
Des tonnes de matériel médical et des millions de comprimés d’iode
Ces couloirs auraient également dû permettre de faciliter l’acheminement de matériels médicaux qui affluent du monde entier. Déjà samedi, l’Unicef a coordonné l’arrivée à Lviv (ouest du pays) d’un premier lot de fournitures, composé de six camions contenant « environ 62 tonnes de matériel, notamment des fournitures médicales telles que des médicaments, des kits de premiers secours, des kits pour sages-femmes et du matériel chirurgical, ainsi que des kits pour la petite enfance et des kits récréatifs » indique l’agence de l’ONU. On sait également que la France doit fournir 2,5 millions de doses d’iode aux habitants pour « parer à tout danger nucléaire » a indiqué sur BFM-TV l’ambassadeur de France en Ukraine Etienne de Poncins. Il s’agit notamment de prévenir les conséquences d’éventuelles attaques que pourraient subir les centrales nucléaires ukrainiennes, même si Vladimir Poutine a assuré ce week-end à Emmanuel Macron que ses armées n’avaient pas l’intention de cibler ces installations.Pas forcément un signe positif
Attendue depuis plusieurs jours, l’ouverture de corridors
humanitaires n’est cependant pas considérée comme une fin en soi et
comme une nouvelle totalement encourageante par certains. Ainsi,
Pierre Mendiharat, directeur adjoint des opérations de Médecins
sans frontières, remarque interrogé par franceinfo « Le couloir
humanitaire dans l'histoire de la guerre a pu avoir une certaine
opérationalité. (…) Je pense que pour certaines personnes, ce
serait une bonne nouvelle s'ils sont vraiment mis en œuvre, mais
quand on en arrive à parler de couloirs humanitaires, c'est que la
situation est déjà critique. Ce qu'on a vu avec les couloirs
humanitaires en Syrie, c'est que c'est le signe d'une situation
extrêmement dégradée où les civils, de facto, sont pris pour cible.
Les civils devraient être épargnés à chaque instant, pouvoir
d'ailleurs se déplacer et fuir à n'importe quel moment. Il n'y a
pas de raison que ce soit seulement conscrit à un temps et un
endroit très limités. C'est très inquiétant d'entendre parler de
couloirs humanitaires » observe-t-il.L’action entravée des organisations humanitaires
Cette analyse est corroborée par les difficultés que les équipes de MSF rencontrent sur le terrain. Même s’il estime aujourd’hui que les hôpitaux ukrainiens fonctionnent « dans 95 % des endroits où on a pu se rendre », Pierre Mendiharat indique en effet que MSF (et les autres organisations humanitaires) peinent à se déployer, en raison des situations de quasi blocus dans certains localités, comme à Marioupol. « On essaie de faire parvenir aux hôpitaux ukrainiens des médicaments et du matériel chirurgical pour qu'ils puissent continuer à fonctionner. C'est très difficile. Il y a des bombardements sur énormément de zones du pays. Il n'y a pas de système de contact établi avec les états-majors qui soit solide pour permettre de circuler avec des garanties. Pour l'instant, malheureusement, nos opérations ne sont pas si importantes qu'on le souhaiterait » détaille-t-il encore.Des hôpitaux modernes mais très exposés
Ce constat contrasté est également celui fait par le Dr Alain Puidupin du Service de santé des armées qui s’exprime dans Le Parisien. Il rappelle ainsi : « le système de santé ukrainien est moderne, efficient et (…) aujourd’hui, il peut prendre en charge les blessés graves. Les praticiens sont d’un niveau européen. Pour les jours et semaines à venir, des blocs opératoires qui fonctionnent seront nécessaires, ce qui est pour l’instant le cas. Il faut également des réserves de sang et des donneurs réguliers car le sang ne peut se conserver que 28 jours, alors qu’il va falloir tenir sur la durée. Pour les blessés en grande défaillance hémorragique ou respiratoire à cause notamment d’une blessure thoracique, l’oxygène est essentiel. On a besoin d’oxygène pour opérer mais aussi pour réanimer les patients. La question qui risque effectivement de se poser si le conflit dure, c’est le ravitaillement des besoins : oxygène, respirateurs, antibiotiques… » note-t-il. Enfin, toujours concernant la situation des hôpitaux, les témoignages de responsables hospitaliers telle Yuliya Siedaia, directrice des hôpitaux du Nord de l’Ukraine ou les informations dont dispose l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) font état d’une multiplication des attaques touchant les établissements de santé.Premières « paniques » en France
A deux heures d’avion de Kiev, Paris et le reste de l’Europe occidentale ont les yeux rivés sur cette guerre et les manifestations d’angoisse dans la population commencent à se multiplier. C’est ainsi que l’Ordre des pharmaciens a confirmé hier que les officines signalent une « hausse significative des demandes de comprimés d’iode ». Il rappelle dans un message partagé par le ministre de la Santé que « L’acquisition et la prise d’iode stable en précaution par les français, hors d’une instruction des autorités, n’est pas nécessaire. L’efficacité maximale de l’absorption d’iode est constatée s’il est ingéré dans les 6 à 12 heures après exposition. La prise d’iode doit se faire uniquement à la demande du préfet de département ou de son représentant ». Cette multiplication des demandes de comprimés d’iode témoigne bien de l’anxiété qui s’empare d’une partie de la population française. Les médecins, en particulier les psychiatres, l’observent également dans les discours de leurs patients depuis quelques jours. « Dès que l'Ukraine a été envahie par l'armée russe, les patients que je vois chaque jour ont fait état d'une montée d'angoisse liée à cet événement », explique ainsi cité par Slate.fr le Dr Patrick Clervoy, spécialiste de l'anxiété et des traumatismes de guerre et professeur agrégé de l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce. « Ils évoquent un mal-être, avec un esprit envahi en permanence par les informations et les images », ajoute-t-il encore. Face à cette situation, qui s’explique entre autres par le retour de la menace nucléaire (qui avait quasiment disparu des esprits depuis la fin de la guerre froide), la forte médiatisation des événements en Ukraine, l’implication de la France en tant que présidente de l’Union européenne et les deux années d’épreuve liées à l’épidémie, le Dr Clervoy déconseille la « politique de l’autruche ». Il préconise plus certainement de s’investir dans les opérations de solidarité. « Pour atténuer l'angoisse, s'informer sur la réalité des risques est la démarche préalable. Mais l'action la plus efficace pour atténuer nos sentiments négatifs, c'est de se bouger, de participer à l'élan collectif et aux différentes actions solidaires. En participant par exemple à une collecte de dons, chacun a le sentiment de répondre à la menace en mobilisant ses forces, aussi modestes soient-elles. C'est très sain », assure-t-il. Reste à ne pas être découragé par l’idée de la complexité de l’acheminement de cette aide.Aurélie Haroche