
Londres, le lundi 12 juin 2023 – Plusieurs pays occidentaux ont décidé de suspendre l’accès à des traitements hormonaux aux mineurs transgenres.
Peu de questions suscitent plus la polémique que celle de la prise en charge des personnes transgenres, notamment lorsqu’il s’agit d’enfants et d’adolescents. Le nombre de mineurs disant souffrir de dysphorie de genre a fortement augmenté ces dernières années dans nos sociétés occidentales, sans que l’on puisse dire si cela est dû à une meilleure acceptation de la société ou s’il s’agit d’un effet de « mode ». Leur prise en charge soulève des questions politiques et juridiques, mais également éthiques et médicales, qu’il est souvent difficile de trancher de manière raisonnée, tant le débat sur la question est passionné.
Aux Etats-Unis, le sort des personnes transgenres est devenu un élément de la bataille culturel que se mènent Démocrates et Républicains. Ces derniers mois, plusieurs Etats conservateurs ont donc adopté des lois interdisant aux mineurs transgenres l’accès à des traitements hormonaux, notamment aux bloqueurs de puberté, ou de pouvoir bénéficier d’opérations de changement de sexe. La Floride, dont le gouverneur Ron De Santis est candidat à la candidature républicaine à la prochaine élection présidentielle, ainsi que le Texas, par une loi adoptée le 2 juin dernier, ont dernièrement décidé de telles interdictions. Des initiatives qui ont été dénoncées par la Maison Blanche, Joe Biden considérant que ces lois étaient « non américaines et devaient cesser » tandis que des associations LGBT ont saisi la justice pour faire annuler ces lois.
Si l’on peut suspecter que ces décisions sont plus motivées par des raisons politiques que médicales, ce n’est sans doute pas le cas de celle du National Health Service (NHS) au Royaume-Uni. Les autorités médicales britanniques ont en effet annoncé ce samedi que les mineurs transgenres ne pourront désormais avoir accès à des bloqueurs de puberté que dans le cadre d’essais cliniques (à l’exception des patients ayant déjà débuté un traitement).
Cette décision fait suite à un rapport rendu récemment sur la prise en charge des mineurs transgenres au Royaume-Uni, qui a conclu qu’« il n’y a pas de consensus clair sur la nature de la dysphorie de genre et donc sur sa prise en charge clinique adéquate » et qu’il n’existait pas « de preuve claire du bien fondé des traitements hormonaux chez les mineurs ». Le NHS ne ferme pas totalement la porte à l’administration de traitements hormonaux aux mineurs, mais estime qu’il est d’abord nécessaire de mener une étude approfondie sur le devenir des adolescents ayant bénéficié (ou subi) des traitements hormonaux. Le NHS recommande également une forte augmentation de l’offre de soins en raison de l’explosion du nombre de demandes : plus de 7 000 mineurs disant souffrir de dysphorie de genre sont actuellement en attente d’une prise en charge, avec un délai d’attente de parfois plus de trois ans (ce qui laisse souvent le temps d’atteindre la majorité !).
Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays européen à s’interroger sur l’opportunité de laisser les adolescents transgenres accéder à des traitements hormonaux. La Finlande en 2020 et la Suède en 2022, pourtant des pays très progressistes (la Suède est le premier pays au monde à avoir autorisé le changement de sexe à l’état civil) ont décidé d’un moratoire sur les traitements hormonaux pour les mineurs. En Suède, plusieurs éléments ont incité les autorités à faire machine arrière : le nombre important de mineurs transgenres souffrant en réalité d’autres troubles psychiatriques (autisme et dépression notamment) ainsi que les cas médiatisés de personnes ayant regretté leur changement de sexe et ayant dû entamer une « détransition ».
En France, en théorie, rien n’interdit à des mineurs transgenres de bénéficier de traitements hormonaux ou même d’une opération de changement de sexe. En pratique, si les opérations ne sont jamais pratiquées sur les mineurs, le manque de recommandations officielles crée des différences de prises en charge très marquées selon les spécialistes rencontrés. Pour le moment, seule l’Académie de Médecine s’est exprimée sur le sujet en février 2022, incitant les médecins à faire preuve de « la plus grande prudence médicale » dans la prise en charge des mineurs transgenres, évoquant le risque de regret et de détransition. Des recommandations plus spécifiques sont attendues de la part de la Haute Autorité de Santé (HAS) pour septembre.
D’un point de vue politique, la question divise les féministes, certaines estimant que la reconnaissance des droits des femmes transsexuels fait partie intégrante du combat féministe, d’autres au contraire s’inquiètent de cette négation du sexe biologique. La gauche française est également embarrassée. Sur une question proche, celle du droit des mineurs transgenres de pouvoir changer de sexe à l’état civil, le député de la Somme François Ruffin, pressenti pour représenter la gauche en 2027, a eu le malheur de déclarer qu’il ne jugeait pas la question essentielle. Mal lui en a pris, puisque le député a été l’objet de fortes critiques de la part de militants LGBT a donc dû se confondre en excuses.
Le signe qu’il est bien difficile d’exprimer librement ses opinions sur le sujet.
Quentin Haroche