Un navigateur solitaire

Brest, le samedi 6 janvier 2024 – Atteint de la maladie de Charcot, le Dr Philippe Bail raconte son nouveau rapport à la mort et comment la maladie lui a fait changer d’avis sur l’euthanasie.

« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos dans une chambre ». Médecin lettré, le Dr Philippe Bail a fait sienne cette maxime de Blaise Pascal. L’ancien généraliste de 72 ans est désormais contraint de rester dans sa chambre au repos : depuis 2019, il est atteint de sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot, maladie dégénérative qui le paralyse progressivement. Désormais alité dans sa maison de Lannion dans la campagne bretonne, maintenu en vie par un appareil de ventilation, le Dr Bail sait que la fin est proche. Mais cela tombe bien, « le désir de vivre s’épuise un peu chez moi » explique-t-il.

Fidèle comme une ombre

Depuis l’annonce de sa maladie, l’ancien généraliste est passé par tous les états d’esprit. Longtemps, il a voulu profiter d’en être encore capable pour mettre fin à ses jours. « Si j’en avais eu la possibilité, je crois que j’aurais demandé une euthanasie » se rappelle-t-il, mais il ne s’est finalement pas donné la mort, « par peur de rater, avec une dose de médicaments trop ou pas assez forte ». Le Dr Bail a finalement décidé d’embrasser cette dernière épreuve. « On s’habitue à tout, et comme disait Jacques Brel à la fin de sa vie, on ne meurt pas d’humiliation » explique cet amoureux de poésie et de chanson française.

Ce dernier voyage avec la maladie et la mort, le généraliste l’a raconté dans un livre paru en juillet dernier, « Fidèle comme une ombre, journal d’un médecin malade ». Un journal qu’il a arrêté le jour où il n’était plus en mesure de le dicter. « J’avais dit ce que je voulais dire et j’avais peur de ne pas voir la sortie du livre » explique-t-il. Dans ce récit des « années les plus tristes et les plus heureuses » de son existence, le Dr Bail raconte ce nouveau rapport à la vie amené par l’approche de la mort. « La maladie de Charcot m’a enfermé dans une forme de navigation en solitaire, dans un temps suspendu, j’ai été obligé de contempler, de méditer, de découvrir une part de mon être que je connaissais mal » explique celui qui, lorsqu’il n’était pas encore malade, aimait à naviguer sur les eaux bretonnes.

La maladie aura également fait changer d’avis le Dr Bail sur le suicide assisté et l’euthanasie. Longtemps, il a fait partie de ces médecins viscéralement attachés au serment d’Hippocrate et son « je ne provoquerais jamais la mort délibérément » et a toujours refusé de répondre aux sollicitations de ses patients qui lui demandaient d’hâter leur mort. « Je m’engageais à rester leur médecin jusqu’à la fin et je parvenais à apaiser leurs souffrances par mes visites et par ma maitrise des morphiniques et des antalgiques ». Il enseignait la même philosophie à ses élèves lorsque, hasard funeste, il était professeur de soins palliatifs à la faculté de Brest.

Amzer Zo

Et puis Charcot a tout changé. « En tant que médecin, je défendais le principe que chaque vie est digne d’être vécue. Je ne le renie pas, mais j’ai compris autre chose en tant que malade. La dignité avant tout une affaire personnelle. Il faut respecter la volonté du malade, son autonomie, son choix ». Le Dr Bail aurait aimé vivre assez longtemps pour voire la loi légalisant l’aide active à mourir être adoptée, mais les atermoiements de l’exécutif sur le sujet risquent de l’en empêcher : le projet de loi, qui devait d’abord être présenté en septembre puis à l’automne ne sera finalement pas révélé avant le mois de février.

Le Dr Bail n’aura cependant pas besoin d’une nouvelle loi pour lui-même. Il a fait le choix de stopper sa ventilation artificielle et de bénéficier d’une sédation profonde et continue, légale depuis 2016, pour ne pas souffrir de l’asphyxie qui l’emportera. « Je vais partir comme un marathonien qui abandonne au 30ème kilomètre, au bout de ses limites, mais heureux de l’effort accompli. Il y a une lassitude d’être alité, immobile, face au plafond blanc du salon, j’arrive doucement au bout de la tolérance de vivre, j’ai un peu plus hâte de mourir » assure-t-il.

Quand aura lieu le grand départ ? Le Dr Bail ne le sait pas. Il a promis à sa femme, Chantal, également médecin, de vivre un dernier Noël, « et après on verra ». Le canot de pêche sur lequel le médecin breton aimait à naviguer le long de la côte de granit rose était d’ailleurs baptisé « Amzer Zo » : rien ne presse en breton.

Quentin Haroche

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