
Paris, le vendredi 1er juillet 2022 - Lors d’une ultime réunion de travail à Matignon, hier, les membres de la « mission flash » confiée au docteur François Braun ont proposé une version non définitive de leurs « boîte à outils » de soixante pages constituée de « quarante et une recommandations pour préserver notre réponse aux soins urgents et/ou non programmés cet été ».
Une part importante des mesures proposées visent à agir en amont, pour limiter les entrées aux urgences qui ont doublé en vingt ans, atteignant 22 millions de passages annuels dans un contexte de pénurie de médecins et plus généralement de soignants.
Réguler l’accès aux urgences
Recommandation phare : la mission préconise de « réguler les admissions », soit avec un « triage paramédical à l’entrée » des urgences, soit par une « régulation médicale préalable systématique » par le standard téléphonique du SAMU (le 15). Pour répondre à l’augmentation du nombre d’appels qui en découlerait, le rapport voudrait faciliter le recrutement des assistants de régulation médicale (ARM) (dés cet été !) et que soit financée « la mise à niveau de leurs effectifs ».
« À ce jour, 10 % des postes d’ARM sont vacants sur 52 Samu-Centre 15, ce qui représenterait 250 à 300 ETP d’ARM au niveau national », pour pallier cette pénurie, la mission suggère de financer la mise à niveau des effectifs ARM et de reporter la date butoir de leur certification à décembre 2025 au lieu de 2023.
Il est aussi préconisé d’intégrer d’autres professionnels de santé à cette régulation médicale comme des dentistes et des pédiatres ou encore, des sages-femmes. « Ces professionnels qui ont une connaissance accrue des filières de soins de leur spécialité doivent permettre d’organiser des prises en charges ambulatoires et des admissions directes sans passer par les urgences », estiment les auteurs de ce rapport.
La mission appelle aussi à déployer le « service d'accès aux soins » (SAS). Déjà mis en place dans 22 sites pilotes, le « SAS » se heurte à une rémunération jugée trop faible par les libéraux. Pour attirer plus de volontaires, le rapport recommande une rémunération de 100 euros brut de l'heure pour les généralistes acceptant de faire de la régulation, et l'attribution d'un supplément de 15 euros par acte aux médecins recevant un malade hors patientèle à la demande du Samu ou du SAS, dans la limite d'un plafond hebdomadaire. Le rapport préconise aussi d'élargir le principe de permanence des soins ambulatoires au samedi matin ou encore de dispenser de cotisations sociales les médecins retraités afin de favoriser le cumul emploi-retraite.
Pour les rémunérations des hospitaliers, la mission recommande une revalorisation du travail de nuit et des ponts du 14 juillet et du 15 août, ainsi qu’une prime pour les équipes des urgences psychiatriques, pédiatriques et gynécologiques.
Le document ouvre également la possibilité pour les médecins de ville d’hospitaliser directement leur patient en aigu. La mission imagine ainsi « d’imposer » à chaque hôpital une « cellule d’ordonnancement » joignable via un numéro direct diffusé par les URPS à tous les médecins et infirmiers libéraux. « La cellule se charge de faire rappeler le libéral dans les quatre heures par les spécialités concernées, celles-ci devant être en mesure de planifier une hospitalisation avec transport associé ».
Utiliser à plein la télémedecine
Le rapport suggère également de maintenir le remboursement à 100 % des téléconsultations cet été. Toujours dans le volet télémédecine il avance l’idée d’unités mobiles paramédicales : « un véhicule avec un secouriste, une infirmière et une mallette de télémédecine avec objets connectés se rend chez le patient à la demande du Samu pour réaliser une téléconsultation avec un médecin libéral ». Rappelons que dans la Manche, l'expérience s'est révélée positive avec « 667 interventions réalisées de janvier à avril 2022 par les deux unités en place, évitant 430 passages aux urgences sur 4 mois ».
Bed managers
Concernant l'aval, la mission plaide en premier lieu pour la mise en place obligatoire de « bed managers » avec une gestion des lits à l'échelle territoriale sous la responsabilité de l'Agence régionale de santé (ARS), ou encore le recours accru à l'hospitalisation à domicile (HAD). Une idée défendue de longue date par le Dr François Braun.
La permanence des soins en établissement (PDS-ES) devrait aussi être assurée « à l’échelle d’un territoire » par l’ARS, en impliquant spécialistes privés et publics. L'ARS deviendrait la garante pour l’été « d’une équité de PDS-ES tant pour les services d'urgence que pour des spécialités de deuxième ligne (gynéco-obstétrique dont les sages-femmes, radiologie, psychiatrie, chirurgie) », indique le rapport. L'ARS s'appuiera sur les URPS médecins pour l’offre libérale, en permettant « la désignation individuelle de médecins libéraux pour la PDS-ES ».
Les hommes de bonne volonté
Dans les territoires fragiles, la mission propose de « simplifier radicalement pour l’été la mise en application des protocoles de coopération entre professions de santé sous coordination médicale ». Depuis mars 2020, six protocoles de coopération ciblant des pathologies courantes simples de l’enfant et de l’adulte sont autorisés permettant aux professionnels délégués de prescrire traitements et examens.
La mission Braun préconise aussi d’autoriser les docteurs juniors avec licence de remplacement à travailler à l’hôpital public (actuellement ces licences délivrées par l'Ordre ne sont valables qu'en ville), et de leur accorder le droit au temps de travail additionnel (TTA), donc son paiement.
Plus globalement, le rapport veut faire appel à toutes les bonnes volontés pour passer l'été : participation des pompiers à l’activité des urgences, prolongation de l’autorisation d’exercice des Padhue (dont le dossier n'a pas encore été validé par la commission d'exercice), appel aux libéraux volontaires pour participer à l’activité hospitalière (avec une rémunération forfaitaire à la vacation).
Toutes ces mesures seront accompagnées d’une campagne d’information recommandant d’appeler le 15 avant de se déplacer.
L’AMUF en colère
Notons, que deux voix connues des urgentistes ont accueilli très fraîchement ce rapport. Pour Christophe Prudhomme (AMUF et CGT), sur France Info, « ces recommandations sont affligeantes et mettent la population en danger. Avoir un service d'urgence à 30 minutes de chez soi, ouvert 24 heures sur 24, 365 jours par an, ce n'est pas une option. C'est une nécessité absolue pour assurer la sécurité de la population. Il y a déjà des morts et il va y avoir des morts. Monsieur Braun, ce n'est plus un médecin. C'est un relais politique de monsieur Macron. On a gagné du temps. On a passé les législatives. Il a pondu un rapport avec des propositions de gestionnaires de lits. Cela n'a rien de nouveau. C'est une invention de madame Bachelot quand elle était ministre de la Santé et cela s'est avéré complétement inefficace depuis 10 ans. On n'a pas besoin de gestionnaires de lits. On a besoin de lits ouverts. On est dans une impasse. Et cela concerne aussi les maternités. Il y a des maternités qui vont fermer cet été. La femme qui pensait accoucher à 10 km de chez elle, on risque de lui dire, la maternité est fermée, il faut aller à 50 km. Et elle risque d'accoucher sur la route. C'est cela la réalité. C'est catastrophique ».
Même son de cloche pour son collègue, Patrick Pelloux (AMUF également) pour qui « on est en train de détruire le service public »…
Le verdict de la première ministre sur ce rapport doit être dévoilé lundi « au plus tard » a fait savoir mercredi la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire.
F.H.