
Paris, le vendredi 3 novembre 2023 – Plus de 3 000 soignants, dont la Prix Nobel de médecine Françoise Barré-Sinoussi, ont signé une tribune demandant le maintien de l’AME.
A partir de lundi prochain, le Sénat examinera en séance publique le projet de loi pour « contrôler et améliorer le gouvernement ». Au sein de ce texte, une proposition, formulée par des sénateurs de droite et d’extrême-droite, devrait être particulièrement débattue : celle de supprimer l’Aide Médicale d’Etat (AME), un dispositif assurant aux immigrés en situation irrégulière, sous conditions de revenus et s’ils sont présents sur le territoire français depuis au moins trois mois, un accès aux soins totalement gratuit.
En mars dernier, les sénateurs avaient ainsi adopté un amendement visant à remplacer l’AME, considérée par certains comme un dispositif incitant à immigrer, par une Aide Médicale d’Urgence (AMU) limitée à « la prophylaxie et au traitement des maladies graves, aux soins liés à la grossesse, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive ».
A l’approche de l’examen du texte au Sénat, le débat autour de la suppression de l’AME, vieille rengaine de l’extrême-droite (la proposition figurait dans le programme présidentiel de Marine Le Pen), prend de nouveau de l’ampleur. Le 12 octobre dernier, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) se prononçait en faveur du maintien de l’AME au nom de « la solidarité et de la dignité, valeurs fondamentales qui doivent guider les politiques de santé ». Désormais, ce sont les soignants qui prennent la plume pour défendre ce dispositif créé par la gauche en 2000. Plus de 3 000 soignants ont signé une tribune publiée ce jeudi dans le journal Le Monde demandant « le maintien de l’AME pour la prise en charge des soins des personnes étrangères ».
Une Prix Nobel au chevet des immigrés clandestins
Parmi les signataires, on compte notamment le Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France, le Dr Florence Rignal, présidente de Médecins du monde, le Pr Jean-François Delfraissy, président du CCNE et surtout le Pr Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine en 2008.
Pour ouvrir leur plaidoyer en faveur de l’AME, les auteurs de la tribune réfutent la théorie de l’extrême-droite selon laquelle l’existence de l’AME inciterait les étrangers à immigrer en France. « Les patients que nous soignons et qui bénéficient de l’AME ne sont pas, dans leur grande majorité, des personnes qui ont migré en France pour se faire soigner, mais des personnes qui ont fui la misère et l’insécurité » écrivent les soignants. « Leurs conditions de vie difficiles en France les exposent à des risques importants : problèmes de santé physique et psychique, maladies chroniques, maladies transmissibles ou contagieuses, suivi prénatal insuffisant et risque accru de décès maternels ».
Les soignants s’appuient ensuite bien évidemment sur l’argument humaniste qui sous-tend l’existence de l’AME, selon lequel toute personne doit pouvoir accès aux soins quelle que soit sa situation administrative. « Nous soignons les personnes sans papiers comme n’importe quels autres patients, par humanité et conformément au code de déontologie médicale auquel nous nous référons et au serment d’Hippocrate (…) nous refusons d’être contraints à faire une sélection parmi les malades entre ceux qui pourront être soignés et ceux laissés à leur propre sort » peut-on lire dans la tribune.
Le gouvernement divisé sur la question de l’AME
Au-delà de l’argument humaniste, les partisans de l’AME avancent un autre argument mainte fois entendu, selon lequel la suppression de l’AME pourrait entraîner des conséquences pour la santé publique en général et in fine augmenter les coûts de santé. « L’éloignement du système de santé aboutit in fine à des retards de diagnostic, au déséquilibre et à l’aggravation des maladies chroniques, ainsi qu’à la survenue de complications. Le recours aux soins dans ce contexte survient en urgence avec des hospitalisations complexes et prolongées à des coûts finalement bien plus élevés pour la collectivité » écrivent les auteurs de la tribune. Ils prennent notamment l’exemple de l’Espagne : notre voisin avait supprimé un dispositif similaire à l’AME en 2012 avant de le rétablir en 2018, en raison « de l’augmentation de l’incidence des maladies infectieuses et de la surmortalité » notent les soignants (sans doute aussi suite à un changement de la majorité au pouvoir).
Cette tribune intervient alors que le gouvernement est particulièrement divisé sur la question du maintien ou de la suppression de l’AME. Alors que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin n’a pas caché soutenir la proposition de transformation de l’AME en AMU, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau et le porte-parole du gouvernement Olivier Véran (lui-même ancien ministre de la Santé) ont défendu le statu quo.
Face à cette division, la Première Ministre Elisabeth Borne a préféré botter en touche. Elle a ainsi confié à Patrick Stefanini, ancien conseiller de Valérie Pécresse et à Claude Evin, ancien ministre de la Santé, la mission de déterminer si « des adaptations de l’AME sont nécessaires ». « La position du gouvernement résultera bien sur des conclusions de cette mission » a expliqué la cheffe du gouvernement.
Quentin Haroche