A quand un dépistage organisé du cancer du poumon en France ?

Paris, le mardi 23 novembre 2021 - L’essai Nelson (1), dont les dernières conclusions ont été publiées en 2020 a mis en évidence une réduction de la mortalité liée au cancer du poumon de 25 % chez les hommes et de 33 % chez les femmes grâce à un dépistage systématique et régulier du cancer du poumon par scanner thoracique faible dose.

Un autre essai, NLST (2), a retrouvé des données comparables, mais sa méthodologie a parfois été remise en question. Dans cette dernière étude, une diminution de la mortalité globale de 6,7 % était même observée.

Des autorités très réservées

Malgré ces données probantes, les autorités sanitaires n'ont pas encore acté en faveur d'un dépistage organisé du cancer du poumon chez les fumeurs et les anciens fumeurs. Elles y semblent en effet apparemment réticentes. Ainsi, en 2016, la HAS (Haute Autorité de Santé) s’était penchée sur la question et n’avait pas recommandé ce dépistage arguant que « les conditions de qualité, d’efficacité et de sécurité nécessaires à la réalisation du dépistage du cancer broncho-pulmonaire par tomodensitométrie thoracique à faible dose de rayons X chez des personnes fortement tabagiques ou l’ayant été ne sont pas réunies en France ». Depuis, l’autorité n’a pas changé sa position à l’aune des dernières avancées de la littérature médicale.

De même, au début de l’année, l’Académie de médecine s’était prononcée contre un tel dépistage.

Faisant fi de ces réserves, la Fédération Nationale des Médecins Radiologues, le Syndicat National de l’Appareil Respiratoire et le Syndicat National des Radiothérapeutes Oncologues lancent un nouvel appel en faveur de ce dépistage.

Efficace et sans danger

Ils mettent d’abord en avant l’absence de risque de ce dépistage. « L’efficacité est telle que la dose utilisée est inférieure à celle d’une radiographie pulmonaire standard » avancent-ils.

En effet, selon les travaux cités précédemment, on estime le sur-risque de cancer lié à ce dépistage à 0,019 %.

Par ailleurs, ils soulignent : « Depuis cinq ans environ, aux États-Unis, certaines compagnies d’assurance santé ont décidé de faire passer un tel examen à leurs sociétaires à risque ».

Mais « En France, rien n’est encore au programme » tempêtent-ils.
 
Aussi, ils présentent leur plan. Il s’agirait d’un « dépistage qui concerne les patients fumeurs, ou sevrés depuis moins de 10 ans, entre 50 et 74 ans (seuil à 10 cigarettes par jour pendant 30 ans ou 15/j pendant 25 ans), informés et consentants, acceptant une démarche de sevrage (ce point est essentiel et apporte une valeur ajoutée à la démarche). Le protocole consiste à proposer à 50 ans un scanner thoracique (et non une radiographie), à faible dose et sans injection de produit de contraste. La lecture est faite sur console. Une seconde lecture par CAD plutôt que par un autre radiologue est ensuite recommandée. Les radiologues doivent avoir reçu une formation spécifique validée, rédiger leur compte rendu sur une base commune et les scanners avoir bénéficié d’un contrôle qualité. L’examen, si négatif et sans autres facteurs de risque, sera réitéré à un an, puis tous les deux ans jusqu’à 74 ans ».
 
Ils terminent sur une note d’espoir : « Gageons que notre détermination depuis des années (amendements déposés par des parlementaires dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour une expérimentation du dépistage dans une ou deux régions française) nous amènera à faire bouger les lignes et aboutir à un consensus de la part de l’ensemble des acteurs institutionnels, libéraux et hospitaliers en faveur d’un dépistage organisé du cancer du poumon, France entière, à partir de 50 ans ».

Frédéric Haroche

Références
De Koning HJ et coll : Reduced Lung-Cancer Mortality with Volume CT Screening in a Randomized Trial. N Engl J Med 2020; 382:503-513. DOI: 10.1056/NEJMoa1911793
The National Lung Screening Trial Research Team : Reduced Lung-Cancer Mortality with Low-Dose Computed Tomographic Screening. N Engl J Med 2011; 365:395-409 DOI: 10.1056/NEJMoa1102873

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Vos réactions (2)

  • Sujet politique et économique

    Le 23 novembre 2021

    Très clairement il s'agit d'un sujet de santé publique : prix de revient contre retour financier espéré.

    Les chiffres semblent être disponibles, et peut être évolutifs (si les américains s'y mettent , on aura des données vite actualisées).
    Je n'ai pas d'avis, mais un essai grandeur nature me semble possible : une Région (puisque les régions doivent voir leur autonomie en politique de santé augmenter) peut très bien lancer un dépistage dans une zone géographique conséquente, et on aurait en quelques années la répons .

    Dr F Chassaing

  • Pas de réduction de la mortalité toutes causes confondues

    Le 23 novembre 2021

    L'étude sur l'essai NELSON publiée dans le NEJM ne mettait PAS en évidence de réduction de la mortalité globale :All-cause mortality — deaths per 1000 person-yr 13.93 (screening group) 13.76 (control group) RR 1.01 (0.92–1.11), comme on peut le lire dans la dernière ligne du tableau 4 (https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1911793)
    Ceci signifie en clair qu'il n'y a AUCUN retentissement sur la mortalité toutes causes, et c'est la SEULE donnée qui doit intéresser le public et les médias qui rapportent les résultats d'études, parce que cette donnée inclut à la fois la mortalité par cancer mais aussi celle du fait des traitements, et correspond à la "vraie vie".

    L'Académie de Médecine avait fait un rapport très sérieux, complet et argumenté qu'il faut rappeler, disant :

    1-Les deux essais principaux sur le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose ont grandement sous-estimé les effets nocifs potentiels (faux positifs, surdiagnostics, faux négatifs, irradiations et surtraitements). On ne connaît pas l'ampleur du bénéfice ni l'ampleur des risques, et même si on obtient ce taux de 25% de guérison parmi les sujets inclus dans l'étude, la majorité des malade décèdera précocement des autres pathologies du tabagisme (autres cancers, cardiopathies, emphysème etc...) sans que leur espérance de vie ne soit allongée.

    2-Pour qu'un dépistage soit efficace, il faut avoir des cancers à latence suffisamment longue pour les "rattraper" lors d'un dépistage (donc le moins possible de cancers d'intervalle) ; or la proportion des cancers à latence longue dans le poumon est faible.

    3-"Ces cancers sont majoritairement dus au tabagisme actif et, marginalement au tabagisme passif : plus de 85% des cas peuvent être attribués au tabac. La diminution progressive du tabagisme chez les hommes (60% de fumeurs dans les années 60 à 33% actuellement) se traduit par la diminution de l’incidence et de la mortalité dues à ces cancers", ce qui équivaut à dire que ce cancer est tout bonnement accessible à de bonnes campagnes de prévention primaire, et aux incitations d'arrêt du principal facteur de risque, le tabac.

    4-"L’histoire naturelle et évolutive de la maladie doit être connue et les diverses formes définies"." Entre 50 et 74 ans les cancers du poumon sont donc essentiellement composés d’adénocarcinomes qui semblent les plus facilement détectables. Par exemple, dans l’essai européen NELSON, 61% des cancers broncho-pulmonaires du groupe dépisté sont des adénocarcinomes contre 44% dans le groupe témoin ce qui pourrait expliquer un meilleur effet du dépistage chez les femmes."

    5-Il y a beaucoup d'inconnues : sur la population cible, sur le taux de participation souhaitable, la fréquence des scanners, les indications thérapeutiques pour les cancers découverts lors du scanner, l'acceptabilité par les patients, la motivation et le respect de l'arrêt du tabac etc.

    6-les personnes qui participent aux essais ne sont pas représentatives de l’ensemble de la population éligible au dépistage ultérieurement, ce qui peut entrainer une surestimation de l’efficacité dans l'étude Nelson.

    7-Une évaluation économique s'impose aussi, l'Académie soulignant fort justement que la prévention primaire est certainement plus efficace et moins coûteuse.

    A l'heure où on commence enfin à prendre la mesure, mondialement, des terribles dégâts du surdiagnostic et du surtraitement générés par des dépistages et des tests de routine, tout ça pour une réduction de mortalité bien décevante, il est plus que salutaire que des scientifiques, comme ceux de l'Académie de Médecine, jouent la prudence, se posent les bonnes questions et ne partent pas bille en tête pour la promotion de dispositifs onéreux, profitables à certains, certes, mais pas forcément utiles à la population...

    Pour une fois que l'éthique médicale et le bon sens passent avant le business de la dépistologie, écoutons ces réticents, cela permettra peut-être d'échapper aux catastrophes de la surmédicalisation que subissent certaines populations ciblées par des dépistages, sans l'information loyale sur les risques qu'on leur doit pourtant...

    Dr Cécile Bour

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