Un vétérinaire condamné (mais dispensé de peine) pour avoir aidé un proche à se suicider

Angers, le vendredi 1er décembre 2023 – Revenant sur la décision de première instance, la cour d’appel d’Angers a reconnu coupable un médecin ayant aidé un de ses amis à obtenir des produits mortels pour se suicider.

« Il faut surtout me laisser partir cette fois ». La lettre de suicide laissé par M.G., un habitant d’Angers retrouvé mort chez lui le 21 mai 2019, ne laissait guère de doute sur sa volonté de mourir. Cet homme de 59 ans se savait atteint depuis 2016 de sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot, une maladie neurodégénérative mortelle particulièrement invalidante (une grande partie des cas d’euthanasie ou de suicide assisté sont liés à cette affection) et avait déjà tenté de se donner la mort à trois reprises, avant ce dernier acte fatidique.

Quatre ans après le drame, c’est son ami vétérinaire qui se trouvait sur le banc des accusés à la cour d’appel d’Angers. Il est accusé d’avoir falsifié des ordonnances pour permettre à son ami de se procurer du pentobarbital, un produit létal utilisé pour euthanasier les animaux. Un crime sans plaignant, puisque la famille de M.G., présent durant l’audience, ne s’est jamais constituée partie civile et a toujours remercié l’accusé d’avoir aidé son ami à mourir dignement.

Peut-on sauvegarder la dignité d’autrui en l’aidant à mourir ?

Le procès, qui s’est tenu en juin dernier à la cour d’appel d’Angers, avait donné lieu à d’épineux débats juridiques et éthiques, entre l’avocat général Lois Raschel et le défenseur Maître Antoine Barret, tandis que le prévenu, peu loquace, se tenait à l’écart de ces discussions philosophiques, se contenant d’expliquer qu’il avait agi par amitié et non par militantisme et qu’il n’avait « jamais regretté son geste ».

En première instance en mai 2022, le tribunal correctionnel d’Angers l’avait acquitté en se fondant sur la notion d’état de nécessité. Prévu à l’article 122-7 du code pénal, ce principe prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien ».

Pour le procureur, la décision du premier juge d’appliquer l’état de nécessité constitue un dévoiement de cette notion. Il n’y avait ainsi ni danger imminent, puisque la victime « aurait pu vivre encore quelques semaines, quelques mois, peut-être davantage » ni sauvegarde de la personne. « Comment soutenir qu’on va sauvegarder la personne alors qu’on va l’aider à mourir ? » a plaidé le magistrat dans une logique implacable.

En face, Maître Barret a tenté de défendre une conception plus large de l’idée de sauvegarde de la personne, s’étendant à celle de sa dignité. « Une personne ne se résume pas à sa vie, une personne est ce qu’elle fait de sa vie, ce qui l’anime, sa spécificité, sa dignité, sa volonté. N’y-a-t-il pas de place en droit pour la volonté des hommes ? » a défendu le juriste.

Coupable mais dispensé de peine

Ce jeudi, la cour d’appel d’Angers a finalement donné raison au procureur en reconnaissant le vétérinaire coupable de faux et usage de faux, mais a cependant refusé de lui infliger la peine de quatre mois de prison avec sursis requis par l’avocat général et l’a finalement dispensé de peine, reconnaissant ainsi qu’il avait agi par humanité.

Pour Maître Barret, cette décision est le signe d’une certaine hypocrisie de la loi sur l’aide au suicide. « Si l’aide au suicide n’est pas réprimée par le droit pénal, ce sont les moyens fournis qui le sont, il y a une hypocrisie législative, on n’ose pas condamner l’assistance au suicide mais l’on n’empêche de manière indirecte » a-t-il réagi, sans préciser si son client comptait se pourvoir en cassation.

Cette douloureuse affaire judiciaire met de nouveau en lumière le débat sur la fin de vie et la nécessité ou non de légaliser le suicide assisté ou l’euthanasie. On le sait, le Président de la République Emmanuel Macron s’est engagé à reprendre les conclusions de la convention citoyenne sur la fin de vie, qui s’est exprimée en avril dernier en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir. Un projet de loi devrait être présenté en Conseil des ministres dans les prochaines semaines et débattu au Parlement en 2024. Mais son contenu exact est encore inconnu, Emmanuel Macron semblant hésiter sur de nombreux points de cette loi, ô combien sensible.

Quentin Haroche

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