
La
Journée Annuelle Benjamin Delessert (JABD), journée de
conférences dédiée aux professionnels de l’alimentation et de la
santé, s’est tenue le 4 février dernier. Les thématiques étaient le
jeûne pour la matinée, et l’olfaction pour l’après-midi, avec
également la remise du Prix Benjamin Delessert à Nicole
Darmon.
Comme le souligne Claude Fischler, sociologue et président du
comité scientifique de l’Institut, le jeûne a une dimension
universelle et très largement ritualisée. Émancipées des aspects
religieux, des formes laïcisées du jeûne se sont toutefois
développées, et la pratique du jeûne connait un renouveau, promu
sous l’angle de la santé et du bien-être. Le sociologue Tristan
Fournier a enquêté sur le sujet et remarque que le jeûne fait
l’objet d’un véritable marché, avec des stages organisés alliant
jeûne et « immersion » dans la nature. S’y côtoient des
cadres supérieurs cherchant à améliorer leurs performances, des
personnes en quête de spiritualité ou encore de jeunes retraités
soucieux de leur santé. Une triple rhétorique est utilisée pour
promouvoir les stages. Elle allie la critique de la modernité et de
ses pratiques alimentaires à la promotion de la réconciliation
nature/nature humaine et à celle des bénéfices de la « pause
» et de « l’exploration de soi ».
L’on ne peut toutefois parler de jeûne sans évoquer l’horloge circadienne. Système endogène et ubiquitaire, celle-ci régule de nombreuses fonctions physiologiques : système veille/sommeil, température corporelle, production hormonale, comportement alimentaire. L’horloge centrale, bien qu’autonome, reçoit les stimuli externes et notamment les stimuli lumineux de l’alternance jour/nuit. De nombreux travaux, sur lesquels est revenu Florian Atger, ont exposé le lien entre l’horloge circadienne, le moment de la prise alimentaire et la santé métabolique, et permis l’émergence de la chrononutrition.
La diminution de la fenêtre temporelle journalière
d’absorption de nourriture (TRF pour time restricting
feeding) retient l’attention des chercheurs. Elle consiste à
allonger la période de jeûne entre les repas.
Comme l’explique Anaïs Briot, cela pourrait permettre de
restaurer la flexibilité métabolique, c’est-à-dire la capacité
d’adaptation du métabolisme, essentielle à la bonne utilisation du
glucose et des acides gras notamment. Si les travaux menés chez
l’homme ne permettent pas de conclure définitivement à l’intérêt de
ce type de jeûne, force est de constater que le jeûne intermittent
a acquis une certaine popularité. En témoignent les très nombreux
ouvrages à destination du grand public, comme le souligne David
Jacobi. Jeûne alterné 1 jour sur 2, régime 5:2, TRF (par exemple
jeûne pendant 16 heures par jour) en sont quelques exemples. Si les
travaux chez l’homme sont prometteurs, leur transposition en
conditions de « vie réelle » n'a pas encore permis d’établir
des recommandations et D. Jacobi invite les professionnels à
conserver une certaine prudence. Un manque de données sur les
effets secondaires liés à la pratique prolongée du jeûne incite à
la vigilance, notamment pour les personnes à risque de développer
des troubles du comportement alimentaire.
Philippe Pouillart est en revanche catégorique sur le fait que
jeûne ne peut rimer avec cancer. Les études montrent au contraire
que la dénutrition est un facteur de risque de mauvaise tolérance,
de baisse de l’efficacité des traitements anti-cancéreux et de
mortalité au cours du cancer. Les travaux incitent à son dépistage
systématique et précoce et la préhabilitation nutritionnelle
devient une étape essentielle de la prise en charge du patient
atteint de cancer, bien loin des incitations au jeûne.
Au cours de la session de l’après-midi de la JABD, étaient
abordés des sujets liés à la pratique et la prise en charge
nutritionnelle en lien avec l’olfaction (L’olfaction,
au cœur de l’expérience culinaire). La journée a aussi donné
lieu à la remise du Prix Benjamin Delessert (Nicole
Darmon, lauréate du prix Benjamin Delessert), qui récompense un
chercheur pour l’ensemble de ses travaux, et à celle des prix
Trémolières, récompensant cette année deux thèses.
Dr Roseline Péluchon