
Lanzarote, le samedi 6 janvier 2024 – Que certains puisse crâner en prétendant le contraire n’y change rien, nous sommes tous à la recherche de nous-mêmes. D’une identité. D’une ligne qui pourrait nous dire parfaitement, en comprenant nos pleins et nos déliés, nos vides et nos blessures. Pour les personnes présentant un trouble du spectre autistique, cette recherche est une quête vitale et intense, parce que la détermination doit être entière et sans brisure tout en rendant fidèlement compte de toutes les fragmentations.
Diagnostic tardif, mélange explosif
Ne rien laisser au « hasard. Sinon, le monde ne tourne plus rond », nous prévient Delphine Priollaud-Stoclet dans son beau libre L’écho d’une île. Ouvrage à la frontière fragile entre livre d’art, de poésie et de voyage, ce caractère hétéroclite dit bien les paradoxes qui le portent. Delphine Priollaud-Stoclet a été diagnostiquée autiste porteuse du syndrome d’Asperger en 2019 (terme qu’elle utilise dans sa présentation, tout en rappelant plus loin qu’il n’est « plus utilisé par la communauté scientifique » depuis 2013), alors qu’elle était déjà adulte depuis de longues années.
Loin de sembler être une prison, ce diagnostic semble lui avoir ouvert une forme de réconciliation avec elle-même, une clé pour comprendre ses éternels « décalages ». Et plus encore, ce chemin de retrouvailles a trouvé sa destination sur l’île de Lanzarote, qu’elle dessine, décrit et arpente tout au long de L’écho d’une île. Lanzarote qui a fasciné tant d’auteurs avant elle (récemment par exemple Michel Houellebecq) fonctionne comme un « miroir », écrit-elle, c’est-à-dire un salut pour ceux qui se recherchent. « Atypique, sèche et dure en surface mais bouillonnante au fond, un mélange explosif d’air, d’eau, de terre et de feu semé de cactus », dessine-t-elle.
Débordements
Et le livre oscille sans arrêt autour du désir de limites que pourrait assouvir la circonscription d’une île. Delphine écrit par exemple : « Certains s’imaginent qu’un voyage excitant relève de l’improvisation. Je vous le dis, un voyage d’anticipations, c’est une autre aventure » ou encore : « J’aime la blancheur des marges nettes. Il n’est pas question de me laisser déborder ».
Et tout en même temps, dessins et mots (avec en écho ceux du peintre César Manrique) sont sans cesse dans le mouvement, parfois dans l’indécision (mais pour toucher la précision impossible, comme celle de déterminer ce qu’est le « bleu »), toujours au bord du volcan. Il y a des lignes nettes (celles des fleurs par exemple) et il y a le brouillement presque impressionniste de la mer. Il y a des phrases courtes et définitives (sans parler des mentions presque scientifiques de l’OMS ou de l’UNESCO) et il y a des phrases sans points. Il y a les blessures et la résistance du granit.
Invitation à comprendre
On ressort de ce livre soi-même dans ce « décalage », en (dés)équilibre entre rugosité minérale et absorption de la mer. L’écho d’une île est un miroir, déformé sans doute par la spécificité de Delphine mais néanmoins parlant, sur les quêtes des personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique. Il est une invitation à mieux comprendre les difficultés de ceux qui ont besoin d’une île pour mieux vivre les conventions sociales et mieux vivre leur intimité.
Aurélie Haroche