
Paris, le lundi 9 octobre 2023 – L’Etat a été condamné à indemniser la famille de soignants emportés par la Covid-19 au début de l’épidémie et qui n’avaient pas pu avoir accès à des masques.
Fautif mais pas responsable, telle est la solution qu’avait retenue le tribunal administratif de Paris dans une décision du 28 juin 2022 portant sur la responsabilité de l’Etat dans la gestion des stocks de masques au tout début de l’épidémie de Covid-19 en 2020. Seize mois plus tard ce vendredi, la cour administrative d’appel de Paris a réformé cette décision : la justice administrative retient que non seulement l’Etat a commis une faute en ne distribuant pas des masques à toutes les personnes exposées mais également qu’il est en cela partiellement responsable des contaminations survenues.
L’Etat sanctionné pour sa communication erratique
Rappelons qu’au tout début de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement avait multiplié les déclarations à tout le moins hasardeuses sur l’utilité des masques. Le ministre de la Santé Olivier Véran avait ainsi affirmé que « les masques sont inutiles si vous n’êtes pas malade », tandis que le Pr Jérôme Salomon, directeur général de la Santé (DGS) expliquait qu’il ne fallait « surtout pas avoir de masque pour le grand public, c’est faussement protecteur ». Des déclarations qui semblaient a posteriori plus motivés par la nécessité de rationner les masques que par des arguments scientifiques.
La France avait en effet commis l’erreur les années précédentes de ne pas renouveler ses stocks de masques et ne disposait donc que de 100 millions d’unités au moment d’affronter la première vague. De nombreux soignants et travailleurs exposés au public ont donc dû faire face à la pandémie sans aucune protection. Au fur et à mesure que les stocks se sont reconstitués, le gouvernement a subitement de nouveau défendu l’utilité des masques jusqu’à les rendre obligatoire (même sur les plages !), n’hésitant pas à fustiger ceux ne respectant pas cette obligation.
Comme dans la décision de première instance, la cour d’appel de Paris a donc retenu que l’Etat avait été doublement fautif « dans la communication gouvernementale sur l’utilité du port du masque en début d’épidémie » et « en ne maintenant pas à un niveau suffisant un stock de masques permettant de lutter contre une pandémie liée à un agent respiratoire hautement pathogène ». L’argument du gouvernement selon lequel les recommandations internationales sur le masque ont évolué au cours de la pandémie (l’OMS n’a recommandé le port du masque en population générale qu’à partir de juin 2020) n’a pas convaincu les magistrats administratifs.
L’Etat partiellement responsable des contaminations
Contrairement à ce qu’avait conclu le tribunal administratif de Paris, la cour administrative d’appel a en revanche retenu que, de par sa gestion des masques et sa communication, l’Etat avait engagé sa responsabilité envers « les personnes qui, sans qu’un comportement à risque puisse leur être reproché ont été particulièrement exposées au virus notamment du fait de leur profession, alors qu’elles ne pouvaient maintenir des distances physiques avec les personnes potentiellement contagieuses ». Une formule suffisamment générale pour ouvrir un droit à indemnisation à de nombreuses personnes contaminées au début de l’épidémie, bien que la cour administrative d’appel ne se soit penchée ce vendredi que sur les cas des 34 requérants qui l’ont saisi, contaminés ou proche de personnes emportées par la maladie.
Les juges administratifs ont notamment accepté d’indemniser la famille d’un médecin généraliste mort de la Covid-19 en avril 2020, après avoir semble-t-il été contaminé en recevant sans masques des patients dans son cabinet de Seine-Saint-Denis au début de la première vague en mars 2020. Si l’an dernier, le tribunal administratif avait retenu que le caractère aléatoire de la contamination empêchait toute indemnisation, les juges ont cette fois retenu que cet aléa ne faisait que réduire le montant de l’indemnisation. Ils ont ainsi retenu que la faute de l’Etat avait causé au médecin une « perte de chance » de ne pas être contaminé et que l’Etat n’était donc responsable qu’à 70 % de sa mort. Ils ont ainsi alloué 14 000 euros à sa veuve et 7 000 euros à chacun de ses enfants. « Cette victoire est vraiment symbolique, la famille va pouvoir faire son deuil » se réjouit Maître Benjamin Fellous, avocat des requérants.
L’Etat a désormais deux mois pour contester cette décision devant le Conseil d’Etat. Les requérants pourraient également être tentés de saisir la plus haute juridiction administrative, puisque la cour administrative d’appel a refusé de reconnaitre la faute de l’Etat sur d’autres éléments de la gestion de l’épidémie, comme le dépistage ou la date du confinement.
Si cette décision n’était pas invalidée par le Conseil d’Etat, elle pourrait entrainer d’innombrables nouvelles procédures de la part de familles de sujets décédés dans les premiers mois de la pandémie, qu’ils aient été soignants ou non.
Quentin Haroche