
Paris, le samedi 18 juin 2022 – Vous l’ignorez sûrement mais l’enfant qui dans votre salle d’attente joue sur le smartphone de sa mère en ricanant bêtement est HPI (Haut potentiel intellectuel). Ce « diagnostic » d’une intelligence supérieure à la moyenne s’est largement popularisé récemment et on ne compte plus le nombre de HPI qui s’ignoraient et qui sont émerveillés de découvrir que toutes leurs petites et grandes difficultés n’étaient liées qu’à leur esprit singulier. Il suffisait d’y penser.
A chaque époque, son surdoué
La tentation de détecter chez certaines personnes une intelligence différente est loin d’être neuve. Les termes cependant se sont modifiés et ces évolutions reflètent les préoccupations mouvantes des époques traversées. « Au 19ème siècle, on parlait d' « enfant prodige. » En France, l’appellation « surdoué » n'a émergé que dans les années 1970 avant d'être remplacée par « précoce », terme moins tendancieux car moins naturaliste. Dans les années 2010, l'acronyme « HPI » est adopté avant de s'imposer récemment au sein de l’Éducation nationale (EN) » récapitule Wilfried Lignier, auteur de La petite noblesse de l'intelligence (éditions La Découverte) dans une interview accordée à l’ADN. Il ajoute : « Cette nouvelle terminologie correspond à un mouvement récent de scientifisation qui se traduit par des études et travaux se voulant plus connectés aux savoirs universitaires légitimes comme la neurologie ».
Charlatanisme
De fait le désir d’expliquer par la « science » et plus précisément par la « médecine scientifique » les comportements et les décisions semble un trait de notre époque, mais on l’a constaté à de très nombreuses reprises, c’est souvent une science dévoyée qui est convoquée, une science dont les caractéristiques premières (le doute et la nécessité d’appliquer une méthodologie stricte) ont été oubliées. Ainsi, autour du concept de HPI, ce sont bien plus souvent les pseudosciences que la science que l’on retrouve et le charlatanisme lucratif n’est pas toujours loin. Nathalie Clobert, psychologue en Seine-et-Marne récemment interrogée par Libération qui menait l’enquête sur le phénomène HPI remarque ainsi : «On se rend compte que, parfois, les critères qui ont été retenus pour parler de haut potentiel sont loin d’être ceux du consensus scientifique.»
Intelligence et réussite font bon ménage
Le sociologue Franck Ramus (CNRS) etle chercheur en sciences cognitives à l’Ecole pratique des hautes études à Paris Nicolas Gauvrit s’emploient depuis de nombreuses années à « débusquer » les mythes autour de la super intelligence ; mythes qui sont évidemment souvent présentés comme fondés scientifiquement. Dans un article publié en 2017 sur le blog Sci Logs de Franck Ramus et régulièrement enrichi, les deux chercheurs évoquent ainsi les discours répétés assurant que les enfants surdoués seraient plus souvent en échec scolaire ou encore plus fréquemment atteints d’anxiété. Pourtant, ils décryptent : « Le point commun qu’ont la plupart des sources des mythes sur les surdoués est qu’elles ne connaissent pas l’ensemble des surdoués, elles n’en voient même pas un échantillon représentatif, elles en voient au contraire un échantillon extrêmement biaisé: c’est ce qu’on appelle le biais d’échantillonnage (…). Des personnes reconnues dans le grand public comme experts de la précocité répètent encore aujourd’hui que les surdoués sont en moyenne plus anxieux que les autres enfants. Or il existe au moins 14 études effectuées dans différents pays (France, USA, Canada, Israël, Pologne, Lettonie) et deux méta-analyses aboutissant toutes à la même conclusion : les enfants précoces ne sont pas plus anxieux que les autres en moyenne. Bien que les preuves soient moins solides, ils semblent ne pas être plus dépressifs ou stressés que les autres non plus. La question à laquelle il est sans doute possible de répondre avec le plus haut degré de certitude est celle de savoir si les surdoués sont souvent en échec scolaire. En effet, depuis que les tests d’intelligence ont été inventés il y a plus d’un siècle, les psychologues se sont évertués à tester dans quelle mesure les scores de QI prédisaient divers aspects de la vie de l’individu : la réussite scolaire bien sûr (puisque les tests de QI ont été conçus dans le but de la prédire), mais également le revenu, la satisfaction de l’employeur et même la santé ou l’espérance de vie. Dans tous les cas, des corrélations ont été trouvées, et dans tous les cas, elles sont positives. Autrement dit, plus les enfants ont des QI élevés, et mieux ils réussissent scolairement, plus ils atteignent un niveau de diplôme élevé, plus ils obtiennent des revenus élevés, plus satisfait est leur employeur, meilleure est leur santé et plus longue est leur espérance de vie ».
Des récits séduisants
La contradiction nette et ancrée entre la croyance « populaire » de génies malheureux et les observations faites par la science s’explique par plusieurs raisons. Le poids de la parole d’« experts » qui méconnaissent en réalité la méthode scientifique peut ici être une nouvelle fois invoqué : la critique est notamment abondamment formulée par Franck Ramus et Nicolas Gauvrit. Par ailleurs, le récit constitué par ces enfants mauvais à l’école, voire anxieux, qui ne seraient en réalité que les victimes de leur propre intelligence est incontestablement plus séduisant que la logique austère où l’intelligence conduit le plus souvent à la réussite scolaire.
C’est quoi être intelligent
D’ailleurs, les critiques faites au « phénomène HPI » sont loin d’être uniquement « scientifiques », mais également souvent « idéologiques ». D’abord, on assure fréquemment qu’il n’y aurait pas de « consensus » autour de ce qu’est « l’intelligence supérieure » et que cette absence de consensus se lirait dans la diversité des termes employés. Pourtant, Franck Ramus et Nicolas Gauvrit rappellent : « Bien que de nombreuses définitions aient été proposées et débattues, la définition la plus courante et la seule qui fasse l’objet d’un certain consensus international dans la recherche scientifique sur l’intelligence est la suivante : sont surdouées les personnes qui ont une intelligence très supérieure à la population générale, c’est-à-dire en pratique qui ont un QI supérieur à 130, une condition vérifiée par environ 2 % de la population. (…) D’autres définitions possibles existent, comme celles ajoutant au critère de QI élevé des critères positifs (comme la créativité) ou négatifs (par exemple être en difficulté). Ces définitions ont l’inconvénient de biaiser d’emblée les caractéristiques des surdoués, chacune à sa manière et sans qu’aucune d’elle ne fasse l’objet d’un consensus. C’est pour sa plus grande objectivité et sa neutralité que la définition basée strictement sur le QI est généralement considérée comme la plus valide ». On ne peut nier une certaine forme d’orientation idéologique dans la volonté de revoir la définition de ce qui fait un « surdoué », et y voir un refus de considérer l’intelligence (notion il est vrai complexe) uniquement comme le résultat d’aptitudes « mesurables ». Dans ce contexte, l’outil de mesure qu’est le QI est largement contesté (ce qui mériterait d’être l’objet d’un autre article).
Un moyen pour les riches de contester l’école… mais pas seulement
Une autre critique du phénomène HPI s’inscrit dans une dimension proche en voulant y déceler d’abord un phénomène social. Dans l’interview à ADN dont le titre grince : « Votre enfant n’est pas HPI, vous êtes juste riche » Wilfrid Ligner s’emploie à rappeler que l’on retrouve bien plus souvent des enfants « diagnostiqués » HPI dans les catégories sociales favorisées. De fait, l’accès aux tests, socialement et financièrement, est bien plus facile pour les plus aisés, alors que s’ajoute à cette tendance en France le fait que les tests de QI ne soient pas systématisés à l’école. « Ce que je trouve dérangeant avec ce diagnostic HPI, c’est son caractère faiblement démocratique, inégalitaire. Il faut pouvoir payer le psy, lire les livres et les sites internets qui permettront de s’approprier le diagnostic, se sentir autorisé à produire le test face aux enseignants. Dans ces conditions, le diagnostic HPI fonctionne forcément au profit des familles les plus favorisées, qui cherchent à avoir encore plus la main sur l’École publique, sur l’éducation d’État » conclut Wilfrid Ligner qui démontre de fait très bien comment cette classification « médicale » est un instrument de pression des parents aisés sur l’école, afin que leurs enfants puissent échapper au système (en sautant une classe notamment). Cependant, il admet que : « En réalité, seulement 15 % des parents concernés vont jusque-là, ce qui souligne le paradoxe de cette classe : elle a beau être vent debout contre l’école, elle y trouve globalement son intérêt ». Par ailleurs, même si cette contestation de l’école semble avérée, on ne peut complètement oublier que le QI élevé semble prédictif de réussite sociale (comme le rappellent Franck Ramus et Nicolas Gauvrit). Dès lors, il n’est peut-être pas étonnant de retrouver des QI élevés dans les classes sociales les plus favorisées… (les enfants étant finalement à « bonne école » via l’imprégnation et l’entrainement). Cependant, on mesure combien une telle assertion pourrait être facilement dévoyée et est donc délicate à suggérer. Pourtant, cela n’implique nullement qu’il n’y a pas de QI élevé dans les classes défavorisées (où les dépistages sont de fait moins fréquents), d’autant plus que le QI mesure des aptitudes souvent scolaires et qu’il est donc loin d’être figé ou inné.
Effet de mode où se mêlent pseudosciences, charlatanisme et idéologie, le phénomène HPI ne cache pas que des désirs cachés de singularité et des récits de génies méconnus.
On relira pour le découvrir :
L’interview de Wilfrid Lignier
https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/non-votre-enfant-nest-pas-hpi-vous-etes-juste-riche/
L’article de Libération : https://www.liberation.fr/lifestyle/diagnostics-hpi-haute-arnaque-potentielle-20220509_A2BXRQ5VEVH7HCGUDJTDSZBBFE/?redirected=1
Le blog de Franck Ramus
https://scilogs.fr/ramus-meninges/la-pseudoscience-des-surdoues/
Léa Crébat