
Paris, le vendredi 31 décembre 2021 – Le projet de loi
transformant le passe vaccinal en passe sanitaire contient un
article renforçant le contrôle judiciaire sur l’hospitalisation
sous contrainte.
Quel rapport entre l’hospitalisation sous contrainte des
malades psychiatriques et le passe vaccinal ?
Aucun me direz-vous et vous auriez bien raison. Et pourtant,
le projet de loi sur le passe vaccinal, actuellement examiné en
commission à l’Assemblée Nationale, contient un article 3 qui met
en place un contrôle judiciaire renforcé sur les mesures
d’isolement et de contrainte des personnes hospitalisées sans leur
consentement. Un article sans aucun rapport avec la crise
sanitaire, qui devrait a priori moins soulever les passions que les
dispositions relatives au passe vaccinal, mais qui risque pourtant
de bouleverser l’activité des hôpitaux psychiatriques
français.
Dans le détail, l’article 3 du projet de loi modifie l’article
L. 3222-5-1 du code de la Santé Publique qui disposera désormais
que le directeur d’un établissement psychiatrique devra saisir le
juge des libertés et de la détention (JLD) à chaque fois qu’un
médecin souhaitera prolonger une mesure d’isolement d’un malade
au-delà de 96 heures ou une mesure de contention au-delà de 72
heures.
Le JLD devra être saisi pour chaque prolongation de la mesure.
Cependant, s’il a déjà autorisé le maintien de l’isolement ou de la
contrainte à deux reprises, sa saisine ne sera nécessaire que tous
les 7 jours.
Quand le Conseil Constitutionnel devient fou
Ce dispositif est le fruit d’un processus judiciaire complexe
qui dure depuis 18 mois. Tout a commencé le 19 juin 2020, lorsque
le Conseil Constitutionnel, saisi par la voie de la question
prioritaire de constitutionnalité (QPC) a jugé que les dispositions
de la loi du 26 janvier 2016, qui ne prévoyaient aucun encadrement
judiciaire en cas d’isolement ou de contrainte d’un malade mental,
étaient contraires à la Constitution. Les neufs sages avaient jugé
que sans intervention du juge, ces mesures portaient atteinte à
l’interdiction de la détention arbitraire, prévue à l’article 66 de
la Constitution.
Le gouvernement et les parlementaires avaient cru répondre à
cette censure en insérant dans la loi du 14 décembre 2020 un
dispositif prévoyant que les médecins devaient informer le JLD au
bout de 48 heures pour un isolement et de 24 heures pour une
contention, le JLD devant alors choisir de se saisir de l’affaire
ou non. Pas suffisant pour le Conseil Constitutionnel, qui a
censuré la nouvelle loi à la suite d’une autre QPC le 4 juin 2021,
estimant que seul un contrôle systématique du juge répondait aux
exigences de la Constitution.
Le gouvernement s’est alors remis à l’ouvrage, a créé le
dispositif de contrôle judiciaire décrit plus haut et l’a inséré
dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Nouvelle erreur : le 16 décembre dernier, le Conseil
Constitutionnel censurait à nouveau la loi, pour une question de
forme cette fois. En effet, la nouvelle règlementation constituait
ce qu’on appelle un « cavalier législatif », c’est-à-dire
qu’elle avait trop peu de rapport avec l’objet principal de la
loi.
Les psychiatres face à un vide juridique
Si on peut supposer que la nouvelle procédure sera jugée
conforme à la Constitution, l’imbroglio juridique n’est pas fini
pour autant.
En effet, dans sa décision du 4 juin 2021, le Conseil
Constitutionnel avait laissé au législateur jusqu’au 31 décembre
2021 pour revoir sa copie. Mais le cavalier législatif et sa
censure ont fait perdre un temps précieux au gouvernement. Le délai
ne sera pas respecté, puisque le projet de loi actuel ne devrait
pas entrer en vigueur avant le 15 janvier 2022 au mieux. Les
psychiatres français vont donc se retrouver, pendant quelques
semaines au moins, dans un vide juridique.
Techniquement, ce sont les dispositions antérieures à la loi
du 26 janvier 2016, censurée en 2020, qui s’appliquent. Mais cette
loi ayant été la première à définir légalement la contrainte et
l’isolement, ces mesures se retrouvent donc privés de toute base
légale et assimilables à des violences ou à de la séquestration. La
Fédération française de psychiatrie recommande donc aux hôpitaux
psychiatriques de faire « comme si » la loi du 14 décembre
2020 était toujours en vigueur et d’informer le JLD à chaque mesure
d’isolement et de contrainte. Avec le risque que des juges trop
zélés n’annulent systématiquement chaque mesure, au motif qu’elle
ne repose sur aucune base juridique.
Quentin Haroche