Quand les déserts médicaux n’empêchent pas les raisons économiques de primer

Périgueux, le vendredi 19 août 2022 – Une généraliste de 43 ans a été licenciée par le centre de santé qui l’employait au motif que son poste n’était pas viable économiquement.

On dit généralement que le métier de médecin offre une grande sécurité de l’emploi et c’est sans doute l’un des arguments qui pousse chaque année de nombreux jeunes gens à entamer des études de médecine. Mais les médecins ne sont en réalité pas à l’abri de connaître le chômage et la dure loi du marché du travail.

C’est ce qu’a découvert à ses dépens le Dr Angélique Roby, généraliste de 43 ans exerçant au centre de santé Saint-Vincent-de-Paul dans la petite ville de Le Buisson-de-Cadouin en Dordogne. Après 16 mois d’activité dans le centre, elle a en effet été licenciée pour motif économique le 8 août dernier.

Une situation financière fortement dégradée

Selon le Dr Roby, qui a répondu aux questions de la presse locale et de nos confrères du Quotidien du Médecin, c’est en juin dernier que la nouvelle direction du centre de santé, géré par une association à but non lucratif, lui a pour la première fois fait part des difficultés économiques de la structure.

« On m’a dit qu’il fallait que je prenne plus de patients à l’heure, j’en voyais entre 2 et 3, il fallait que je passe à 4 ou 5 » explique la généraliste qui a immédiatement refusé : « Ce n’est pas ma conception de la médecine, je ne vends pas des sardines sur un marché, je m’occupe d’êtres humains ».

Pour sauver son poste, le Dr Roby a proposé d’embaucher une assistante pour lui dégager du temps médical, tandis que le département a offert de prendre en charge le salaire de la généraliste. Rien n’y a fait et le médecin a finalement été mis à la porte.

Alors que la polémique enfle dans la région en manque de médecins (seuls deux généralistes exercent dans la commune), le centre de santé tente de se dédouaner. Selon la direction, elle n’avait pas d’autre choix que de se séparer du Dr Roby, au vu de la situation financière fortement dégradée du centre de santé.

« C’était soit la licencier pour motif économique, soit cesser l’activité du centre et de ses 25 salariés » assure l’association. « Bien sûr ce n’était pas une décision agréable à prendre mais c’était une question de survie ».

L’ARS de Nouvelle-Aquitaine confirme d’ailleurs que « l’activité médicale du centre est insuffisante pour garantir sa viabilité économique ».

La nouvelle direction de l’association, qui a pris en main le centre de santé en début d’année, rejette la responsabilité du délitement financier de la structure sur ses prédécesseurs : « le médecin a été embauché contre l’avis du trésorier de l’association qui estimait que le centre ne pourrait pas équilibrer financièrement cette activité ».

La généraliste « se laisse un peu de temps pour réfléchir »

Pour le reste, la direction du centre de santé rejette les accusations portées contre elle par son ancien employé. Elle n’aurait ainsi jamais demandé au Dr Roby de doubler son nombre de consultations, car « nous n’avons pas à nous immiscer dans la manière de fonctionner du médecin ».

Si l’association a refusé l’aide financière du département, c’est parce que « ces subventions ne couvraient pas le déficit du médecin ». Enfin, le directeur de la structure assure avoir proposé au Dr Roby de continuer à exercer au sein du centre mais à son compte et moyennant un loyer, ce que cette dernière dément.

Une pétition en ligne de patients du centre de santé demandant la réintégration du Dr Roby a déjà recueilli plus de 1 500 signatures mais il est peu probable qu’elle fasse infléchir sa position. Désormais, la généraliste hésite entre s’installer en libéral ou intégrer un autre centre et « se laisse un peu de temps pour réfléchir et savoir quelle suite donner à ma carrière ».

Cette triste mésaventure illustre les différentes facettes des difficultés de la lutte contre les déserts médicaux.

Quentin Haroche

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Vos réactions (2)

  • La réalité économique ...est LA réalité !

    Le 20 août 2022

    Cette histoire est instructive : embaucher un médecin que l'on va salarier est une décision qui a son prix, que ce médecin soit compétent ou pas ne rentre pas en ligne de compte, sa productivité pour son employeur se mesure financièrement : 25 euros la consultation, 2,5 patients à l'heure x 35h = 2187.5 € par semaine de recettes, les dépenses ne couvrent pas ces recettes certainement à cause des charges sociales (employeur et salarié ).
    La solution de salarier des médecins pour éviter les déserts médicaux ... a un prix, et tous ces employeurs potentiels devraient non seulement le savoir mais bien en prévenir les payeurs qui sont in fine les habitants du coin (de la municipalité, de la communauté de communes, du département, de la région, de telle ou telle structure).
    La Sécurité Sociale trouvera toujours qu'elle paye trop cher les médecins, mais cet exemple montre très clairement que, économiquement elle ne tient pas la route : elle se comporte comme une chaîne de supermarché qui abuse de sa position dominante en sous payant ses fournisseurs.
    Je souhaite bonne chance au Dr Roby , qu'elle fasse ses comptes et ne se décourage surtout pas.

    Dr François Chassaing

  • Centre de santé

    Le 20 août 2022

    Combien d'autres médecins sont employés par ce centre de santé et quelles fonctions exercent les 25 autres employés du centre ??

    Dr Yvonne Cadoret

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