
Paris, le mardi 29 mars 2022 - A ce jour, une trentaine de milliers de réfugiés ukrainiens sont arrivés en France, dont une moitié serait en « transit » selon le gouvernement.
Ces migrants sont exposés à des risques sanitaires spécifiques en raison de l'incidence accrue de diverses maladies infectieuses dans leur pays d'origine, de conditions de vie perturbées et d’éventuelles séquelles de psycho-traumatismes. Or, le système de « protection temporaire » prévu par les instances européennes leur permet de bénéficier du même niveau de protection que la population du pays d'accueil en termes de mesures de prévention et de contrôle des maladies infectieuses et une prise en charge des frais de santé.
Aussi, dans ce contexte, la Direction générale de la santé a saisi le HCSP (Haut conseil de la santé publique) pour qu’il émette et rassemble des recommandations à destination des professionnels qui les prendront en charge.
Dans un premier temps, le HCSP réitère son avis concernant la visite médicale des étrangers primo-arrivants du 6 mai 2015.
« Rendez-vous santé » systématique
Il s’agit d’un « Rendez-vous Santé » systématique pour toutes les personnes migrantes primo-arrivantes dans un délai optimal de 4 mois après l’arrivée. Ce rendez-vous, soumis au secret médical a pour objectifs l’information, la prévention, le dépistage, l’orientation et l’insertion dans le système de soins de droit commun. Il a également pour vocation l’initiation d’une prise en charge des maladies chroniques non transmissibles et des vulnérabilités « engendrées par le parcours de migration », notamment les psycho-traumatismes.
En effet, le risque de traumatisme psychologique et ses conséquences (syndrome anxieux, syndrome de stress post traumatique et troubles de l’humeur) risquent d’être au premier plan des besoins de soins de la population accueillie. Pour le HCSP, dépister le risque de syndrome de stress post traumatique, le risque suicidaire, et d’éventuelles violences subies et organiser un soutien psychologique précoce est donc essentiel. Pour ce faire des cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) ont été activées et les équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP)et les centres médico-psychologiques (CMP) mobilisés.
A cet égard il est mis à disposition une cartographie dans les territoires des structures médicales et médicosociales et autres services mobilisés pour la prise en charge des migrants.
Réfugiés ukrainiens : un futur cluster géant ?
Le Ministère de la santé recommande en outre de prêter une attention particulière au Covid 19 en organisant une offre de dépistage notamment pour les personnes en hébergement collectif.
Si la situation sanitaire concernant la Covid-19 en Ukraine est difficile à établir, on sait en revanche que la couverture vaccinale deux doses est faible (35,6 %) et les rappels presque inexistants (1,7%). Cette adoption du vaccin est uniformément faible chez les adultes, y compris chez les plus de 60 ans.
Ceci s’explique par les réticences des Ukrainiens en la matière. En août 2021, près de 56 % étaient hésitants vis-à-vis de la vaccination contre la Covid-19. « Le SARS-CoV-2 est donc susceptible de circuler activement parmi les personnes migrantes originaires d’Ukraine et ces dernières ont peu de chances d’être protégées efficacement contre le risque d’infection et de formes graves en cas de facteurs de risque » souligne le HCSP.
Aussi il recommande de proposer à ces réfugiés une vaccination selon le schéma en vigueur en France.
Une population globalement mal protégée contre les maladies infectieuses
Cette faible adhésion à la vaccination anti-Covid est symptomatique de toute la prévention des maladies infectieuses en Ukraine.
Au-delà de la Covid, un récent rapport de l’ECDC (European Centre for Disease Prevention and Control) a mis en évidence la mauvaise protection des enfants contre les différentes maladies infectieuses.
Ainsi, en Ukraine, la vulnérabilité à la poliomyélite reste considérable. En effet, la couverture vaccinale des nourrissons contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (3 doses) était estimée à 80 % en 2021 (40 % des districts ayant une couverture inférieure à 80 %). Les niveaux de séro-protection, mesurés par une enquête réalisée dans 4 régions en 2017 chez des enfants âgés entre 2 et 11 ans, étaient inférieurs à 80 % pour la diphtérie et variables pour le tétanos (de 62 % à plus de 80 % selon la région). Cette situation a conduit à la survenue récente, depuis septembre 2021, de plusieurs cas de poliomyélite liés à la circulation d’un virus Sabinlike de type 2.
Concernant la rougeole, l’Ukraine a connu une épidémie très importante durant la période 2017-19 avec plus de 50 000 cas notifiés en 2018. En cause, ici aussi, une couverture vaccinale complète des nourrissons qui reste sous-optimale, 92 % en 2019 mais inférieure entre 2010 et 2016 à 60 %.
Or, la promiscuité dans les lieux d'accueil pourrait favoriser la transmission du virus. « Ceci est à considérer dans un contexte de vulnérabilité persistante de la population française au risque épidémique de la rougeole » note le HCSP.
La grippe saisonnière est également toujours en circulation et à prendre en compte dans un contexte de grande promiscuité. Une faible couverture vaccinale contre la grippe saisonnière a aussi été signalée pour la saison 2021-2022 en Ukraine, avec seulement 164 939 personnes vaccinées depuis le début de la saison grippale actuelle sur une population de plus de 43 millions de personnes…
La tuberculose encore très présente
La tuberculose (TB) demeure également un problème majeur de santé publique en Ukraine. Selon le rapport annuel 2021 de surveillance et de suivi de la tuberculose en Europe, basé sur les données de 2019, l'Ukraine a déclaré le deuxième plus grand nombre de cas de tuberculose (28 539), avec une incidence de 65 cas pour 100 000 et un taux de mortalité de 7,3 décès pour 100 000.L'Ukraine est l'un des 10 pays au monde où le poids de la tuberculose résistante aux médicaments (TB-MR) est le plus élevé et en 2019, l'Ukraine a déclaré 27 % de TB-MR parmi les nouveaux cas (4 490 cas). L'Ukraine a également la deuxième prévalence la plus élevée de co-infection VIH/TB (26 %) dans la Région européenne de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (7800 cas en 2019).
Le VIH reste d’une manière générale un problème important de santé publique. Selon le rapport annuel 2021 de surveillance du VIH en Europe, basé sur les données de 2020, l'Ukraine a signalé 15 658 nouveaux diagnostics de VIH. En 2020, le taux de diagnostic du VIH pour l'Ukraine était le deuxième plus élevé de la région européenne de l'OMS : 37,5 pour 100 000 habitants, alors que le taux de l'UE était de 3,3 / 100 000. Au total, on estime que 257 000 personnes vivent avec le VIH en Ukraine.
L’Ukraine est aussi une zone d’endémie intermédiaire pour l’hépatite B. Une étude menée en 2017 en Ukraine auprès d’un échantillon représentatif d’enfants nés entre 2006 et 2015 retrouvait une prévalence de l’antigène HBs de 0,2% (8/4 596) et des anticorps anti-HBc de 1,8% (81).
On estime aussi qu’entre 2,5% à 5% de la population ukrainienne vit avec une hépatite C chronique, soit plus que dans l’Union européenne où cette prévalence est estimée à 1,5%.
Un point d’attention est également soulevé sur le risque rabique alors que la couverture vaccinale antirabique des animaux est très faible en Ukraine…
Vers une vaste campagne de rattrapage vaccinal
Au regard de ces constats épidémiologiques, le HCSP recommande de prioriser les vaccinations suivantes en absence de preuve documentée d’une vaccination antérieure : Covid-19, ROR, DTPCa/dTPca et HiB et de considérer l’opportunité d’une vaccination VHB, méningocoques, pneumocoque, varicelle, grippe et tuberculose.
Ceci en tenant « compte des éventuelles réticences à la vaccination, les croyances ou les représentations culturelles ou religieuses ».
F.H.