
Au moment d’évoquer sa position sur l’euthanasie en avril
dernier, le Président de la République Emmanuel Macron se disait
favorable à une évolution vers le « modèle belge ». En 2002,
la Belgique est en effet devenue l’un des premiers pays du monde à
autoriser l’euthanasie et nul doute que la référence belge sera au
cœur des débats de la convention citoyenne sur la fin de vie,
assemblée de Français tirés au sort qui se réunira à partir du 9
décembre pour discuter d’une éventuelle évolution de la législation
française.
Mais le modèle belge n’est pas exempt de tout défaut, loin de
là. Mardi dernier, la RTBF, le service public audiovisuel belge, a
ainsi révélé le cas tragique de Shanti de Corte, une jeune femme de
23 ans euthanasiée le 7 mai dernier. En 2016, alors qu’elle n’avait
que 17 ans, elle avait échappé de peu à la mort lors de l’attentat
de l’aéroport de Bruxelles (qui a fait 16 morts). La jeune femme,
qui se trouvait à quelques mètres seulement des kamikazes au moment
de l’explosion, s’en était sorti physiquement indemne, mais avait
souffert d’un lourd stress post-traumatique.
Une demande d’euthanasie « logiquement acceptée » selon les autorités
Selon l’enquête des journalistes de la RTBF, la jeune flamande
a ensuite multiplié les passages à l’hôpital psychiatrique et a
également fait une tentative de suicide en 2020. « Je me sens
coupable d’avoir survécu, je suis un fantôme qui ne ressent plus
rien » déclarait-elle à la presse belge en 2018. Après six
requêtes infructueuses, sa demande d’euthanasie est finalement
acceptée au printemps dernier par deux psychiatres, amenant à sa
mort le 7 mai dernier.
Depuis le reportage de la RTBF, la polémique enfle en
Belgique, certains psychiatres dénonçant une mauvaise application
de la loi, tandis que d’autres accusent au contraire les
journalistes de s’être immiscée dans la vie privée de la défunte.
La RTBF a notamment indiqué qu’en 2020, Shanti de Corte avait
refusé d’être admise dans un service spécialisé dans la prise en
charge psychiatrique des victimes d’attentats, ce qui laisse penser
à certains que tout n’a pas été fait pour lui venir en aide.
En réaction au reportage de la RTBF, le parquet d’Anvers a
indiqué qu’une enquête avait été menée et avait conclu que la
procédure légale avait été respectée. Quant à la Commission
fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, elle s’est
contenté d’indiquer que « la jeune fille était dans une
souffrance psychique telle que sa demande a été logiquement
acceptée ».
Le pays où l’on peut euthanasier les dépressifs et les enfants
Cette affaire rappelle que la Belgique est l’un des rares pays
à autoriser l’euthanasie y compris lorsque le demandeur n’est pas
en fin de vie et souffre de troubles purement psychiatriques. Sur
les 2 700 décès par euthanasie par an en Belgique (un chiffre en
constante augmentation), 0,9 % concernent des personnes qui sont
atteintes de troubles uniquement psychiatriques. En 2013,
l’euthanasie d’un homme transgenre en proie à la dépression après
son changement de sexe avait déjà suscité l’émoi. Par ailleurs, la
Belgique est le seul pays du monde à autoriser l’euthanasie des
mineurs et ce sans limite d’âge.
Le reportage de la RTBF sur Shanti de Corte a été diffusé au
lendemain d’une décision importante de la Cour Européenne des
droits de l’Homme (CEDH) sur la question. La Cour de Strasbourg a
jugé que la loi belge sur l’euthanasie était conforme à l’article 2
de la Convention européenne protégeant le droit à la vie. En
revanche, elle a condamné la Belgique pour le manque d’indépendance
de la commission chargé d’évaluer a posteriori les euthanasies, car
la loi belge « n’empêche pas le médecin qui a pratiqué
l’euthanasie de siéger en son sein et de voter sur la question de
savoir si ses propres actes étaient compatibles avec les exigences
du droit ».
En France, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE)
s’est récemment exprimé en faveur de la légalisation du suicide
assisté pour les « personnes majeures atteintes de maladies
graves et incurables provoquant des souffrances physiques ou
psychiques dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ».
Un cadre qui empêcherait à priori des euthanasie telles que celle
de Shanti de Corte.
Quentin Haroche