
Paris, le mercredi 3 juin 2015 – Ces dernières semaines, la gestation pour autrui (GPA) est revenue au centre de l’attention à la faveur des imbroglios juridiques autour de la délicate question de l’inscription à l’état civil français des enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger. L’attitude ambiguë du gouvernement sur ce point (refus de faire appel de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme contraignant l’inscription et cependant appel du parquet dans certains cas où la justice a répondu favorablement en première instance aux demandes des familles) est le reflet de la complexité du dilemme. S’il apparaît effectivement complexe de "priver " d’un état civil des enfants élevés en France par des parents français et de sanctionner des personnes qui ne portent aucune responsabilité directe de la situation, l’inscription automatique semble conférer un sentiment d’impunité aux couples qui ont recours à la GPA à l’étranger, alors qu’elle reste totalement interdite en France. Cette situation avait inspiré l’année dernière au député UMP Jean Leonetti une proposition de loi visant non seulement à renforcer les peines déjà en vigueur visant les intermédiaires, mais créant également un crime visant les parents choisissant de faire appel à une mère porteuse. Il préconisait ainsi de doubler les peines contre les agences qui organisent ce trafic d’être humain (jusqu’à quatre ans de prison et 60 000 euros d’amende). Il proposait également de punir d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende toute personne ayant recours à la GPA en France comme à l'étranger. Débattu en décembre dernier à l’Assemblée nationale, le texte a finalement été rejeté. Si certains députés de gauche pouvaient épouser le point de vue de Jean Leonetti quant à la nécessité de sanctionner plus durement le recours à la GPA, afin de rappeler son caractère contraire au respect de la dignité humaine et de dissuader plus certainement les candidats, ils n’ont pu se résoudre à l’idée de sanctionner les enfants à travers l’éventuel emprisonnement de leurs parents. La peine a en effet été considérée comme non parfaitement proportionnée, notamment parce que la GPA est autorisée dans les pays où se rendent les familles françaises. L’absence de distinction entre les conditions de réalisation de la grossesse avait également été considérée comme un frein à l'adoption du texte.
28 % des professionnels de santé semblent estimer qu’une GPA « éthique » n’est pas une utopie
L’idée de sanctionner les personnes ayant recours à la GPA séduit pourtant une importante proportion de professionnels de santé. Un sondage réalisé sur notre site du 20 mai au 1er juin qui tentait d’envisager l’ensemble des attitudes juridiques possibles face à la GPA révèle en effet que 40 % des professionnels de santé seraient favorables à une punition des parents (sur 748 répondeurs). D’une manière générale, on constate différents degrés de sévérité chez les professionnels de santé vis-à-vis de cette pratique.
Les plus « libertaires » sont minoritaires : 28 % des professionnels de santé aspireraient à l’autorisation de la GPA en France. Une méthode qui de fait permettrait d’éviter l’instrumentalisation du corps des femmes des pays pauvres (comme en Inde, en Thaïlande ou en Ukraine). En se dotant d’une loi, la France pourrait espérer mettre en place un cadre qui éviterait certaines dérives, préciserait l’attitude à adopter face à différents écueils (malformation de l’enfant, désir de rétractation de la mère porteuse, origine des gamètes, situation familiale de la mère porteuse, lien avec le couple, indemnisation…). Cependant, pour la grande majorité des praticiens, une telle loi serait impuissante à empêcher que les plus pauvres ne se mettent au service des plus riches et d’une manière générale les consentements viciés et les trafics d’influence (voire les trafics tout court, notamment d’enfants). Elle n’offrirait pas de garanties suffisantes face à une pratique dont les dangers surpasseraient le bénéfice (le "prêt" de son utérus ne répond en effet pas aux mêmes enjeux vitaux que le don de son rein ou de son sang…). Certains jugent enfin que l’idée même des mères porteuses se heurte à des principes fondamentaux, sur lesquels il est impossible de revenir (principes qui reposent entre autres sur une conception de la maternité indissociée de la grossesse).
38 % de professionnels favorables à l’inscription des enfants à l’état civil
Dès lors, quelle attitude adopter face aux enfants nés d’une GPA à l’étranger ? Tolérants et semblant en accord avec la position de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère comme contraire au droit à la vie privée l’absence d’inscription à l’état civil, 38 % des professionnels qui ont répondu à notre sondage sont favorables à une telle validation. Cependant, parmi ces praticiens, on distinguera ceux qui semblent les plus indulgents (et qui sont les moins nombreux) qui jugent que cette inscription doit se faire sans sanction des parents (16 %) au risque d’inciter d’autres familles à s’orienter sur cette voie (et à alimenter un « marché des bébés » souvent peu scrupuleux) et ceux qui estiment que cette transcription des actes étrangers ne doit pas exclure une sanction pénale des couples (22 %). Cette position est une recherche de consensus entre la nécessité d’assurer une parfaite protection aux enfants, tout en donnant un signal fort à ceux qui contournent l’interdiction française.
18 % des praticiens observent la position la plus stricte : pas d’inscription et sanction des "parents"
Les praticiens, les plus intransigeants, qui considèrent que cette inscription n’a pas lieu d’être sont moins nombreux (31 %). Parmi eux, certains semblent estimer que ce refus est déjà une sanction en soi et ne nécessite pas de punition supplémentaire pour les familles (13 %), mais d’autres qui présentent la position la plus stricte estiment que l’absence d’inscription doit se doubler d’une sanction pénale des parents (18 %). Ainsi, on le constate, l’opinion des professionnels de santé vis-à-vis de la GPA et des GPA à l’étranger est marquée par une assez large sévérité, avec notamment une plus large proportion de praticiens favorables, comme Jean Leonetti à des sanctions vis-à-vis des parents (40 %) que ceux qui y sont opposés (29 %).
Une hostilité croissante
Cette position, les sondages successifs du JIM en témoignent, s’est durcie au fil des années. Si en 2004, une enquête réalisée sur notre site mettait en évidence une large majorité de professionnels de santé favorables aux mères porteuses, ils semblent aujourd’hui frontalement opposés à cette pratique. La médiatisation d’affaires poignantes (comme l’abandon d’un enfant trisomique né d’une mère porteuse thaïlandaise par ses "parents" d'intention australiens), les revendications plus marquées des couples homosexuels en faveur de la GPA (quand il y a quinze ans, on évoquait principalement le cas des couples hétérosexuels) et la mise en évidence de la difficulté d’éviter une marchandisation ont sans doute favorisé ce revirement de position. Peu à peu, la possibilité d’une GPA "éthique " semble s’être dissipée dans l’esprit de beaucoup. Même en Europe, les exemples des pays qui ont autorisé la GPA n’offrent pas toujours les meilleures garanties. Ainsi, en Grèce, parfois citée en exemple, ce sont majoritairement des femmes étrangères et/ou désargentées qui prêtent leur ventre pour des couples plus fortunés : l’absence officielle de rémunération n’empêchant en effet pas des contrats occultes. Sans parler de la situation des « usines » à bébé en Inde.
Aurélie Haroche