieillesse) a atteint son niveau le plus élevé
(-38,7 Md€), bien supérieur à 2010 et la crise financière (-28,0
Md€). En 2021, le déficit du régime général s’améliorerait
modérément (+4,6 Md€) au regard du rebond marqué de l’activité
économique favorable aux recettes de la sécurité sociale et
s’établirait tout de même à -34 Md€ ! Les effets favorables de la
conjoncture sont en effet contrebalancés par une forte progression
des dépenses (+6,2%) du fait de la persistance de frais
exceptionnels pour faire face à la crise sanitaire (tests,
vaccination) et des mesures du Ségur en faveur des établissements
de santé et médico-sociaux. En 2022, le solde serait en très nette
amélioration (+13,0 Md€ sur le champ du régime général et du FSV).
Cette amélioration s’expliquerait d’abord par la forte baisse des
coûts liés à la crise sanitaire (4,9 Md€ provisionnés dans l’ONDAM
2022 après 14,5 Md€ dans l’ONDAM 2021 rectifié). Ainsi, les
dépenses nettes consolidées du régime général et du FSV ne
progresseraient que de 0,8%. Parallèlement, les recettes
augmenteraient de 3,9%, « dynamisées par le rebond de la masse
salariale du secteur privé ». Les prévisions pour les années
suivantes restent très incertaines, « puisqu’elles dépendent de
l’évolution de la situation sanitaire et de la vigueur de la
reprise économique au cours des prochains mois » note le
gouvernement. A ce stade, les prévisions présentées dans le PLFSS
font état d’un déficit (abyssal !) en baisse mais persistant, de 13
Md€ en 2024.


Tableau 1 Solde par branche,
2020-2025
Un ONDAM peut en cacher un autre
En 2021 les dépenses de l’assurance maladie, en prenant en
compte la poursuite de la lutte contre la COVID-19, le déploiement
des mesures du Ségur de la santé et de l’avenant numéro 9 à la
convention médicale (dont les montants sont sans commune mesure !),
sont estimées à 237,1 Md€, soit une évolution à champ constant de
+7,4 % par rapport à l’ONDAM (Objectif national des dépenses
d'assurance maladie) rectifié de 2020. Mais cette année l’ONDAM est
encore plus difficile à appréhender qu’avant la crise. Ainsi, s’il
continuera à progresser fortement en 2022 (+3,8 % hors dépenses
liées à la crise sanitaire et +2,6 % hors celles liées au Ségur de
la santé), du fait de la baisse des frais en lien avec l’épidémie
(5 Md€ de provisionnés pour 2022 contre près de 15 Md€ prévus en
2021), sur l’ensemble du périmètre, l’évolution serait de -0,6 %
par rapport à l’ONDAM rectifié de 2021.

Figure 2. Évolution de l’ONDAM 2020-2022
compte tenu de la crise et des mesures Ségur
Un -0.6 % qui fait dire au Collectif inter-hôpitaux que « la
communication gouvernementale est déconnectée de la réalité » alors
qu’Olivier Veran s’était félicité : « pour la première année
depuis des lustres, aucune économie n’est imposée à l’hôpital
».Paradoxalement, avec les mêmes données, le SML estime au
contraire « qu’une fois encore le Gouvernement fait le choix de
privilégier l’hôpital au détriment de la médecine de ville
»…

Tableau 2. Détails par
sous-objectifs
Les derniers feux du Ségur
Plus de 2 Md€ supplémentaires sont consacrés en 2022 aux revalorisations du Ségur et aux mesures qui le prolongent et décidées depuis, « afin de promouvoir la transformation des métiers et la revalorisation de ceux qui soignent ». Ces dispositions s’ajoutent à l’ensemble des revalorisations dont ont déjà bénéficié les professionnels des établissements de santé et médico-sociaux en 2020 et 2021 (revalorisation socle de 183 € nets par mois, refonte des grilles, intéressement collectif…). Au total, ce sont près de 10 Md€ de hausses salariales des métiers de la santé et du médico-social qui auront été financées via l’ONDAM entre 2020 et 2022.
Tableau 3. Mesures salariales nouvelles
pour les métiers de la santé en 2022
Multiplication des mesures de « prévention »
Outre la gratuité de la contraception féminine jusqu’à 25 ans, largement commentée dans la presse (y compris dans JIM1), le gouvernement met en place avec ce PLFSS de nouvelles mesures de délégation de compétences entre ophtalmologues et orthoptistes.Ainsi, les orthoptistes réalisent déjà, en lien avec les
ophtalmologistes, les bilans visuels simples pour les faibles
corrections, incluant l’examen de réfraction. Le Gouvernement
propose désormais de les autoriser, sans prescription médicale
préalable, à réaliser ces bilans mais également à prescrire les
aides visuelles adaptées (lunettes, lentilles de contact) pour les
corrections faibles, « ce qui permettra de réduire fortement les
délais d’attente, d’augmenter le nombre de patients reçus et par
conséquent d’améliorer l’accès aux soins » estime le
gouvernement, sans probablement le parfait aval des ophtalmologues
! Le nombre de patients concernés par la mesure est estimé à 6
millions.
« Cette modification de l’organisation de la filière
visuelle permettra également d’améliorer la prise en charge par les
ophtalmologistes, qui se concentreront davantage sur la prise en
charge des patients à risques pathologiques plus élevés »
relève encore les ministres concernés par le PLFSS. .
Entrée dans le droit commun de la télésurveillance
La télésurveillance médicale a fait l’objet ces dernières années d’une expérimentation intitulée « ETAPES - Expérimentations de Télémédecine pour l’Amélioration des Parcours en Santé ». Les expérimentations « ETAPES »2 permettent la prise en charge par l’Assurance maladie, dans un cadre dérogatoire, de la télésurveillance pour cinq pathologies chroniques (diabète, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire et prothèses cardiaques implantables à visée thérapeutique). Elles doivent prendre fin au plus tard le 31 décembre 2021. Ce PLFSS vise à inscrire dans le droit commun la prise en charge de la télésurveillance par l’assurance maladie. Une mesure définit ainsi l’architecture globale et les différents paramètres d’un modèle de financement de la télésurveillance. Une tarification forfaitaire des activités de télésurveillance sera mise en place en 2022. Les forfaits intégreront la prise en charge des équipes pluridisciplinaires ainsi que les dispositifs médicaux de télésurveillance et les dispositifs médicaux de collecte de données qui pourront y être associés.Médicament : le gouvernement tente la relocalisation
Nous avons déjà évoqué le milliard supplémentaire qui sera
dévolu au médicament dans ce PLFSS3.
Dans le dossier de presse qui accompagne ce PLFSS, le
gouvernement explique en quoi il pourra permettre de casser le
cercle vicieux des pénuries de médicaments (ce dont beaucoup
d’observateurs doutent…).
« Afin de limiter les risques de pénuries et d’accroitre la
sécurité d’approvisionnement du marché, il convient d’encourager à
la relocalisation en Europe de la production des principes actifs
les plus critiques et de se doter de capacités de production
flexibles. Le gouvernement souhaite donc renforcer la prise en
compte de l’empreinte industrielle dans la fixation des prix des
produits de santé, de façon à inciter à l’augmentation des
capacités de production en vue de l’approvisionnement du marché
national. Une mesure est ainsi proposée dans le présent projet de
loi pour inscrire expressément ce critère comme critère de
tarification des produits de santé. Cette mesure complète le plan
d’action mis en place avant la crise sanitaire et notamment la mise
en œuvre du décret stock imposant aux industriels de constituer un
stock minimal de médicament pouvant aller jusqu’à 4 mois »
détaille l’exécutif.
143 millions de dépenses nouvelles pour le handicap
Outre le plan pour l’autonomie des personnes âgées, venu
remplacer à la hâte la loi Grand âge4, ce PLFSS consacre 143
millions d’euros supplémentaires au handicap et à
l’autisme.
Au-delà des 425 M€ de revalorisations salariales prévues en
2022 pour les professionnels intervenant dans la prise en charge du
handicap (387 M€ dans le cadre du Ségur de la santé et de ses
extensions, et 39 M€ au titre de l’accord de la branche de l’aide à
domicile), l’offre à destination des personnes en situation de
handicap va s’enrichir de 143 M€ dédiés au « financement de
places nouvelles en réponse aux besoins identifiés sur les
territoires (67 M€) ; à la réponse aux situations critiques par la
diversification des solutions d’accompagnements (10 M€) ; à
la convergence des réponses aux problématiques croisées du champ de
l’enfance et du handicap (15 M€). Par ailleurs, afin de soutenir
les parents en situation de handicap dès leur projet parental et
jusqu’aux premières années de leurs enfants, des services
d’accompagnement à la parentalité des personnes en situation de
handicap seront déployés dans les régions (7 M€). Le PLFSS intègre
également le renforcement de l’offre de répit avec la création de
places d’accueil temporaire supplémentaires (2 M€), afin d’apporter
une réponse aux aspirations légitimes des aidants. Enfin, il est
prévu de soutenir la création d’unités d’enseignement pour les
élèves polyhandicapés (6 M€), afin de permettre à ces enfants
d’être scolarisés au sein de l’école ordinaire tout en bénéficiant
d’un accompagnement selon leurs besoins ».
L’automatisme de la complémentaire santé solidaire
Dans un objectif de lutte contre le non-recours, l’attribution
de la complémentaire santé solidaire sera facilitée pour les
bénéficiaires de minimas sociaux qui y sont automatiquement
éligibles compte tenu de leurs ressources. Ainsi, suite à une
demande de RSA, les allocataires n’auront plus à solliciter la
complémentaire santé solidaire : ils en bénéficieront
automatiquement sans aucune démarche, sauf opposition expresse de
leur part. L’objectif est que 95% des nouveaux bénéficiaires du RSA
soient couverts par la complémentaire santé solidaire d’ici à
2025.
Pour finir et éviter de tomber dans l’inventaire à la Prévert,
citons trois autres dépenses nouvelles : le « renforcement du
service public des pensions alimentaires », l’établissement
d’un « versement en temps réel du crédit d’impôt et des aides
sociales liées au service à la personne » et les mesures visant
à « l’amélioration de la protection sociale des travailleurs
indépendants ».
1) La contraception sera gratuite pour toutes les femmes jusqu’à l’âge de 25 ans
2) Notamment évoquées ici : Télémédecine : plus que jamais d’actualité !
3) PLFSS et médicament : un milliard d’euros qui ne changeront pas le problème des ruptures de stock
4) Grand âge : Castex dans les pas de Talleyrand
Frédéric Haroche