Profession : traqueur de variants

Indianapolis, le samedi 2 septembre 2023 – Plusieurs autodidactes à travers le monde se sont donnés pour mission de découvrir de nouveaux variants du SARS-Cov-2. Parmi eux, Ryan Hisner, un instituteur de l’Amérique profonde désormais reconnu parmi les spécialistes de la Covid-19.

En janvier dernier, une étude établissant que le médicament antiviral molnupiravir pouvait favoriser les mutations dans le génome du SARS-Cov-2 était proposée à la publication au British Medical Journal. Parmi les signataires, on trouvait quatre éminents scientifiques exerçant dans de prestigieuses universités britanniques…et un certain Ryan Hisner, qualifié de « chercheur indépendant ». Comment ce modeste instituteur, vivant dans la petite ville de Monroe dans l’Indiana, au cœur de l’Amérique profonde et qui n’a jamais mis les pieds dans un laboratoire ou même fait d’études supérieures, a pu devenir signataire d’un article scientifique ? Tout simplement en devenant, en pur autodidacte, l’un des experts mondiaux des variations du SARS-Cov-2.

Avant que l’épidémie de Covid-19 ne frappe notre planète en 2020, Ryan Hisner n’avait, comme beaucoup de nos concitoyens, qu’une idée assez vague des notions de virus ou de variants. C’est en se rendant compte qu’il n’était pas toujours capable de répondre aux questions de ses jeunes élèves sur l’épidémie que l’instituteur décide d’approfondir ses connaissances. D’abord en suivant des scientifiques sur Twitter puis en se plongeant dans des ouvrages scientifiques, Ryan Hisner se forge de solides connaissances en virologie.

« Une connaissance encyclopédique du virus »

En 2021, le scientifique en herbe découvre que des milliers de séquences génétiques du SARS-COV-2 sont publiés chaque jour sur des bases de données et que les virologues « officiels » n’ont pas le temps de les analyser. Il décide alors de consacrer plusieurs heures par jour à examiner ces séquences, à la recherche de mutations. En juin 2022, pour la première fois, il soumet un variant sur « Pango », une plate-forme sur laquelle tout à chacun, scientifique reconnu comme autodidacte, peut proposer un nouveau variant, qui doit ensuite être validé par un comité d’experts. En un peu plus d’un an, Ryan Hisner a proposé plus de 100 variants différents du SARS-Cov-2, soit 7 % des propositions faites sur la plateforme.

Un travail qui a fait de lui un expert reconnu du virus parmi les « vrais » scientifiques. « Ryan a une connaissance presque encyclopédique du virus, c’est très stimulant de voir quelqu’un qui est constamment à jour des découvertes scientifiques, plus qu’aucun professionnel que j’ai pu rencontrer » salue Jesse Bloom, un virologue exerçant à Seattle. Selon lui, consulter le compte Twitter de Ryan Hisner est désormais un passage obligé pour tout scientifique qui veut se tenir informé des dernières mutations du Sars-Cov-2.

« Sans le travail de Ryan Hisner, de nombreuses mutations passeraient sous les radars » reconnait Tom Peacock, un virologue à l’Imperial College de Londres et l’un des co-auteurs de l’étude précitée sur le molnupiravir. C’est grâce aux recherches réalisées par Ryan Hisner qu’il a pu comprendre avec son équipe que cet antiviral pouvait favoriser l’apparition de mutations dans le génome du virus.

Dresseur de chiens le jour, chasseur de variants la nuit

Ryan Hisner n’est pas un cas isolé. A travers le monde, ils sont plusieurs dizaines de scientifiques amateurs, le plus souvent autodidactes, qui scrutent, sur leur temps libre, les séquences génétiques publiées sur Internet à la recherche de variants. La plupart des mutants d’Omicron identifiés récemment l’ont ainsi été par ces chercheurs bénévoles. Ryan Hisner a notamment découvert le variant XBB 1.16, aussi appelé Arcturus, qui circulait activement au printemps dernier. Plusieurs variants ont été découverts par Federico Gueli, un Italien de 47 ans. Sa profession ? Dresseur de chiens. « Je travaille avec Ryan depuis deux ans sans jamais avoir de soucis, même quand nos avis divergent » raconte celui qui a fini par être embauché par un laboratoire.

Après deux ans à traquer les variants comme bénévole, Ryan Hisner espère désormais devenir un scientifique professionnel. Il a ainsi commencé, à distance, des études de biologie à l’université du Cap en Afrique du Sud et espère passer un doctorat, sans cesser pour autant son hobby de traqueurs de variants. « C’est un parcours assez inhabituel vers les études supérieures, grâce à Twitter » s’amuse Hisner. « Les universitaires sont souvent blasés, c’est agréable de travailler avec quelqu’un de si enthousiaste » salue Tom Peacock.

En espérant que Ryan Hisner ne perde pas son enthousiasme en devenant professionnel.

Quentin Haroche

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