
Alors que le gouvernement canadien propose un projet de loi (dit C-22)[1] « modifiant le code criminel et la loi réglementant l’usage de certaines drogues et autres substances », cette initiative est commentée par des psychiatres et des criminologues.
Les auteurs voient dans ces propositions de dépénalisation de l’usage de drogues (jusqu’à présent) illicites une combinaison de déjà-vu (en français dans le texte), de diversion et de « diable dans les détails », une expression de Nietzsche paraphrasant un proverbe germanique incluant au contraire « Dieu dans les détails » et suggérant qu’une situation en apparence simple peut en fait se révéler compliquée par l’irruption d’effets pervers, susceptibles de causer des problèmes.
Selon les auteurs, peu de réformes proposées sont nouvelles ou innovantes dans ce projet de loi s’inscrivant dans une mouvance populaire en faveur de la décriminalisation de la consommation de drogues illicites au Canada, même parmi les intervenants des secteurs du droit et de la santé, pourtant confrontés aux problèmes sociaux et médicaux de l’usage des drogues.
Un glissement du délinquant au patient psychiatrique
Cette pression de l’opinion publique en faveur de la dépénalisation s’est notamment amplifiée face à la crise des opioïdes dont on connaît les ravages en Amérique du Nord, crise marquée par une mortalité par surdosage et un manque durable de solutions vraiment efficaces. Toutefois, cette décriminalisation demeure un concept complexe pouvant comporter de multiples pièges ou exposer à des conséquences négatives imprévues.
Si la dépénalisation est en théorie louable compte tenu de sa prémisse de réduire la sévérité de la loi pour l’usage personnel de drogue, elle envoie par contre de façon ambivalente un message normatif sur la perception de cet usage par la société, en particulier avec la difficulté d’une « délimitation catégorielle » des notions de « bien et du mal », relativement à la drogue. Si l’approche de dépénalisation consiste en une forme de « déjudiciarisation », c’est-à-dire d’arrangements où une peine pénale est suspendue ou réduite en faveur d’interventions alternatives, cette peine demeure « inactive », à l’image d’une « condamnation avec sursis », tant que le contrevenant respecte ces « mesures alternatives. » En matière de consommation de drogues, c’est en pratique le cas quand le glissement s’opère du statut de consommateur délinquant, puni par la justice, vers celui de patient toxicomane, traité par la psychiatrie.
[1] https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/pl/charte-charter/c22.html
Dr Alain Cohen