Améliorer la représentativité des minorités dans la recherche biomédicale

Les populations minoritaires sont plus susceptibles de subir la pollution, de mauvaises conditions de logement, et d'avoir de l'asthme que leurs homologues blancs.

Pourtant, les gens de couleur sont moins susceptibles d'être inclus dans les études de recherche biomédicale sur l'asthme, le cancer et le diabète, qui les affectent de manière disproportionnée. 

Le Bureau du recensement des États-Unis prévoit que dans les 30 ans à venir la proportion non blanche de la population américaine  va dépasser les 50 %. Selon certains experts l'échec à créer des cohortes de recherche ethniquement plus diverses pourrait exacerber les disparités de santé existantes si les plus touchés par la maladie continuent d'être exclus. D'autres considèrent que c'est une occasion scientifique manquée de mieux comprendre les facteurs qui conduisent à un mauvais état de santé. Selon une estimation, la réduction des disparités raciales et ethniques en matière de santé aurait permis d'économiser aux Etats-Unis plus de $ 1,2 milliard de coûts médicaux directs et indirects rien qu'entre 2003 et 2006. Les nouvelles études multidisciplinaires sur les associations complexes entre les gènes, les aspects socio-économiques, et les expositions environnementales ne font que souligner la nécessité d'inclure plus de participants minoritaires dans la recherche biomédicale.

En 1993, le National Institutes of Health (NIH) Revitalization Act a exigé l'inclusion des minorités raciales et ethniques dans la recherche biomédicale financée par le gouvernement fédéral, cependant, remplir ce mandat s'est révélée problématique.

Les Noirs et les Latinos représentent 30 % de la population américaine, mais seulement 6 % des participants aux essais cliniques. Les études de recherche sur le cancer financées par le gouvernement révèlent que les minorités sont considérablement sous-représentées dans les essais cliniques, et moins de 2 % de ces études portent sur leurs besoins de santé. De même, moins de 5 % des études sur les maladies pulmonaires financées dans les 20 dernières années concernent les personnes de couleur, pourtant les américains noirs sont plus à risque que les blancs d'avoir de l'asthme et d'en mourir.

Les communautés minoritaires assument une part disproportionnée des problèmes environnementaux du pays, mais il existe d'importantes lacunes dans la compréhension de l'interaction entre exposition environnementale et santé  dans ces petits sous-groupes. Les interventions de santé publique qui profitent à la majorité de la population « caucasienne » peuvent ne pas être applicables ou avoir besoin d'être adaptées pour une utilisation dans les communautés qui sont les plus à risque de maladie.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la sous-représentation des minorités dans les études de recherche biomédicale. Les différences culturelles et linguistiques ainsi que financières et de disponibilité freinent la participation des minorités. Les chercheurs sont insuffisamment formés pour concevoir et mettre en œuvre des études dans les communautés minoritaires ou ne sont pas incités à recruter et à retenir un nombre suffisant de participants.

Certains experts estiment que la peur de l'exploitation, basée sur des pratiques contraires à l'éthique  lors d'études antérieures, rend les communautés minoritaires méfiantes vis à vis de la recherche et réticentes à participer aujourd'hui.

Par exemple, dans l'étude Tuskegee sur la syphilis menée entre les années 1930 et 1970, les traitements efficaces étaient refusés aux hommes noirs atteints de syphilis pour évaluer l'évolution de la syphilis non traitée. Plus récemment, des chercheurs de l'Arizona State University ont prélevé des échantillons de sang de la tribu des Havasupai pour étudier les marqueurs génétiques du diabète de type 2, mais les ont aussi utilisés pour des études sur la schizophrénie et la consanguinité, sans le consentement des membres de la tribu.

Pourtant, de nombreuses personnes de minorités raciales et ethniques sont aussi disposées à participer à des études de recherche que les Blancs lorsque l'occasion et lorsque les objectifs de recherche sont traduits dans un contexte culturellement pertinent.

Race et ethnicité sont des concepts complexes qui peuvent offrir des indices importants pour les chercheurs au-delà du risque génétique de chacun.

Lorsque des facteurs sociaux, tels que l'accès aux services de santé, sont égalisés, certaines disparités raciales se dissipent. Dans une étude, les chercheurs ont constaté que les blancs pauvres qui vivent dans le quartier à faible revenu racialement intégré du sud-ouest de Baltimore avaient des risques similaires pour la santé que leurs homologues noirs. Les chercheurs ont constaté que rapporté à l'échelle nationale les disparités raciales dans l'hypertension, le diabète et l'obésité chez les femmes ont été soit réduites ou non détectables dans la cohorte de Baltimore.

Une approche adaptée aux traitements et à la prévention

Des progrès spectaculaires dans la compréhension de la génétique de nombreuses maladies ont été réalisés depuis l'achèvement du séquençage du génome humain en 2003. De larges bases de données génomiques permettront de s'intéresser de plus près à la santé et à la maladie au  niveau moléculaire. Cette approche thérapeutique et préventive commence à se traduire par des actions plus ciblées qui prennent en compte la variabilité des individus en termes de génétique, d'environnement et de mode de vie.

Déterminer qui bénéficiera finalement de la révolution de la génomique et des nouvelles approches thérapeutiques et préventives dépend en grande partie de la population étudiée. Dans le passé, les minorités raciales et ethniques ont été largement exclues des études sur les maladies génétiques. En 2011, 96 % des participants dans les plus de 1 000 études d'association pangénomique menées étaient d'origine européenne.

Lorsque les minorités sont incluses dans la recherche biomédicale, elles peuvent être agrégées en grands groupes, tels que "asiatique" ou "latino". Ceci est en partie lié au problème de la taille du sous-groupe, l'agrégation est nécessaire pour obtenir suffisamment de personnes dans chaque sous-groupe et produire des résultats statistiquement significatifs, au prix d'une véritable homogénéité du sous-groupe.

Les immigrés cambodgiens et Hmong, par exemple, ont un état de santé globalement plus mauvais que les autres asiatiques américains. Le groupe agrégé des américains asiatiques semble avoir des taux similaires de maladie cardiaque que les Blancs, alors que la prévalence est beaucoup plus élevée chez les Indiens et les Philippins asiatiques et plus faible chez les chinois, japonais, américains et coréens. Par extrapolation ou généralisation on pense que ce qui fonctionne dans un groupe sera vrai pour une autre, mais ce n'est pas toujours le cas.

Des études récentes de pharmacogénomique, montrent que la prévalence plus élevée de certains traits génétiques qui influencent le métabolisme des médicaments existe dans certains sous-groupes américains d'origine asiatique. On estime que 75 % des Océaniens ont un trait génétique qui les rend mauvais répondeurs au clopidogrel, ce qui les expose au risque d'attaques cardiaques. Jusqu'à 86 % des personnes d'origine asiatique ont une hypersensibilité à la warfarine, l'anticoagulant le plus couramment utilisé aux USA, augmentant leur risque d'hémorragies à des doses thérapeutiques élevées.

Démêler les disparités raciales dans l'asthme

Lorsque E Burchard était résident en médecine interne à Boston dans les années 1990, un adolescent noir est mort d'une crise d'asthme à quelques « blocs » de la salle d'urgence où il exerçait. Les anti-asthmatiques à action rapide avaient échoué à lever la bronchoconstriction.

Burchard travaillait à l'époque sur un projet de recherche en génétique de l'asthme. Il a découvert une variante d'un  gène codant pour l'interleukine 4 prédictive d'asthme plus sévère chez les personnes blanches. Cette même variante du gène était 40 % plus fréquente chez les asthmatiques noirs que chez les blancs.

La prévalence de l'asthme chez les enfants portoricains et noirs aux États-Unis est le double de celle des enfants blancs. Les enfants mexicains-américains ont généralement beaucoup moins d'asthme, mais ceux qui en souffrent ont des formes plus graves.

Lorsque Burchard retourne à San Francisco, il établit des cohortes pour étudier comment les facteurs de risque génétiques et environnementaux associés à la race et à l'ethnicité influencent l'asthme chez les enfants noirs et latinos. Réalisant qu'il ne serait jamais en mesure de recruter un grand échantillon d'enfants des minorités à faible revenu à partir des centres de recherche universitaires et de référence, Burchard a établi un partenariat avec des cliniciens et des travailleurs de santé communautaires qui avaient déjà des liens étroits avec les patients. Ce qui a permis de constituer une cohorte de plus de 9 000 enfants souffrant d'asthme à travers les États-Unis, Porto Rico et au Mexique. Il s'agit de la plus grande étude gène-environnement de l'asthme chez les enfants des minorités aux États-Unis.

Parmi leurs conclusions, Burchard et ses collègues ont montré que près de la moitié des enfants noirs et les deux tiers des enfants portoricains avec un asthme modéré à grave ne répondent pas à l'albutérol, le médicament contre l'asthme le plus couramment prescrit. Ils ont également constaté que chez les latinos, avoir un pourcentage plus élevé d'ascendance africaine est associé à une probabilité plus élevée d'asthme, alors qu'une ascendance amérindienne apparaît protectrice.

Intégrer les gènes et l'environnement

N Thakur, médecin et épidémiologiste, veut trouver un moyen de mieux identifier les patients asthmatiques qui seraient les plus touchés par les expositions sociales et environnementales. Elle pense qu'il est devenu très clair que les maladies complexes comme l'asthme ne s'expliquent pas simplement par l'étude de la génétique ou de quelques déterminants sociaux. Le fardeau de l'asthme est plus élevé dans les communautés défavorisées sur le plan socioéconomique et la pollution de l'air est délétère. Mais les impacts du stress socio-économique et de l'exposition environnementale  peuvent varier selon les sous-groupes raciaux et ethniques.

Dans une étude de 2013, Thakur et ses collègues ont constaté que pour les enfants noirs, le risque d'asthme augmente avec la baisse du statut socio-économique. La tendance est inversée pour les enfants américano-mexicains (les plus pauvres sont moins susceptibles de souffrir d'asthme) ce qui peut en partie s'expliquer par l'acculturation, plus un groupe d'immigrants devient intégré à la culture américaine, plus il adopte des comportements moins sains, y compris de mauvaises habitudes alimentaires, le tabagisme, et plus l'allaitement maternel est réduit.

L'équipe de Thakur  examine comment la pauvreté interagit avec des marqueurs biologiques du stress chez les américains noirs pour mieux comprendre comment les facteurs de risque socio-économiques modifient le cours de l'asthme et développer des interventions ciblées.

Partout aux États-Unis le diabète et les maladies cardiaques sont les principaux facteurs de risque de maladie rénale chronique. Les études chez les Navajo dans le Sud-Ouest ont trouvé un facteur de risque supplémentaire pour ce groupe exposé pendant des décennies aux activités minières d'uranium et à de l'eau potable contaminée par des résidus miniers. Les interventions visant à réduire les expositions environnementales peuvent être plus appropriées que les médicaments hypotenseurs.  

D'autres études évalueront comment les expositions environnementales contribuent à l'obésité chez les femmes Latino, comment vivre dans des logements de mauvaise qualité affecte l'état de santé dans une cohorte noire, et les effets combinés de la pollution de l'air et de la pauvreté sur les résidents ruraux des Appalaches et dans la région urbaine de Baltimore.

Préjugés subtils

Des défis demeurent pour les chercheurs qui veulent répondre à des questions de santé au sein des populations minoritaires. Par exemple, alors que la loi de 1993 du NIH mandatait l'inclusion de minorités, il existe peu de moyens pour faire respecter les politiques d'inclusion.

Des préjugés raciaux invisibles interférent dans la prise de décision médicale et les processus de recherche, et influencent le recrutement. Même les scientifiques qui font partie des personnes les plus objectives au monde, sont sensibles aux préjugés subtils inconscients tels que les préjugés raciaux qui peuvent conduire à l'exclusion. Par exemple, médecins ou chercheurs sont moins susceptibles de proposer une certaine étude à des patients dont ils pensent qu'ils ne voudraient pas participer de toute façon. Ou alors, ils peuvent inconsciemment trop insister  sur des résultats négatifs  d'une étude avec un patient d'une minorité, au risque de le dissuader de participer.

Les préjugés raciaux subtils affectent aussi les décisions sur le financement de la recherche. Les chercheurs et les médecins issus de minorités sont plus susceptibles de se concentrer sur les disparités en matière de santé et les populations minoritaires et ont moins de chance de recevoir un financement fédéral pour leur recherche. Une analyse montre que les scientifiques blancs sont deux fois plus susceptibles que leurs homologues noirs de recevoir des subventions des NIH pour leurs recherches.

Ces résultats ont contribué à susciter une enquête du NIH  pour déterminer si les préjugés raciaux inconscients entravent les chercheurs issus de minorités pour recevoir des fonds et pour détecter et corriger les préjugés raciaux dans l’octroi de subventions.

Défis pour aborder la partialité institutionnelle

Lutter contre la partialité dans le processus d'octroi de subventions du gouvernement fédéral est essentiel pour réduire les disparités raciales parmi les chercheurs et les participants aux études.  Mais le biais involontaire est complexe et subtil, ce qui le rend difficile à éliminer rapidement.

La disparité de financement entre les candidats blancs et non-blancs est restée largement inchangée au cours des trois dernières décennies. En 2013, 23,3 % des candidats blancs pour certaines subventions des NIH ont reçu un financement par rapport à 19,3% des candidats non blancs.

Accroître la diversité des examinateurs de demandes de subvention peut être une solution. En 2013 seulement 10,9 % des examinateurs de demandes de subvention du NIH font partie des minorités.   Les délibérations de jury avec plus de diversité peuvent aboutir à des décisions plus réfléchies et mieux informées.

Ce changement est plus facile à dire qu'à faire. Les examinateurs sont choisis parmi les demandeurs auxquels une subvention a été octroyée. Si les chercheurs issus de minorités sont moins susceptibles d'obtenir des subventions, le problème est auto-entretenu.

Cependant, des initiatives telles que le NIH Early Career Reviewer Program, qui fournit des opportunités aux chercheurs en début de carrière d'intégrer des comités d'examen, pourraient aider à augmenter la représentation des minorités. Un tiers des chercheurs acceptés dans ce programme appartiennent à des groupes sous-représentés.

Bien qu'il n'y ait pas de solution miracle aux disparités dans le processus d'octroi de subventions du gouvernement fédéral, des changements facilement réalisables pourraient assurer la participation adéquate de minorités dans la recherche. Les solutions peuvent comprendre le positionnement des sites d'étude dans les zones avec des populations d'origine diverse, employant du personnel de recrutement avec lequel les participants peuvent communiquer dans leur propre langue, l'aide au transport pour les participants n'ayant pas accès au transport en commun, et la création de documents d'information culturellement adaptés sur la façon dont les données seront collectées et utilisées.

Etudier des populations diverses est un investissement rentable pour la science.

Dr Maryvonne Pierre-Nicolas

Référence
Konkel L. : Racial and Ethnic Disparities in Research Studies The Challenge of Creating More Diverse Cohorts. Environ Health Perspect., 2015; 123. DOI:10.1289/ehp.123-A297

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