
Les deux années de crise sanitaire ont comme gelé les avancées de 10 ans de politique anti-tabac. C’est le bilan assez peu encourageant du baromètre annuel de Santé Publique France sur la consommation de tabac publié ce mardi. Après plusieurs années de baisse continue due à des campagnes de sensibilisation sur les dangers du tabac mais aussi et surtout à la hausse continue du prix du paquet de cigarettes, le tabagisme a de nouveau progressé en 2020 à la faveur de la crise sanitaire. Selon SPF, la deuxième année de crise sanitaire a été marquée par une stagnation de la part de fumeurs dans la population française : 25,3 % des Français âgés de 18 à 75 ans fument quotidiennement et 31,9 % occasionnellement. La part de fumeurs quotidiens est similaire à celle qu’elle était en 2020 (25,5 %) et supérieure à 2019 (24 %).
Une stabilisation de la part de fumeurs qui cache des dynamiques différentes selon les populations et les territoires. Ainsi, la prévalence du tabagisme a augmenté significativement entre 2019 et 2021 chez les femmes (de 20,7 % à 23 %) tandis qu’elle a diminué chez les hommes, passant de 29,1 % en 2020 à 27,8 % à 2019, retrouvant ainsi quasiment son niveau de 27,5 % de 2019. Le cliché selon lequel fumer serait une activité virile semble avoir définitivement vécu. Selon SPF, cette augmentation du tabagisme féminin serait directement liée à la crise sanitaire. Les femmes auraient subi de plein fouet les conséquences économiques et sociales de l’épidémie, avec une plus grande dégradation des conditions de travail et une augmentation de la « charge mentale » qui pèse sur les femmes. Le tabac est alors utilisé comme une manière de réduire le stress.
Progression également du tabagisme chez les personnes les moins diplômées : 32 % des Français qui n’ont pas le bac consomment du tabac quotidiennement soit 3 points de plus qu’en 2019, alors que les diplômés du supérieur fument de moins en moins depuis 5 ans (21 % en 2016 et 17 % en 2021). Une véritable fracture sociale s’est créée qui ne fait que s’accroître ces dernières années. Ainsi, 32,7 % de ceux qui sont dans le tercile le plus faible en termes de revenus mensuels fument quotidiennement, contre 17 % de ceux qui se situent dans le tercile supérieur. Plus marquant encore, 45,7 % des chômeurs sont des fumeurs quotidiens, contre 26 % chez les travailleurs et les étudiants.
Là aussi, cette augmentation du tabagisme chez les plus défavorisés est sans doute la conséquence d’un impact économique et social plus fort de la crise sanitaire pour ces populations. Des enquêtes menées en 2020 et 2021 montrent que les personnes qui utilisent le tabac pour gérer leur stress avaient eu tendance à accroître leur consommation durant la crise sanitaire. Une tendance qui devra sans doute conduire à réfléchir à la pertinence de la politique de hausse continuelle du prix du paquet de cigarettes, alors qu’ils semblent que les plus défavorisés soient parfois prêts à sacrifier d’autres activités plutôt que d’abandonner le tabac.
Autre piste évoquée par SPF pour expliquer cette tendance durant la crise sanitaire, le fait que les politiques anti-tabac de santé publique aient perdu tout impact en raison de l’impossibilité de mener des actions sur le terrain et parce que la communication des autorités était presque entièrement tournée vers la Covid. En témoigne le fait que les inscriptions pour le mois sans tabac se soient effondrées en 2020 et n’aient pas retrouvé leur niveau d’avant crise en 2021.
Tout n’est pas totalement noir dans le tableau dressé par SPF, qui note notamment une baisse du tabagisme chez les plus jeunes. Il a ainsi nettement reculé chez les hommes de 18 à 24 ans (de 35,8 % en 2019 à 28,7 % en 2021) et chez les adolescents des deux sexes.
Santé Publique France va désormais relancer une campagne de communication à compter de février prochain pour « dédramatiser l’arrêt du tabac » et « inciter les fumeurs à faire une tentative d’arrêt ». La campagne sera notamment constituée de témoignages vidéos d’anciens fumeurs. L’objectif est notamment de rattraper le retard de la France sur ses voisins et amis : seulement 15 % des Hollandais, 14 % des Britanniques et 13 % des Américains fument quotidiennement.
Quentin Haroche