
Paris, le lundi 14 mars 2022 – Quasiment deux ans jour pour jour après la mise en place d’un confinement, totalement inédit dans la France moderne, impliquant l’arrêt d’un grand nombre d’activités et la fermeture des écoles, il n’est pas inutile de s’interroger sur ce que le gouvernement aura appris concernant la gestion de l’épidémie de Covid. A la lueur de l’évènement du jour, soit la fin de l’obligation du port du masque dans la plupart des lieux intérieurs (sauf les transports en commun et les établissements de santé) et la suspension (qui n’est pas l’annulation) du passe vaccinal, la réponse pourrait être empreinte de fatalisme. En effet, de la même manière qu’en décembre 2020, il n’avait finalement pas respecté les seuils qu’il s’était fixé pour lever les mesures alors en vigueur, aujourd’hui, masque et passe disparaissent alors que les seuils indiqués par Olivier Véran pour ce faire il y a quelques jours n’ont pas été atteints.
Incidence en hausse
Ainsi, le ministre de la Santé avait considéré que ces dispositifs pourraient disparaître si le seuil d’incidence était inférieur à 500 : il atteint aujourd’hui 629 cas pour 100 000. Il a en effet progressé dans toutes les tranches d’âge au cours de la semaine dernière, de 4 % chez les 90 ans et plus à 22 % chez les 20/29 ans. Il est le plus élevé en Bretagne, ce qui est constitue un phénomène inédit depuis le début de l’épidémie. Le ministre de la Santé avait par ailleurs fixé à 1500 le nombre de patients atteints de Covid en soins critiques (incluant les personnes hospitalisées en raison de la Covid et celles admises pour une autre raison mais infectées par SARS-CoV-2). Ce nombre était hier de 1855. En outre, la poursuite de la décrue que l’on constate à l’hôpital pourrait être liée au décalage qui existe toujours entre la hausse du nombre de contaminations et les admissions dans les établissements de santé : d’ailleurs le nombre d’admissions quotidiennes en soins classiques stagne désormais.
Sixième vague
D’une manière générale, dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest, une « sixième vague » est constatée sans nuance. Le nombre de cas positifs a ainsi progressé de 33 % en Grande-Bretagne, de 16 % en Allemagne ou encore de 17 % en Italie entre le 6 et le 10 mars (+ 11 % en France).
Les causes de cette nouvelle vague semblent multiples. L’abandon dans de nombreux pays des mesures dites « barrière » est mis en avant. Cependant, la temporalité de ce relâchement n’a pas été le même partout en Europe, ce qui limite un peu la portée de cette piste. Plus simplement, et comme toujours, la circulation d’un nouveau variant (BA2), dont la transmission n’est que peu évitée par la vaccination, apparaît principalement responsable de cette nouvelle vague.
Une communication éternellement ratée
Dès lors, faut-il considérer que le gouvernement aurait dû s’en tenir aux seuils qu’il avait édictés et estimer que la nouvelle « dégradation » de la situation épidémique devait le conduire à renoncer à ses promesses et à plus de prudence ? De fait, si l’on veut espérer que les seuils répondaient à une réelle logique sanitaire, ne pas en ternir compte le jour J ne peut qu’accroître la défiance des populations. Il aurait donc peut-être été préférable, si l’idée de ne pas respecter les dates annoncées était jugé impossible vis-à-vis de l’opinion publique, d’éviter toute référence à des seuils.
Même l’Institut Pasteur est optimiste…
Au-delà de ces questions de communication, la fin de l’ensemble des mesures, même à des niveaux de circulation épidémique plus élevés que ceux espérés, peut être considérée comme légitime. D’abord, parce que plus que jamais, les notions très imparfaites d’incidence, dans un contexte toujours changeant de politique de dépistage, ne semblent plus permettre de dicter les décisions sanitaires. Par ailleurs, avec des variants comme Omicron BA1 et BA2, on sait que la très grande majorité des cas détectés sont asymptomatiques ou pauci symptomatiques, avec un risque restreint de formes graves (même chez les non vaccinés). D’ailleurs, le nombre de décès a connu une baisse de 18 % au cours de la semaine écoulée (avec moins de 30 morts comptabilisés hier par exemple). Il apparaît également que si les vaccins n’ont pas permis d’empêcher la circulation du nouveaux variants, ils demeurent performants pour limiter les cas nécessitant une hospitalisation. On relèvera encore que la situation dans les hôpitaux continue à connaître une tendance encourageante (même si on l’a dit ce n’est peut-être qu’un effet de décalage). Ainsi, on compte une diminution de 12 % du nombre de patients admis en soins critiques quotidiennement, de 6 % du nombre de patients hospitalisés et de 11 % de celui de malades en soins critiques. Enfin, les modélisations de l’Institut Pasteur, que l’on a toujours connu plus alarmantes que la réalité, prédisent un maximum de 180 000 cas par jour, contre plus de 300 000 fin janvier.
Renoncer au masque : une erreur ?
D’autres arguments plaidaient cependant en faveur du maintien d’une partie des mesures, en particulier du port du masque, dont la levée de l’obligation est regrettée par beaucoup d’experts. L’épidémiologiste genevois, Antoine Flahault remarquait ainsi dans le Parisien : « Je pense que la fin du masque obligatoire en intérieur est à contretemps et que la France fait une erreur. C’est une mesure relativement bien acceptée par la population, alors qu’une nouvelle vague arrive avec le sous-variant BA.2 ». Il espérait encore ce matin sur France Inter que le choix fait par certains de continuer à porter le masque ne constituera pas un point de friction. Alors qu’avant même l’amorce de la sixième vague, beaucoup regrettaient une disposition représentant un risque accru pour les personnes immunodéprimées (répondant peu ou mal au vaccin), la déception est encore plus forte aujourd’hui. Elle est en outre teintée d’une crainte qu’un retour en arrière sera peut-être difficilement accepté (en tout cas avant la fin de l’été). Par ailleurs, si dans les hôpitaux les périodes les plus critiques sont passées, les tensions demeurent dans des établissements qui sont loin d’avoir pu résoudre leurs problèmes d’effectifs. Or, l’hiver n’est pas terminé et le pays est même confronté à une recrudescence de l’épidémie de grippe, qui conjuguée à une vague (même faible) de Covid pourrait nécessiter de nouvelles déprogrammations ponctuelles.
Continuer à miser sur le vaccin
Face à ce panorama contrasté, le gouvernement veut affirmer que malgré l’approche des élections présidentielles et la guerre en Ukraine, la Covid n’a pas été oubliée. Ainsi, Jean Castex a-t-il annoncé ce week-end, qu’un second rappel vaccinal (généralement une quatrième dose) allait être proposé à toutes les personnes de plus de 80 ans. Une telle préconisation a déjà été faite en Allemagne (pour les plus de 70 ans) et en Suède. Le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale observe dans un avis publié ce matin : « Ce second rappel devrait conférer un bénéfice individuel contre les formes graves. Il convient de noter ici qu’il n’y a pas d’argument scientifique suggérant qu’il pourrait exister un effet d’épuisement de la réponse immune du fait de la répétition de la vaccination. En ce qui concerne les autres classes d’âge, il n’y a pas d’argument pour justifier la proposition d’une dose supplémentaire, tant sur le plan individuel que collectif, dans le contexte actuel de circulation virale ». Difficile de savoir cependant quel sera le succès de cette mesure alors que le nombre de vaccinations quotidien n’a jamais été aussi bas depuis le lancement de la campagne, avec 25 000 doses administrées chaque jour.
Aurélie Haroche