
Dallas, le mardi 11 avril 2023 – Un juge fédéral texan a prononcé une décision d’interdiction de la pilule abortive qui s’applique en théorie à l’ensemble des Etats-Unis.
Dix mois après la décision historique de la Cour Suprême de mettre fin à la protection constitutionnelle du droit à l’avortement (qui a conduit à l’interdiction de l’avortement dans 13 Etats américains), le droit à l’IVG est de nouveau menacé aux Etats-Unis avec l’assentiment de la justice. Ce vendredi, un juge fédéral basé à Amarillo dans le nord-ouest du Texas a prononcé une décision suspendant l’autorisation de mise sur le marché de la mifepristone (aussi connu sous le nom de RU 486), la principale pilule abortive utilisée aux Etats-Unis, en association avec le misoprostol. Dans le pays, 53 % des avortements sont médicamenteux et ce sont 5,6 millions d’Américaines qui ont eu recours à la mifepristone depuis son autorisation en 2000.
Bizarrerie du droit américain, cette décision prise par un seul juge au fin fond du Texas s’applique en théorie à l’ensemble du territoire américain. La coalition de médecins et de militants « pro-vie » qui ont initié cette action en justice en novembre dernier n’ont d’ailleurs pas choisi de porter cette affaire devant ce magistrat au hasard. Nommé à ce poste en 2017 par l’ancien président républicain Donald Trump, le juge Matthew Kacsmaryk est connu pour ses positions résolument conservatrices, ayant plusieurs fois publiquement critiqué le mariage homosexuel, le transsexualisme ou le droit à l’avortement.
Une décision critiquée par Joe Biden
Dans sa décision, le juge Kacsmaryk a repris quasiment in extenso les arguments des opposants à l’avortement et même leur terminologie, parlant d’un « humain non né » à la place d’un fœtus. Il s’appuie notamment sur des études qui aurait prouvé que l’utilisation de la mifepristone serait dangereuse pour les femmes. En réalité, la communauté scientifique s’accorde pour dire que le RU 486 est un médicament à la fois sûr et efficace, qui présente des effets secondaires relativement rares. Cela n’a pas empêché le juge texan de considérer qu’en autorisant la mifepristone, la FDA (l’agence américaine du médicament) a cédé à « d’intenses pressions politiques pour renoncer à ses précautions de sécurité afin de promouvoir l’objectif politique d’élargir l’accès à l’avortement ».
Cette décision de suspension de la mifepristone, qui intervient trois semaines après que l’Etat du Wyoming soit devenu le premier à interdire la pilule abortive, a provoqué une levée de boucliers chez les démocrates. « Nous devrions tous être révoltés qu’un juge puisse unilatéralement rejeter des preuves médicales » a commenté la présidente de l’agence américaine du planning familial. Signe de l’importance de la situation, le président américain Joe Biden a pris la parole, annonçant ce samedi que cette décision constituait un précédent dangereux et que son gouvernement allait tout faire pour la renverser.
L’industrie du médicament s’inquiète
Au-delà de la question très politique de l’avortement, le fait qu’un juge ait pu substituer « sa propre évaluation erronée des risques » à celle des experts, selon les termes de la FDA, inquiète quant à la sécurité des autorisations de mise sur le marché en général. La Maison Blanche s’est ainsi inquiétée que cette décision « ouvre les vannes de la contestation d’autres médicaments » et plus de 250 firmes pharmaceutiques américaines, dont le géant Pfizer, ont dénoncé dans un communiqué commun un arrêt qui « créé de l’incertitude pour l’industrie pharmaceutique dans son ensemble en ignorant des décennies de preuves scientifiques ».
La FDA a immédiatement fait appel de la décision du juge Kacsmaryk, suspendant sa mise en application. L’affaire va donc être examinée dans les prochains mois par la cour d’appel fédérale de la Nouvelle-Orléans, à majorité conservatrice, avant de probablement être tranché par la Cour Suprême, également tenue par les conservateurs. Pour complexifier encore la situation, notons que le jour même de la décision du juge Kacsmaryk, un autre magistrat de l’Etat de Washington, progressiste cette fois, a interdit à la FDA de prendre « toute mesure visant à retirer la mifépristone du marché ou à réduire la disponibilité du médicament ».
Même si cette décision de suspension d’autorisation de la mifépristone venait à être in fine confirmée par la justice, il faudrait plusieurs mois avant que ce médicament ne soit totalement retiré du marché estiment les experts du droit de la santé. Les Américaines pourraient alors se tourner vers l’autre pilule abortive, le misoprostol, qui peut être utilisé seul. Plusieurs Etats démocrates, dont la Californie et le Massachussetts, ont déjà annoncé constituer des stocks de misoprostol pour faire face à cette éventualité.
Quentin Haroche