Défiance et pseudosciences : rien ne change en France
Paris, le samedi 22 octobre 2022 – La très grande majorité des
Français se sont fait vacciner contre la Covid 19. Les taux obtenus
qui sont parmi les plus élevés au monde semblent un sérieux démenti
à tous ceux qui voulaient croire (y compris au sein du
gouvernement) à l’influence prédominante des antivaccins.
D’ailleurs, l’importante adhésion à l’obligation vaccinale des
nourrissons avait déjà suggéré que l’aura des discours contre la
vaccination dans notre pays avait probablement été exagérée.
On pourra également citer les résultats d’une enquête conduite
par l’IFOP pour Polytechnique Insights (revue scientifique en ligne
de l’Institut polytechnique de Paris) et citée cette semaine par
l’Express qui révèlent que 92 % des Français déclarent avoir une
bonne image de la science en général.
La science, un bienfait pour une minorité de Français
Cependant, parallèlement à ces constats rassurants, on ne peut
nier la réalité de certaines alertes, telles celles régulièrement
lancées par la Mission interministérielle de vigilance contre les
dérives sectaires (Miviludes) qui observe combien les
pseudosciences et les pseudomédecines semblent gagner du terrain
dans notre pays.
Au pays des paradoxes, dans un même sondage, les personnes
interrogées peuvent être une large majorité à assurer avoir une
bonne image de la science, mais être cependant seulement 40 % à
considérer que la science apporte à l’humanité plus de bien que de
mal, tandis que 45 % jugent que les méfaits sont aussi importants
que les bienfaits et 15 % estiment que le bilan est plutôt négatif
(+ 11 % par rapport à 1989 !).
La diminution de la confiance dans la science se double sans
doute d’une confusion entre les progrès scientifiques en eux-mêmes
et la façon dont ils sont « utilisés » par l’homme et en
particulier par les industriels et les responsables politiques.
D’ailleurs, 73 % des personnes interrogées sont d’accord avec
l’idée selon laquelle la science serait « instrumentalisée dans
le débat public ».
Ostéopathie : une passion française
Existe-t-il un mal français ? Si la tendance humaine à la «
croyance » est sans doute partagée très au-delà de nos frontières,
on observe cependant en France certaines spécificités. On se
souvient par exemple comment en 2019 une étude réalisée par
l’institut Gallup pour l'ONG médicale britannique Wellcome dans 144
pays faisait apparaître que les Français étaient ceux qui
nourrissaient le plus de réticence vis-à-vis des vaccins : ainsi un
sur trois étaient convaincus que ces produits n’étaient pas
parfaitement sûrs.
Dans la même perspective, dans les colonnes de l’Express il y
a quelques jours, le Pr Edzard Ernst (université d'Exeter au
Royaume-Uni) s’étonnait et s’amusait : « A chaque fois que
j'arrive en France, je suis toujours surpris par l'extraordinaire
popularité de l'ostéopathie dans votre pays. Beaucoup de mes amis
français semblent convaincus que l'ostéopathie est la réponse à la
plupart de nos maux, voire à tous. Andrew Taylor Still (1828-1917)
serait ravi : il a inventé l'ostéopathie voilà environ cent vingt
ans et l'a effectivement présentée comme une panacée. Depuis lors,
elle prête à beaucoup de confusion. Il existe notamment des
différences nationales importantes. Par exemple, il ne faut pas
confondre un ostéopathe américain avec un ostéopathe français. Aux
Etats-Unis, l'ostéopathie est exercée depuis longtemps par des
médecins. Partout ailleurs, les ostéopathes sont considérés comme
des praticiens alternatifs », relève-t-il.
Quand les manuels sont radioactifs
Mais d’où viennent ces spécificités françaises ? De notre
propension à discuter les faits établis, à les remettre en
question, à contester ? Peut-être. Cela nous flattera assez de le
penser. Néanmoins, d’autres pistes doivent être envisagées qui sont
moins positives. Il est probable que l’enseignement fasse le
terreau d’une mauvaise culture scientifique, voire de perceptions
erronées.
Ainsi, la société française d’énergie nucléaire (SFEN) vient
de rendre un avis sur la façon dont cette énergie est abordée dans
les manuels scolaires des lycéens alors qu’aujourd’hui, 26 %
de nos concitoyens se déclarent défavorables à l’utilisation de
l’énergie nucléaire. La SFEN analyse : « Alors que la France a
significativement abaissé le nombre d’heures dédiées aux sciences
dans le secondaire, la Sfen s’est interrogée sur la façon dont les
sujets énergie-climat étaient aujourd’hui enseignés au lycée. Elle
s’est basée sur le programme officiel et sur les manuels mis à
disposition des enseignants et des élèves. Ces ouvrages comportent
de nombreuses erreurs sur l’énergie en général et le nucléaire en
particulier. Ces imprécisions, sur par exemple l’impact
environnemental de réacteurs ou le fonctionnement des réseaux
électriques, posent problème alors que de nombreuses études
pointent les lacunes des Français en termes de connaissances sur
les enjeux énergie-climat. Ainsi, une étude récente de l’OCDE
montrait que seuls 57 % des Français répondaient par l’affirmative
à la question « le changement climatique existe et est
d’origine anthropogénique » et seulement 50 % répondaient par
l’affirmative à la question « le nucléaire émet moins de CO2
que le gaz et le charbon ». Des chiffres très inférieurs à ceux
de nos voisins européens ».
Elle relève ainsi : « dans certains manuels, le caractère
bas carbone du nucléaire est très peu mis en valeur ; le nucléaire
étant même assimilé aux énergies fossiles dans certains exemples
» ou ajoute encore : « Un autre texte, tiré du Hatier
(p.165), laisse sous-entendre que le Giec, les experts de l’ONU sur
le climat, recommanderait de sortir du nucléaire. Le Giec classe
pourtant le nucléaire dans les solutions bas carbone ».
Au-delà de ces exemples, la SFEN dénonce des manquements dans
l’enseignement du raisonnement scientifique : « Une partie
importante de l’enseignement scientifique concerne les outils
intellectuels et les méthodes qui permettront aux élèves d’avoir
une analyse critique des informations qui leur seront présentées
tout au long de leur vie de citoyen. Le nucléaire est aujourd’hui
dans le débat public un sujet de controverses et fait l’objet de
nombreux « fact checking ». Il est donc particulièrement
important d’appliquer des raisonnements rigoureux quand on parle de
nucléaire. Dans plusieurs cas cependant, les manuels tombent dans
les travers contre lesquels ils sont sensés former. Alors que la
vérification des sources est un des premiers outils utilisés dans
le fact checking, de nombreux graphiques sont donnés sans source,
ou avec des sources incomplètes. (…) Dans certains manuels, au-delà
des informations manquantes comme la date ou la source, certains
contenus sont présentés comme des faits alors qu’ils auraient
mérité une confrontation entre les principaux points de vue
».
La SFEN se montre également inquiète d’une absence de
distinction entre le danger et le risque.
Or, ces manquements dans l’enseignement des plus jeunes
peuvent se retrouver dans la formation des professionnels de santé,
comme l’a encore une nouvelle fois signalé le récent exemple de
l’université de Lorraine proposant des diplômes universitaires
dédiés à l’homéopathie. Sur ce point, l’Association française pour
l’information scientifique (AFIS) décryptait il y a quelques jours
: « Le non-remboursement des produits homéopathiques n’implique
pas l’interdiction de cette pratique : les patients restent libres
d’y avoir recours. Dès lors, former les futurs professionnels de
santé à accueillir et accompagner ces personnes peut justifier une
formation. Mais il est alors de la responsabilité de l’Université
que les étudiants soient informés en rendant compte du consensus
scientifique, à savoir qu’aucun remède homéopathique n’a démontré
son efficacité. Il ne peut en aucun cas s’agir de faire la
promotion des bienfaits allégués (mais invalidés) de cette
pratique. (…) Il ne s’agit dès lors plus d’un enseignement de
l’homéopathie, mais d’une formation sur l’homéopathie permettant
aux futurs professionnels de santé de répondre aux interrogations
des consommateurs et patients, dont les connaissances sur
l’homéopathie se limitent souvent, hélas, aux affiches et
publicités des entreprises homéopathiques et aux ouvrages grand
public vantant les mérites de cette approche. En réalité, la
plupart des formations dispensées par les universités, en
particulier dans le cadre de diplômes d’université spécifiques,
oublient toute prudence sémantique et s’affichent comme des «
cours d’homéopathie » présentant cette pratique comme une
discipline médicale. Si un certain nombre d’université ont décidé
de mettre fin à cet état de fait, on recensait encore en 2021 une
trentaine d’universités abritant des cours d’homéopathie
».
Alain contre Goliath
Les manquements au raisonnement scientifique élémentaire dans
l’enseignement des enfants et adolescents puis dans la formation
des futurs professionnels de santé font écho à la diffusion par les
médias de nombreux discours pseudo-scientifiques, mais présentés
comme rigoureux. Un des exemples le plus récent fut le documentaire
visible sur Arte ce mardi soir concernant les vaccins.
Se présentant comme un exercice objectif, reposant sur la
parole de nombreux « spécialistes » et « experts, « Des
Vaccins et des hommes » a en réalité contribué à colporter, de
nombreuses contrevérités dangereuses sur la vaccination. Cela a dû
donner lieu à des exercices de décryptage, comme celui réalisé par
le Pr Alain Fischer dans l’Express.
Le spécialiste de la vaccination relève par exemple : « Un
médecin généraliste prétend dans le documentaire que les maladies
infantiles comme la rougeole ou la rubéole sont bénignes et donc ne
justifieraient pas le recours à la vaccination (aujourd'hui
obligatoire). S'il est vrai qu'elles sont en règle générale
bénignes, il est sans doute utile de rappeler que 1) la rougeole
tue encore 135 000 enfants (non vaccinés) chaque année dans le
monde, et que 2) la baisse de la couverture vaccinale en France
comme dans certains autres pays a induit une remontée du nombre de
cas et quelques décès de patients immunodéprimés qui ne pouvaient
être vaccinés et qui auraient dû être protégés par la vaccination
générale. (…) Le documentaire reprend des fake news sans esprit
critique concernant la vaccination contre les papillomavirus. Le
documentaire ne mentionne pas - contrairement à ce qui est allégué
- que le vaccin protège contre le risque de cancer du col de
l'utérus (90 % de protection si la vaccination est effectuée avant
le début de l'activité sexuelle), comme le démontrent plusieurs
publications fondées sur l'analyse de risque chez des millions de
femmes dans plusieurs pays. Il est donc faux de laisser entendre
que la vaccination augmente le risque de ce cancer, en s'appuyant
sur des données qui concernent des femmes non vaccinées ! (…) Ce
documentaire reprend les allégations de Romain Gherardi sur les
risques des adjuvants aluminiques. Risque qu'aucune équipe sérieuse
dans le monde n'a constaté ! ».
Si ces rappels sont essentiels, seront-ils suffisants pour
faire face à la force que représente un documentaire diffusé sur
Arte, compte tenu du gage de sérieux de cette chaîne et alors que
le reportage est disponible en replay ?
Ces différents exemples semblent suggérer d’une part qu’un travail
encore très important semble à réaliser sur la formation et
l’information, afin qu’elles intègrent et restent attachées aux
principes scientifiques. Par ailleurs, il semble que malgré
l’épidémie de Covid, qui a constitué une occasion unique pour
mesurer l’importance des dérives existantes, les apparentes prises
de conscience ne semblent guère avoir eu d’effet.
D’ailleurs, quand on observe la façon dont le gouvernement a
choisi de traiter la question de la vaccination des enfants contre
la Covid, en semblant à nouveau refuser de heurter les « anti
vaccins », on ne peut qu’être conforté dans l’idée qu’aucun
changement n’a réellement eu lieu.
On pourra encore relire :
Enquête conduite par l’IFOP pour Polytechnique Insights
https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/homeopathie-ogm-les-resultats-etonnants-d-une-etude-sur-les-francais-et-la-science_2181819.html
Le Pr Edzard Ernst :
https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/l-osteopathie-cette-etrange-folie-francaise-par-le-pr-edzard-ernst_2181394.html
L’analyse de la SFEN,
https://www.sfen.org/avis/enseignement-scientifique-en-classe-de-terminale-analyse-des-manuels-sur-le-sujet-de-lenergie/
Le point de vue de l’AFIS : Université de Lorraine : promotion de
l’homéopathie ou promotion de l’esprit critique ? (afis.org)
Le décryptage d’Alain Fischer : "Des vaccins et des hommes" : dix
erreurs et "fake news" décryptées par le Pr Alain Fischer -
L'Express (lexpress.fr)
S'il est important de dénoncer les dérives pseudo-scientifiques, encore faut-il faire preuve de rigueur ; la protection à 90 % contre le cancer du col est un chiffre que l'on retrouve souvent, mais dont la réalité reste à démontrer : la grande majorité des cancers du col surviennent après 40 ans et le manque de recul ne permet donc pas de confirmer ce chiffre. Car ce chiffre ne concerne que les filles vaccinées vers 11 ans avant tout rapport sexuel ; or nous n'avons pas encore de recul de 30 ans pour valider un tel chiffre qui ne repose que sur quelques cas survenus chez de très jeunes femmes, donc trop rares pour avoir une bonne puissance statistique. Dans les études pivot avec le Gardasil, la réduction du risque de dysplasie de grade 3 était en intention de traiter de 27 % avec le vaccin tétravalent. Il est probable qu'il devrait être meilleur avec le nonavalent. Mais les autorités croient si peu à ce chiffre de 90 % que le dépistage quinquennal par test HPV reste toujours hautement recommandé.
Dr A Siary
De quel côté sont les fake news?
Le 22 octobre 2022
Devant tant d'affirmations non sourcées du Pr Alain Fischer je ne mentionnerai pour le contredire que les récentes publications suivantes sur l'aluminium et les vaccins : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36180331/ Association Between Aluminum Exposure From Vaccines Before Age 24 Months and Persistent Asthma at Age 24 to 59 Months Angrand, L.; Masson, J.-D.; Rubio-Casillas, A.; Nosten-Bertrand, M.; Crépeaux, G. Inflammation and Autophagy: A Convergent Point between Autism Spectrum Disorder (ASD)-Related Genetic and Environmental Factors: Focus on Aluminum Adjuvants. Toxics 2022, 10,518. https://doi.org/10.3390/ toxics10090518 J.-D. Masson, L. Angrand, G. Badran, R. de Miguel & G. Crépeaux (2022): Clearance, biodistribution, and neuromodulatory effects of aluminum-based adjuvants. Systematic review and meta-analysis: what do we learn from animal studies?, Critical Reviews in Toxicology, DOI: 10.1080/10408444.2022.2105688 To link to this article: https://doi.org/10.1080/10408444.2022.2105688 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32823165/ The role of aluminum adjuvants in vaccines raises issues that deserve independent, rigorous and honest science Myalgia and chronic fatigue syndrome following immunization: T macrophagic myofasciitis and animal studies support linkage to aluminum adjuvant persistency and diffusion in the immune system https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31059838/
H Banoun, pharmacien biologiste, ancienne chargée de recherches Inserm
Vaccination et enfants, et grossesse
Le 22 octobre 2022
J'ai néanmoins une question : quelles sont les données qui spécifient que le risque qu'encourent les enfants à contacter le covid est grave, et que la balance bénéfice risque concernant les enfants est vaut le coup de la vaccination ? Il me semble avoir lu dans des commentaires que les conditions étaient loin d'être requises. J'ai aussi entendu cet été un spot publicitaire vantant la vaccination chez les femmes enceintes et l'immunité chez l'enfant à naître. Quelles données avérées avons-nous concernant ce point, qui me paraît promu sans grand recul ? Après, ayant été dans une école d'audiovisuel dans une vie antérieure, la promotion de messages publicitaires est aussi une compétence professionnelle avec ses experts, et construire des messages médiatiques est aussi une forme de compétence.