Aide médicale d’Etat : et si le vrai problème, c’était son accès ?

Paris, le mercredi 26 avril 2023 – Une enquête conduite par plusieurs associations, dont Médecins du Monde et le Secours Catholique, fait état d’un véritable parcours du combattant concernant les demandes d’accès à l’Aide médicale d'Etat (AME) en Île-de-France.

Informations erronées ou incomplètes, obligation de prendre un rendez-vous, délais d’attente… Cinq associations — La Cimade, Dom'Asile, le Comité pour la santé des exilés (Comede), Médecins du Monde et le Secours Catholique (Seine-Saint-Denis) — ont mené une enquête sur les conditions d’accès à l’Aide médicale d’État (AME) en Île-de-France.

Ces travaux comportent trois volets. Les organisations ont tout d’abord procédé à un recueil d’informations en ligne via le site ameli.fr et la plateforme de prise de rendez-vous clicRDV.com. Les auteurs de l’enquête ont également effectué un testing téléphonique au 3646 (numéro payant de l’assurance maladie qu’il faut contacter pour prendre rendez-vous) et ont recueilli des témoignages des usagers à la sortie de la CPAM de La Courneuve.

Une couverture territoriale très insuffisante

Le premier constat établi par les associations est que la couverture territoriale est particulièrement insuffisante. En Seine–Saint-Denis (93), une seule agence est dédiée à l’accueil des primodemandeurs de l’AME, celle de La Courneuve. Cette limitation des dépôts à certaines agences de la CPAM « engendre des difficultés considérables en rallongeant et complexifiant les trajets des usagers », soulignent les auteurs de l’enquête.

Les personnes en situation irrégulière risquent ainsi l’interpellation dans les transports en commun en cas de contrôle policier. Plus généralement, les primodemandeurs doivent interrompre leur activité professionnelle pour se rendre à la CPAM, entraînant une perte de revenus.

Les associations réclament donc la possibilité pour les demandeurs de déposer leurs demandes d’AME dans « toutes les agences d’assurance maladie de chaque département ».

La prise de rendez-vous, un véritable « parcours labyrinthique »

Les cinq associations à l’origine du rapport dénoncent, par ailleurs, le véritable labyrinthe que constitue la prise de rendez-vous. Pourtant, celle-ci est souvent obligatoire pour de nombreuses démarches. « La quasi-majorité des CPAM d’Île-de-France imposent une prise de rendez-vous, par internet ou par téléphone, pour venir déposer son dossier, et dans certains départements, pour venir retirer sa carte », pointent les auteurs. « Cela constitue une entrave majeure d’accès aux droits pour un public en situation de grande précarité ».

Au cours de leur enquête, les associations ont essentiellement pu constater une insuffisance de renseignements importants et de multiples obstacles à l’obtention « d’informations fiables » : manque d’accessibilité et changements fréquents des indications concernant les lieux et les modalités de dépôts et demandes d’AME, fermeture des guichets des CPAM (dématérialisation)…

Le numéro de téléphone 3646 est considéré, quant à lui, comme difficilement joignable. Ainsi, le taux d’appel non décrochés avoisine les 40 %, tandis que lorsqu’un opérateur décroche, les erreurs dans les renseignements transmis ne sont pas si rares. Certains éléments cruciaux ne sont parfois tout bonnement pas mentionnés, comme l’obligation de se présenter physiquement au guichet des CPAM pour déposer sa première demande — une information « oubliée » dans près d’un appel sur trois.

« Les réponses erronées ou incomplètes ont des conséquences graves pour les parcours administratifs des personnes », font remarquer les auteurs du rapport. « Les CPAM pointent souvent la surcharge de travail liée aux multiples sollicitations, mais cette situation résulte bien souvent des informations parcellaires communiquées aux usagers ».

Les associations réclament donc la mise en place de la possibilité de déposer les demandes d’AME sans rendez-vous « afin de simplifier les parcours labyrinthiques actuels qui entravent l’accès aux droits à la santé ».

Quand les vigiles barrent l’entrée des CPAM

Concernant l’ouverture des droits, les auteurs du rapport ne peuvent que constater que, là encore, le parcours est semé d’embûches.

Sur 60 personnes sondées s’étant présentées en agence pour une primodemande, seules 45 % ont pu déposer leur dossier. Six sur dix ont dû s’y reprendre à plusieurs reprises pour enfin y parvenir. Pour ceux qui n’ont pas réussi, le premier motif de refus est le dossier incomplet. Le second provient de l’impossibilité d’entrer dans l’agence en raison de l’opposition des vigiles (une situation qui concerne environ 1 personne sur 5).

Le retrait de la carte AME est également compliqué — une fois encore l’obligation de prendre un rendez-vous pour se voir délivrer sa carte est très rarement mentionnée.

Pour finir, les associations réclament donc « l’accueil inconditionnel des personnes concernées par des démarches AME dans toutes les agences de proximité des CPAM et la mise en place des dispositifs appropriés afin de faciliter leur accès à l’information et favoriser leur autonomie dans leurs démarches (interprétariat, brochures d’information, formation des agents) ».

Quelques semaines après que les sénateurs ont en commission (dans le cadre de l’examen du projet de loi immigration) tenté une nouvelle fois de faire voter la suppression de l’AME (ce que n’ont pas manqué de déploré plusieurs sociétés savantes médicales), cette enquête suggère que le vrai problème de l’AME ne concerne sans doute pas les possibles fraudes et abus, mais son très difficile accès.

Raphaël Lichten

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