Le colosse au pied d’argile

Barcelone, le samedi 11 juin 2022 – Le champion de tennis Rafael Nadal souffre d’une pathologie orthopédique rare, le syndrome de Muller-Weiss.

Dimanche dernier, le champion de tennis espagnol Rafael Nadal a remporté son 14ème titre à Roland-Garros (un record) en infligeant une correction à son malheureux adversaire du jour, le Norvégien Casper Ruud. Si le sportif de 36 ans paraissait au top de sa forme lors de ce match, il a été aperçu se déplaçant sur des béquilles à peine deux jours plus tard à Barcelone.

Un changement d’état de forme saisissant qui s’explique par le fait que le recordman de titres en Grand Chelem est atteint d’une maladie méconnue affectant les pieds, le syndrome de Muller-Weiss.

Pathologie très rare (« un chirurgien n’en voit que deux ou trois dans sa carrière » confiait à France Info le Dr Gilbert Versier, chirurgien orthopédique à Paris), le syndrome de Muller-Weiss consiste en une dévascularisation et en une nécrose de l’os naviculaire, ou os scaphoïde.

La maladie touche généralement des femmes âgées de 40 à 60 ans et il est donc d’autant plus étonnant d’apprendre que Rafael Nadal en serait atteint depuis l’âge de 18 ans. Selon le Pr Denis Mainard, président de l’association française de chirurgie du pied, le tennisman pourrait avoir souffert dans son enfance d’une autre pathologie, la maladie de Kohler-Mouchet, une déformation de l’os naviculaire, qui aurait provoqué cette ostéonécrose. Mais les causes précises du syndrome de Muller-Weiss sont pour le moment inconnues.

Des infiltrations quotidiennes pour tenir le coup

Maladie dégénérative, cette pathologie du pied comprend cinq stades, jusqu’à l’arthrose. « De toute évidence, Nadal ne se trouve pas dans un grade avancé, sinon il ne pourrait pas jouer à un tel niveau et se déplacer comme il fait » commente le Dr Versier. Si elle concerne le plus souvent les deux pieds, le vainqueur de Roland-Garros n’est touché qu’à gauche.

La maladie se manifeste par des douleurs sur le dos du pied qui peuvent rendre la marche très difficile et qui sont aggravées en cas d’activité sportive intense, comme dans le cas de Nadal. L’ancien numéro 1 mondial de tennis s’était d’ailleurs mis à boiter lors d’un match perdu à Rome, deux semaines seulement avant le début du tournoi de Roland-Garros.

Mais comment l’Espagnol a-t-il pu malgré cette maladie proposer un tel niveau de tennis, qui lui a permis de remporter son 22ème titre en Grand Chelem (là aussi un record) ? Après avoir laissé planer le doute sur la question tout au long du tournoi, Nadal a finalement révélé après sa victoire finale qu’il avait joué sous infiltration de xylocaïne pendant deux semaines. « La seule chose qu’on pouvait faire pour me donner une chance ici, c’était de m’endormir le pied et c’est ce qu’on a fait :  on a bloqué la douleur en faisant des injections d’anesthésiant avant chaque match » a indiqué le joueur à la presse juste après la finale. « Du coup j’ai joué sans douleur mais sans aucune sensation ni sensibilité comme des dents endormies par le dentiste ».  

Un dopage qui ne dit pas son nom ?

Un traitement de cheval qui laisse perplexe les commentateurs. Pour certains, la technique adoptée par Nadal s’assimile à du dopage, bien qu’elle ne soit pas explicitement interdite par la règlementation en vigueur dans le monde du tennis. Pour d’autres, Nadal jouerait avec sa santé avec ces infiltrations, notamment parce que la perte de sensibilité augmente le risque d’entorse ou de fracture.

Le joueur espagnol a d’ailleurs assuré qu’il ne réitérerait pas l’expérience et qu’il n’avait pris le risque que parce qu’il s’agissait de Roland-Garros, son tournoi fétiche.

Parti à Barcelone chez son médecin personnel, le Dr Angel Ruiz-Cotorro, Nadal essaye désormais un traitement expérimental par radiofréquence pulsée sur les nerfs du pied impliqués, qui aurait pour le moment des résultats prometteurs. Presque une thérapie de la dernière chance pour l’Espagnol.

Selon le Dr Mark Elkaim, chirurgien orthopédiste, seule une intervention chirurgicale (soit une arthrodèse, soit une greffe osseuse) pourrait mettre fin aux douleurs du chouchou de Roland Garros. Mais cette opération marquerait très probablement la fin de la carrière de Nadal. « C’est un choix de vie que je ne suis pas encore prêt à faire » a-t-il déclaré. Engagé dans une course aux titres avec ses deux rivaux Novak Djokovic et Roger Federer qui déterminera quel est le plus grand joueur de tennis de l’histoire, Rafael Nadal ne veut pas laisser son pied lui imposer de revers.

Quentin Haroche

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Vos réactions (1)

  • Dopage ?

    Le 11 juin 2022

    Je suis plus que perplexe devant cette annonce.
    Certes, la réglementation autorise ce type d’administration.
    Factuellement, Nadal n’est donc pas hors-la-loi.
    En revanche, quelle est la définition du dopage ?
    Si on s’accorde à dire que c’est l’administration de toute substance qui modifie les performances d’un athlète, nous sommes devant un cas avéré..
    Plus concrètement, est-ce que Nadal aurait réussi à gagner ce tournoi sans une anesthésie tronculaire ?
    Est-ce que Nadal a bien gagné ce tournoi parce qu’il est le meilleur (techniquement et physiquement) ?

    Le doute plane.

    Dr Jérôme Seignot

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