Patient Zéro

Paris, le samedi 1er juillet 2023 – Mourir en voyage. Prendre congés de sa vie alors que l’on peut encore en apprécier certains charmes. Ce n’est pas tout à fait ce qui est arrivé à Donald Triplett, mais c’est presque ce qui lui est arrivé. Agé de 89 ans, ce natif de Forest (Mississipi) est mort ce 15 juin quelques jours après avoir fait une chute dans un aéroport. A l’image de sa vie consacrée à la découverte du monde, chaque fois qu’il n’était pas consciencieusement en train d’accomplir son rôle d’employé de la banque locale… ce qu’il fit pendant 65 ans.

Numéro

Ce n’est pas seulement cette extraordinaire longévité au travail qui explique l’émotion de l’ensemble des salariés de la banque de Forest. Certes, comme l’a indiqué un communiqué de l’entreprise, « Chaque employé qui a franchi nos portes peut rapporter de bonnes histoires et des souvenirs de lui ». Cependant, c’est aussi en raison du caractère particulier de Donald, fils d’un des propriétaires historiques de la banque, que l’émotion et les souvenirs sont si marquants. Donald Triplett avait en effet pour habitude d’affubler non pas seulement d’un surnom, mais d’un numéro toutes les personnes qu’il croisait à la banque, tandis qu’il conservait dans son bureau une impressionnante collection de bibelots et de cartes postales, très précisément agencée.

Référence controversée

Ce que ses collègues associaient presque naturellement à Donald Triplett avait fait l’objet, il y a plusieurs décennies, d’une description détaillée publiée dans la revue Nervous Child en 1943 par le pédopsychiatre Léo Kanner. Dans cet article, le médecin de l’hôpital Johns Hopkins, proposait, en se référant notamment au « Cas 1 » de Donald la première description clinique de l’autisme. Son texte « Autistic Disturbances of Affective Contact » a longtemps fait référence en raison de la précision de ses observations et de la description minutieuse de traits retrouvés chez de nombreux patients, mais a également contribué au réflexe si délétère de culpabilisation des mères et notamment des parents, en invoquant le concept de « mère frigidaire ».

Hexagone

Les mémoires sont désormais éteintes et nul ne sait quelles marques d’affection le petit Donald Triplett recevait de ses parents. Il est certain en tout cas qu’il était l’objet d’une grande attention de leur part. Alors que dès le plus jeune âge, l’enfant marquait des signes de grandes difficultés à établir un contact avec les autres, y compris, avec ses parents, ces derniers avaient choisi de le placer quelques temps dans un institut spécialisé. Cependant, ils l’en retirèrent rapidement pour se concentrer sur chacun des progrès mais aussi chacune des étrangetés de cet enfant, soudain sujet à de violentes colères, parlant très peu, fasciné par certains objets bien plus que par les autres enfants même en train de déguster une glace ou un bonbon, mais pouvant parallèlement mémoriser en quelques instants et parfaitement les notes d’une mélodie entendue une seule fois. Patiemment, les parents de Donald consignent chacun de ses signes et ce « journal » devient une lettre de 22 pages envoyée à Léo Kanner et à son équipe. Très intéressé par ce cas si minutieusement décrit, le praticien, qui étudiait depuis quelques années des enfants présentant des comportements proches, rencontra la famille. Et quand l’enfant rentra dans son bureau du Harriet Lane Home en octobre 1938, sans un regard pour les praticiens présents, il se dirigea immédiatement vers une petite table afin de manipuler les objets posés dessus. Il ne fit qu’une seule réponse aux questions de Léo Kanner : « Je vais dessiner un hexagone ».

Le Forest Gump de Forest  

Si la famille de Donald Triplett nourrissait par ces visites médicales un fort désir de comprendre les troubles de leur enfant, ils n’envisagèrent plus jamais aucun placement dans un « établissement spécialisé ». Donald Triplett fut scolarisé dans le lycée de la ville où il réussit ses études jusqu’à obtenir une licence de Français. Enfin, il intégra la banque de son père, où ses facilités en mathématiques lui permirent d’apporter une aide précieuse. Donald Triplett traversa la vie en ignorant pratiquement tout de l’agitation médicale qu’entraîna la publication de l’article de Léo Kanner, en ignorant également les nombreuses controverses et hypothèses qui jusqu’à aujourd’hui ont concerné l’origine de l’autisme. Multipliant les voyages, il a également continué à vivre ses passions pour les notes de musique, les numéros du Times qu’il rangeait méthodiquement par ordre de numéro (mais sans guère s’intéresser au contenu des différentes éditions) et toute autre sorte de collections d’objets. Ses mémorables colères peu à peu s’apaisèrent et il apprit également à établir des contacts, bien que toujours restreints avec les autres. Pour ceux qui l’ont connu, sa vie est un message d’espoir pour les familles touchées par l’autisme, quant à la possibilité d’une intégration au sein de la communauté.

En effet, pour de nombreux habitants de Forest, Donald Triplett est bien plus que le « Cas 1 », ou le « Patient Zéro », mais celui qui était tant intéressé par les photos de président des Etats-Unis, les accords musicaux ou encore les objets ronds et qui a deux ans était capable de réciter le 23e psaume de l'Ancien Testament.

Aurélie Haroche

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