Euthanasie : la Belgique est-elle vraiment un modèle à suivre ?

Bruxelles, le lundi 10 octobre 2022 – L’euthanasie d’une jeune femme rescapée d’un attentat relance le débat sur les dérives du système belge.

Au moment d’évoquer sa position sur l’euthanasie en avril dernier, le Président de la République Emmanuel Macron se disait favorable à une évolution vers le « modèle belge ». En 2002, la Belgique est en effet devenue l’un des premiers pays du monde à autoriser l’euthanasie et nul doute que la référence belge sera au cœur des débats de la convention citoyenne sur la fin de vie, assemblée de Français tirés au sort qui se réunira à partir du 9 décembre pour discuter d’une éventuelle évolution de la législation française.

Mais le modèle belge n’est pas exempt de tout défaut, loin de là. Mardi dernier, la RTBF, le service public audiovisuel belge, a ainsi révélé le cas tragique de Shanti de Corte, une jeune femme de 23 ans euthanasiée le 7 mai dernier. En 2016, alors qu’elle n’avait que 17 ans, elle avait échappé de peu à la mort lors de l’attentat de l’aéroport de Bruxelles (qui a fait 16 morts). La jeune femme, qui se trouvait à quelques mètres seulement des kamikazes au moment de l’explosion, s’en était sorti physiquement indemne, mais avait souffert d’un lourd stress post-traumatique.

Une demande d’euthanasie « logiquement acceptée » selon les autorités


Selon l’enquête des journalistes de la RTBF, la jeune flamande a ensuite multiplié les passages à l’hôpital psychiatrique et a également fait une tentative de suicide en 2020. « Je me sens coupable d’avoir survécu, je suis un fantôme qui ne ressent plus rien » déclarait-elle à la presse belge en 2018. Après six requêtes infructueuses, sa demande d’euthanasie est finalement acceptée au printemps dernier par deux psychiatres, amenant à sa mort le 7 mai dernier.

Depuis le reportage de la RTBF, la polémique enfle en Belgique, certains psychiatres dénonçant une mauvaise application de la loi, tandis que d’autres accusent au contraire les journalistes de s’être immiscée dans la vie privée de la défunte. La RTBF a notamment indiqué qu’en 2020, Shanti de Corte avait refusé d’être admise dans un service spécialisé dans la prise en charge psychiatrique des victimes d’attentats, ce qui laisse penser à certains que tout n’a pas été fait pour lui venir en aide.

En réaction au reportage de la RTBF, le parquet d’Anvers a indiqué qu’une enquête avait été menée et avait conclu que la procédure légale avait été respectée. Quant à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, elle s’est contenté d’indiquer que « la jeune fille était dans une souffrance psychique telle que sa demande a été logiquement acceptée ».

Le pays où l’on peut euthanasier les dépressifs et les enfants


Cette affaire rappelle que la Belgique est l’un des rares pays à autoriser l’euthanasie y compris lorsque le demandeur n’est pas en fin de vie et souffre de troubles purement psychiatriques. Sur les 2 700 décès par euthanasie par an en Belgique (un chiffre en constante augmentation), 0,9 % concernent des personnes qui sont atteintes de troubles uniquement psychiatriques. En 2013, l’euthanasie d’un homme transgenre en proie à la dépression après son changement de sexe avait déjà suscité l’émoi. Par ailleurs, la Belgique est le seul pays du monde à autoriser l’euthanasie des mineurs et ce sans limite d’âge.

Le reportage de la RTBF sur Shanti de Corte a été diffusé au lendemain d’une décision importante de la Cour Européenne des droits de l’Homme (CEDH) sur la question. La Cour de Strasbourg a jugé que la loi belge sur l’euthanasie était conforme à l’article 2 de la Convention européenne protégeant le droit à la vie. En revanche, elle a condamné la Belgique pour le manque d’indépendance de la commission chargé d’évaluer a posteriori les euthanasies, car la loi belge « n’empêche pas le médecin qui a pratiqué l’euthanasie de siéger en son sein et de voter sur la question de savoir si ses propres actes étaient compatibles avec les exigences du droit ».

En France, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est récemment exprimé en faveur de la légalisation du suicide assisté pour les « personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables provoquant des souffrances physiques ou psychiques dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ». Un cadre qui empêcherait à priori des euthanasie telles que celle de Shanti de Corte.

Quentin Haroche

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Vos réactions (1)

  • Un encadrement légal du suicide

    Le 11 octobre 2022

    Le "modèle belge" n'est pour l'essentiel qu'une reconnaissance d'un droit au suicide et des conditions de son application. Une telle réflexion étant totalement absente de la société française, notre parlement ferait bien de s'en saisir.
    Quant à l'euthanasie, qui consiste à abréger l'agonie des mourants, c'est un tout autre problème qui relève des pratiques médicales et qui doit s'appuyer avant tout sur de véritables données préalables concernant le processus de mort, car "ce qui n'est pas scientifique n'est pas éthique".

    Dr Pierre Rimbaud

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