
Paris, le – Vendredi 24 juin, par cinq voix contre quatre, les juges fédéraux de la Cour Suprême des Etats-Unis ont choisi de revenir sur la jurisprudence du célèbre arrêt Roe V. Wade de 1973 qui avait fait de l’avortement un droit constitutionnel.
La conséquence de cette décision était de permettre désormais aux différents états de l’Union d’interdire l’interruption volontaire de grossesse, ce qui leur était impossible depuis près de 50 ans. Aussi, très rapidement, notamment grâce au système législatif des trigger laws, vingt-deux états sont revenus sur les législations en vigueur sur leur territoire, en restreignant considérablement les conditions d’accès à l’avortement.
Contournement
Depuis, la bataille fait rage entre les pro-vie et les pro-choix. Ainsi, le président des Etats-Unis Joe Biden a signé une directive présidentielle permettant aux médecins urgentistes de réaliser des avortements en cas de danger pour la vie de la femme, même si les lois locales interdisent l’IVG.
Une disposition contre laquelle le Texas a immédiatement déposé un recours, considérant que le chef de l’Etat cherchait ainsi à « bafouer » l’arrêt du 24 juin.
Affichage et décalque artificiels
Mais, on le sait, il n’est pas qu’outre-Atlantique que cette décision a soulevé une importante émotion. Ainsi, dès le lendemain, une quarantaine d’avocats français prenaient la plume pour signer dans le Journal du Dimanche une tribune considérant qu’il fallait « constitutionnaliser » le droit à l’avortement en France.
Très vite, des députés de la majorité se sont emparés de la question et déposé une proposition de loi dans ce sens, assurés du soutien du gouvernement, même si sous la mandature précédente, le Président de la République s’était montré bien plus réservé sur le sujet.
De nombreux commentateurs n’ont pas manqué de considérer que ce texte des élus de la majorité pourrait être considéré comme un affichage facile. Cette transposition de la vie politique américaine en France est d’autant plus déconcertante que dans notre pays aucun parti politique représenté à l’Assemblée nationale ne se déclare opposé à l’IVG.
Des professionnels divisés
Sans doute, ces considérations politiques expliquent en partie que chez les professionnels de santé, l’idée d’une constitutionnalisation du droit à l’IVG ne fait pas l’unanimité.
Un sondage réalisé sur notre site du 30 juin au 18 juillet
révèle en effet que 50 % de nos lecteurs sont plutôt réticents à
l’idée de voir l’IVG consacrée dans le texte républicain, tandis
que 44 % y sont favorables et que 6 % ont préféré ne pas se
prononcer, peut-être pour que leur opposition à la
constitutionnalisation ne puisse pas être perçue comme une
opposition plus large à l’IVG.
Sondage réalisé sur JIM.fr du 30 juin au 17 juillet 2022
Suscitant un intérêt certain (comme en témoignent les 916
répondeurs), la question divise les professionnels. Ainsi, 73 % des
sage-femmes (le nombre de répondeurs est cependant restreint) et 58
% des infirmières adhèrent à l’idée de voir l’IVG protégée par la
constitution, tandis que 57 % des médecins et 51 % des pharmaciens
y sont hostiles.
Cette répartition peu surprenante n’est probablement pas étrangère aux taux de féminisation de ces professions et à la proximité personnelle et professionnelle avec ce sujet. Cependant, nous l’avons déjà évoqué, ces résultats cachent sans doute différentes intentions.
Le refus de l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution peut en effet signifier une défiance vis-à-vis de l’IVG en général ou plutôt le sentiment qu’aucune urgence ne réclame une telle mesure en France (contrairement aux Etats-Unis) et le désir qu’une certaine souplesse demeure, si jamais les équilibres politiques étaient modifiés et penchaient alors en faveur d’une restriction de l’accès à l’IVG.
Si cette inscription dans le texte de la constitution de la Vème
République était cependant votée par les deux assemblées en termes
identiques (ce qui parait douteux compte tenu de la majorité
requise) certains regretteront probablement qu’une décision d’une
Cour américaine (fut-elle suprême) puisse influencer ainsi la main
de nos représentants qui selon l’expression consacrée devrait
rester tremblante lorsqu’il s’agit de modifier notre texte
suprême…
Léa Crébat