
L'intervention, avancée à cause de « l'affaiblissement du
rythme cardiaque » du patient, débute au milieu de la nuit. A 2h30
du matin, l'équipe annonce avoir retiré le cœur malade et à 6h00,
avoir placé la prothèse. En tout et pour tout, l'opération durera
7h. En fin de matinée, devant les caméras, l'équipe qualifie
l'opération de « succès » mais ajoute être « modérément
optimiste » (sic) quant aux chances de survie du patient. Mais
dans l'après-midi, Barney Clark ouvre les yeux, reconnaît sa femme
et indique au médecin par un hochement de tête qu'il ne souffre
pas.
Première ou esbrouffe ?
Si l'opération marquera l'histoire, ce cœur artificiel total
implantable et permanent est encore au stade expérimental et le
dispositif loin d'être idéal. La prothèse de 300 grammes, installée
dans la poitrine du malade, est reliée à un encombrant compresseur
de 180 kg (!) à l'aide de deux tuyaux d'un mètre qui s'échappent du
corps du dentiste juste au-dessous de sa cage thoracique.
On pourrait croire, en 2022, que cette nouvelle fut accueillie
avec enthousiasme par la presse, le corps médical et le grand
public. Il n’en fut rien.
En premier lieu le caractère de première mondiale était
contesté. Un autre chirurgien américain, le docteur Denton Cooley,
avait, en effet, en 1969 puis en 1981, implanté sans succès un cœur
artificiel chez deux de ses patients. Dans Le Monde, Jean-Yves Nau
pointait alors une intervention injustement présentée comme
pionnière « avec l'appui intensif de nombreux médias
».
Pourtant, l’opération était bien une première : il s’agissait
d’implanter un cœur artificiel permanent (et pas en pont vers la
transplantation) et également (et surtout !) car le patient
survécut 112 jours (bien que dans des conditions médicales très
difficiles…).
Un ponte de la chirurgie cardiaque saisi d’effroi
Beaucoup accusaient aussi le Dr Devries d’avoir, avec ce cœur,
fabriqué un « Prométhée enchaîne ». Le Pr Cachera, se disait ainsi
saisi d’effroi : « devant ce dramatique scénario de
science-fiction transmis par les médias ». D’autres enfin
reprochaient une expérimentation contraire à l’éthique. Plus tard
le fils du Dr Clark déclara à ce sujet : « je ne crois pas que
mon père ait cru que l'expérience réussirait. Son intention en la
tentant était d'apporter une contribution à l'histoire de la
médecine ».
Seuls quelques originaux s’enthousiasmaient pour cette
intervention. Le Pr Carpentier (qui participa largement à la mise
au point du cœur Carmat quelques années après) saluait ainsi cette
victoire de la médecine…et le JIM, toujours en avance sur son
temps, voyait dans ces attaques une « crainte archaïque »
(JIM,
Janvier 1983).
France : qu’as tu fait de ton cœur Carmat ?
Après 4 décennies de progrès, le cœur artificiel n’est plus
guère remis en cause. Deux voies parallèles ont très largement
progressé : celles des Dispositifs d’assistance circulatoire
mécanique (DACM) de longue durée et celles du cœur artificiel
total. On compte aujourd’hui plusieurs DACM pris en charge en
France (Jarvik 2000, etc.) qui sont régulièrement utilisés.
Il s’agit de pompes implantées en position ventriculaire gauche et
raccordées à la circulation native.
Encore plus ambitieux on compte deux cœurs artificiels totaux
commercialisés : le Syncardia et Carmat. Le Syncardia, dispositif
bi-ventriculaire implantable et pulsatile, remplaçant les
ventricules et les valvules du patient, permet la circulation du
sang à la fois dans le système pulmonaire et dans le système de
circulation générale. Le cœur Carmat, créé par le Pr Carpentier et
des ingénieurs de chez Matra, expérimenté dès la fin des années 80
sur des veaux, et peut-être LE descendant direct du Jarvik 7.
Ce cœur artificiel total (qui ambitionne l’implantation
définitive) fabriqué en matériaux biocompatibles est depuis 2020
commercialisé en Italie et en Allemagne sous le nom d’Aeson (mais
dans une indication de pont vers la transplantation). La France,
pays natal du cœur Carmat, semble, elle, garder sa réticence
originelle pour ce progrès incontestable…
F.H.