Euthanasie : un avant-goût de l’impossible consensus parlementaire

Paris, le jeudi 29 juin 2023 – Les atermoiements d’Emmanuel Macron sur l’élaboration d’une nouvelle loi sur l’accompagnement de la fin de vie, avec pour objectif la légalisation d’une aide active à mourir, lui ont été assez reprochés. Cependant, ils manifestaient une parfaite conscience de l’impossibilité d’obtenir sur ce sujet un facile consensus, en dépit de ce que pourraient laisser croire les sondages affirmant une large adhésion des Français à une loi autorisant l’euthanasie.

Position minoritaire

De fait, la semaine dernière étaient déjà évoquées dans le Figaro et dans nos colonnes les fortes tensions qui ne font que s’accroître entre les responsables de l’élaboration de la loi et les professionnels de santé invités à y participer. Aujourd’hui, c’est un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat qui signale combien les débats parlementaires devraient être difficiles. Signé par Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert (LR), adopté par la majorité de la commission (mais sans faire l’unanimité), le texte fait écho aux positions exprimées minoritairement au sein du Conseil consultatif national d’éthique ou lors des débats citoyens (dont les deux rapporteurs critiquent d’ailleurs l’organisation).

Une nouvelle loi, pourquoi faire ?

Le rapport tout d’abord interroge la nécessité d’une telle loi. Ainsi, Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert estiment que la loi Claeys-Leonetti dont elles rappellent qu’elle est considérée par certains comme « un trésor national » suffit à répondre aux problématiques d’accompagnement de la fin de vie et devrait aujourd’hui être mieux appliquée. Par ailleurs, les deux sénatrices invitent à prendre des distances avec les résultats des sondages qui affirment que les Français attendent très majoritairement une loi autorisant l’euthanasie. Nous avons déjà évoqué sur le JIM les enquêtes déjà un peu anciennes conduites par le Dr Véronique Fournier (à l’époque directrice du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin) montrant bien l’ambivalence des plus âgés vis-à-vis de l’euthanasie et l’aspiration bien plus marquée à un accompagnement. De la même manière, récemment dans le Monde, le Dr François Larue, insistait « La pratique des soins palliatifs apprend que l’ambivalence des patients est habituelle, voire systématique : il est très fréquent qu’un patient, notamment en phase avancée d’une maladie grave, exprime parfois dans le même temps qu’il est conscient d’être en fin de vie mais qu’il projette un voyage dans un délai qui paraît peu réaliste ».

De leur côté, Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert citent les résultats d’une enquête menée par le Cercle vulnérabilité et société qui signale que lorsque plusieurs pistes sont proposées, seuls 43% de sondés cite la légalisation de l’aide active à mourir comme la première des priorités. Bien sûr, cela ne signifie pas que les Français seraient opposés à l’euthanasie (on peut être certain que l’on n’aura pas recours à l’avortement en cas de grossesse non désirée tout en considérant que l’autorisation de l’IVG est un enjeu de santé publique), néanmoins cela relativise le discours souvent répété que l’aide active à mourir serait une attente urgente pour la société (à la différence de la légalisation de l’IVG dans les années 70).

Un cadre impossible

Outre leurs interrogations quant au besoin d’une nouvelle loi, Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert mettent en garde contre les difficultés d’élaboration d’un tel texte et les premières discussions avec les représentants des professionnels de santé confortent leur position. Les deux élues font écho aux situations étrangères : « Dans ces pays qui ont légiféré sur l'aide active à mourir, quelque que soient les restrictions adoptées au départ, le cadre n'a jamais tenu. L'offre créée la demande. Le recours à l'aide active à mourir s'élargit de manière inéluctable et comporte un risque de banalisation », explique Corinne Imbert citée par le Figaro. Les deux auteurs du rapport envisagent déjà la multiplication des recours et autres complexités juridiques quant à la détermination des types de pathologies et situations éligibles ; une loi sur une telle matière ne pouvant jamais être exhaustive.

Non au meilleur des mondes

Enfin, la réserve la plus forte du rapport concerne le message envoyé par une telle loi aux plus vulnérables, aux plus fragiles. Or, et c’est un signal supplémentaire quant aux remous politiques qui s’annoncent, les réticences exprimées dans ce rapport font écho à celles du ministre des Solidarités. Jean-Christophe Combe a ainsi fortement insisté : « Il faut être très vigilant au signal que nous envoyons aux personnes qui se sentent fragiles ou désespérées et à leurs familles ». Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert renchérissent en prenant notamment l’exemple de la maladie de Charcot (qui est souvent mise en avant par les défendeurs de l’euthanasie) : « Cette maladie ne doit pas être utilisée comme un étendard pour défendre une cause. Nombre des patients souhaitent vivre même s'ils se savent condamnés en l'état actuel de la recherche », écrivent les deux élues. Pour ces dernières, si le message est dangereux c’est aussi parce qu’il risque d’orienter les politiques publiques : pourquoi continuer à investir dans la prise en charge des incurables, des plus malades, si l’aide active à mourir existe ? Pourquoi développer les soins palliatifs ? Autant de questions qui évidemment aujourd’hui ne sont clairement pas ainsi posées mais qui pourraient émerger à la faveur de difficultés économiques accrues (et alors que les tensions sont déjà très fortes aujourd’hui). Autant de points de vue qui bien sûr ne laisseront indifférents ni ceux pour lesquels ces questions sont toujours l’objet de doutes, ni ceux dont les convictions sont parfaitement établies et qui en tout état de cause rappellent combien les discussions risquent d’être particulièrement délicates ; ce qu’Emmanuel Macron redoutait sans doute.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (7)

  • Toujours la même chose

    Le 29 juin 2023

    Tant qu'on n'aura pas la clairvoyance et le courage de poser préalablement la question très générale du suicide, on n'en sortira jamais.
    Le suicide est-il un strict interdit social ? Est-ce un droit humain imprescriptible ? Est-ce un droit soumis à des conditions légales et réglementaires ?
    Si l'on commençait par cet indispensable travail parlementaire, au lieu de perdre en arguties pseudo médico-scientifiques, en considérations politico-sanitaires, en postures philosophico-religieuses, on n'en serait pas là.
    Cette problématique purement sociétale exige une réponse purement juridique, c'est à dire une réponse du législateur claire et de portée très générale. Le corps médical n'a rien à y apporter de plus que son diagnostic sur la santé mentale des personnes concernées quand on le lui demande.

    Dr Pierre Rimbaud

  • Et moi qui esperais tant

    Le 29 juin 2023

    Pour avoir été réanimateur et spécialiste des douleurs, que les choses soient claires...
    De par ma profession j'ai la chance d'avoir accès aux substances adéquates le jour où...
    Directives anticipées faites : pas de réanimation, pas de chimiothérapie, pas de radiothérapie...
    Bref laissez moi faire. C'est a priori la seule chose que je puisse faire, décider de mourir avant l'AVC ou lors de l'infarctus.
    Lors de la première Covid en mars 2020, j'ai fait de gros troubles du rythme ventriculaires, ne sachant jamais si je me réveillerai le matin, j'ai refusé tout traitement, serein.
    A 75 ans je pense en avoir assez fait pour ne pas subir les insidieux méfaits qui vous mènent a votre insu en EHPAD.

    Pr émérite André Muller

  • Développement des soins palliatifs

    Le 29 juin 2023

    Le seul consensus des personnes ayant participé aux commissions sur la fin de vie portait sur le développement des soins palliatifs, qui sont en quantité notoirement insuffisante. Ces personnes avaient également fait des propositions tout à fait entendables. A quoi cela sert-il de les avoir réunies si on ne tient aucun compte de leur travail ?
    Sinon, d'accord avec la plupart de mes confrères. Si les gens veulent se suicider, pourquoi pas, mais sans moi.

    Dr Marie Ange Grondin

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