
« Une étincelle peut mettre le feu à la plaine » disait
Mao Zedong. L’étincelle qui mettra peut-être fin à trois années de
politique zéro-Covid est justement un incendie, survenue dans la
ville d’Urumqi jeudi dernier. Dans cette cité du Xinjiang, région
déjà endeuillé par une terrible répression contre la population
ouïgoure, les services de secours n’ont pas pu accéder à un
immeuble en feu à cause du confinement drastique qui pèse sur la
ville depuis 3 mois. Bilan : 10 morts.
Un drame qui a touché toute la Chine et qui a été le
déclencheur de manifestations d’opposition aux restrictions
sanitaires un peu partout dans le pays, de Pékin à Canton, de
Shanghai à Shenzhen. S’ils ne sont que quelques dizaines de
milliers à manifester, une goutte d’eau par rapport à la population
chinoise, ces protestations restent d’une ampleur inédite depuis
les tristement célèbres manifestations de Tiananmen de 1989. Le
soutien sur les réseaux sociaux est lui massif. Un communiqué de
l’ambassade de France en Chine appelant à alléger les mesures
sanitaires a ainsi été relayé par plus de 3 millions
d’internautes.
« Nous sommes torturés par un petit rhume »
Dans chaque manifestation, les protestataires brandissent des
feuilles blanches, symbole de la censure qui règne sur les réseaux
sociaux et crient leur désir de liberté, près de trois ans après le
premier confinement de Wuhan. Dans un pays où la liberté
d’expression n’existe pas, certains s’improvisent orateur. Le
discours d’un anonyme lors d’une manifestation à Chongqing a été
relayé massivement par les réseaux sociaux. « Nous sommes
torturés par un petit rhume, il n’y a qu’une seule maladie dans le
monde : le manque de liberté et la pauvreté » lance l’homme
qualifié de héros par les internautes.
Un autre évènement a été le catalyseur de ces protestations
contre la politique sanitaire, qui jusque-là restaient très éparses
: la coupe du monde de football. Grâce aux retransmissions
télévisées montrant des stades pleins, les Chinois ont pu
découvrir, malgré les mensonges de la propagande officielle, que le
reste du monde vivait désormais à nouveau normalement. Depuis, la
télévision chinoise veille à ne plus montrer d’images de
spectateurs démasqués lors des retransmissions des matchs.
Pour le moment, la répression contre ces manifestations reste
« discrète ». Pas de coups de matraques ou de gaz
lacrymogène, la police laisse faire les protestations mais procède
à des arrestations à la fin ou au lendemain des rassemblements. Le
gouvernement chinois n’a toujours pas réagi officiellement à ce
mouvement protestataire. Ce lundi, le Quotidien du peuple, l’organe
de presse officiel du Parti communiste chinois, a tout de même
publié deux articles justifiant à nouveau le bien-fondé de la
stratégie zéro-Covid, qui repose sur des dépistages massifs et des
confinements drastiques.
« A bas le parti communiste ! »
L’inquiétude doit cependant gagner Pékin quand l’on voit que
ces manifestations, au départ cantonnées aux questions sanitaires,
prennent de plus en plus un tour politique. Dans les
rassemblements, on peut ainsi entendre des « Xi Jinping
démission », « Halte à la présidence à vie » ou « A
bas le parti communiste ». Les manifestants entonnent également
régulièrement l’hymne chinois, qui débute par « Debout les gens
qui ne veulent plus être des esclaves », des paroles qui,
comble de l’ironie, ont été censurés sur les réseaux sociaux. Les
protestataires les plus politisés n’hésitent pas non plus à raviver
la mémoire des évènements de 1989.
Peut être Pékin verra dans ses manifestations une porte de
sortie de la politique zéro-Covid, qui pèse lourdement sur
l’économie et montre de plus en plus ses limites : 38 000 personnes
ont été testées positives ce dimanche dans le pays (selon les
autorités), du jamais vu depuis le début de la pandémie.
Quentin Haroche