
Shanghai, le lundi 11 avril 2022 – Les 27 millions d’habitants de la mégapole chinoise sont confinés jusqu’à nouvel ordre, les autorités n’hésitant pas à prendre des mesures de plus en plus drastiques.
C’est une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux chinois et rapidement censurée qui fait froid dans le dos. On y voit des tours d’immeuble de Shanghai où les habitants se mettent à la fenêtre, pas pour applaudir les soignants, mais pour crier leur désespoir. Dans une autre vidéo, on voit des résidents en petit nombre manifester contre les mesures sanitaires, scène rarissime au sein de la dictature chinoise. Des images qui en disent long sur le cauchemar que vivent les 27 millions de Shanghaiens, placés en confinement depuis le 27 mars. Si la mesure ne devait au départ durer qu’une semaine, elle a finalement été prolongée « indéfiniment » par les autorités et surtout durcie : les habitants, qui pouvaient au départ sortir dans leur quartier, n’ont désormais pas le droit de sortir de leur appartement. Ce dimanche, les 5 000 résidents Français n’ont pas été autorisés à aller voter pour le 1er tour de l’élection présidentielle.
Des enfants séparés de leurs parents
Une mesure extrêmement drastique qui semble hors de proportion avec la gravité de l’épidémie. Environ 20 000 contaminations par jour sont détectées dans la mégapole et officiellement aucun décès n’a été déploré (même si ce bilan officiel semble irréaliste). Mais pour les autorités chinoises et leur stratégie zéro-Covid, c’est encore trop. Pendant longtemps, cette stratégie, qui repose sur le confinement immédiat et le dépistage massif, avait permis de drastiquement limiter la circulation du virus, à une centaine de cas par jour pour toute la Chine. Début 2021, le modèle chinois semblait être une réussite, au point que même en France, certains médecins appelaient à l’imiter. Mais avec Omicron et sa forte contagiosité, cette méthode de lutte contre l’épidémie semble désormais prise de cours. Plus de 200 millions de Chinois sont actuellement confinés dans 23 villes du pays sans que les contaminations ne cessent d’augmenter.
Face à ce défi sans précédent, Pékin ne lésine pas sur les moyens. Au total, 38 000 soignants et 2 000 soldats ont été envoyés à Shanghai, nouvel épicentre de l’épidémie, pour participer la lutte contre le virus. Des hôpitaux de campagne sont créés à travers la ville : 47 000 nouveaux lits ont déjà été ouverts et 30 000 autres sont en voie d’installation. Les personnes contaminées sont isolées dans de gigantesques centres de quarantaine où, comble de l’ironie, la distanciation sociale est impossible à respecter. Les autorités ont également pris la décision inhumaine de séparer les familles en cas de contaminations, envoyant des enfants sans leurs parents dans les centres de quarantaine. Après la diffusion de scènes de séparation déchirantes sur les réseaux sociaux et les protestations de plusieurs consulats occidentaux, la municipalité a accepté de mettre de l’eau dans son vin et les enfants contaminés peuvent maintenant être accompagné en quarantaine par un parent.
« Contrôlez votre désir de liberté ! »
Pour Pékin, la lutte contre Omicron devient une bataille aussi politique que sanitaire. La vice-première ministre Sun Chunlan a été envoyée à Shanghai pour reprendre les choses en main, les autorités municipales étant accusé de laxisme. « Sous la direction ferme du Comité central du Parti avec le camarade Xi Jinping comme cœur, aucune difficulté ne pourra écraser le peuple héroïque de Shanghai » relaye l’antenne locale du Parti, dans un discours digne des années Mao. Dans la ville symbole du capitalisme chinois, les habitants survivent désormais grâce au ravitaillement, assuré au compte-goutte par les comités de quartier. Un totalitarisme sanitaire qui utilise les armes de la modernité. Dans le ciel de Shanghai, des drones diffusent des messages tous droits sortis de « 1984 » : « Pliez-vous aux restrictions sanitaires ! Contrôlez votre désir de liberté et n’ouvrez pas les fenêtres ! ».
Si la contestation des habitants, qui reste encore mesurée, ne devrait pas faire dévier le président Xi Jinping de sa ligne, peut-être la situation économique le fera. Le confinement a des conséquences désastreuses pour la croissance chinoise et celle du monde en général. L’activité du port de Shanghai, premier port de marchandises du monde, a déjà décru de 40 %. Le gouvernement chinois table sur une croissance de 5,5 % pour 2022, son pire score depuis plus de 30 ans.
Quentin Haroche