Rapport de l’OMS sur les mesures anti-tabac : un filtre réellement pertinent ?

Genève, le mardi 1er août 2023 – Cela fait partie des grandes initiatives promues par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dont on ne sait pas toujours si elles réussiront à passer de la déclaration d’intention à la parole performative. En 2008, l’OMS lançait le programme MPOWER dédié à la lutte contre le tabagisme. MPOWER est une liste de six orientations phares contre le tabac, ayant fait la preuve de leur efficacité (à différents degrés), que l’ensemble des pays membres de l’OMS sont invités à appliquer : surveillance de la consommation, limitation de l’exposition au tabagisme passif, soutien au sevrage, campagne de prévention, respect des mesures d’interdiction de la publicité et taxation majeure.

Des cigarettes toujours plus chères, dans un nombre croissant de pays

Aujourd’hui, l’OMS affirme que grâce au déploiement de ces différentes politiques dans un nombre toujours plus important de pays, la prévalence du tabagisme est passée de 22,8 % en 2007 à 17 % en 2021. Sans cette impulsion, souligne encore l’agence onusienne, on pourrait compter actuellement 300 000 fumeurs supplémentaires ; même si un tel calcul est toujours quelque peu hasardeux.

Cependant, de fait, le nombre de pays qui ont adopté ces dernières années des politiques plus actives contre le tabac n’a fait que croître. Ainsi, en 2021, 71 % de la population mondiale vivait dans une région où a été mis en place au moins un des six programmes préconisés par l’OMS, soit 5,6 millions de personnes et cinq fois plus qu’en 2007.

Par exemple, concernant le prix (dont on sait qu’il est l’un des meilleurs si non le meilleur levier pour freiner le tabagisme), dans vingt-cinq pays seulement, les tarifs des cigarettes n'ont pas été modifiés, aussi demeurent-elles aussi abordables qu'il y a quinze ans. Et dans 64 autres, les cigarettes sont clairement bien plus chères qu’en 2007. Bien sûr, des efforts restent à faire, notamment en ce qui concerne l’interdiction de fumer dans les lieux publics, notamment quand on constate que dans 53 états, il n’y a pas de réglementation concernant le tabagisme dans les établissements de santé !

Pas de lois anti-tabac en Afrique… mais pas de fumeurs non plus !

Ce rapport donne inévitablement lieu à un classement et l’OMS salue donc Maurice et les Pays-Bas qui sont aujourd’hui au même niveau que le Brésil et la Turquie en ce qui concerne l’application des préconisations du programme MPOWER. Si les congratulations s’imposent, on soulignera que ces bons résultats en matière de réglementation ne sont pas un parfait reflet de la prévalence du tabagisme.

Ainsi, Maurice que l’OMS félicite d’être le premier pays d’Afrique à faire partie des leaders de MPOWER est également après l’Afrique du Sud l’état qui connaît la plus haute prévalence en matière de tabagisme, avec 16 % de fumeurs. Aussi, n’est-il pas impossible que la vigilance et la volonté politique des pouvoirs publics mauriciens s’expliquent par l’importance de cet enjeu de santé publique, quand la prévalence du tabagisme au Ghana, Liberia ou Niger ne dépasse pas 5 %.

Dans d’autres pays où les chiffres sont également bas, des doutes peuvent exister en raison d’un respect très faible de l’objectif d’une bonne surveillance de la consommation. La situation est un peu différente pour le Brésil. S’il ne fait pas partie des meilleurs élèves de la région américaine (avec une prévalence de 10 %, il dépasse le Canada, le Costa Rica, l’Equateur et d’autres pays qui connaissent un aussi bon système de surveillance), il connaît de meilleurs résultats que l’Argentine, le Chili ou encore les Etats-Unis.

Concernant les champions européens, la Turquie et les Pays-Bas, une observation similaire peut être faite, en particulier concernant la Turquie qui connaît une prévalence élevée de 26 % (dépassée par une poignée de pays seulement, dont la France) ; tandis que tout en faisant partie des meilleurs élèves, les Pays Bas avec une prévalence du tabagisme de 17 % n’égalent pas les performances des pays nordiques (Danemark 14 %, Suède 8 %, Islande 7 %). 

Ainsi, on le voit, les enseignements de ce classement et de ces comparaisons présentent quelques limites, notamment parce que la précision de l’évaluation des niveaux de consommation n’est pas la même partout et aussi parce que le tabagisme n’a pas le même poids sur la santé publique dans l’ensemble du monde (en Afrique, il existe de nombreux autres enjeux bien plus prégnants aujourd’hui). En outre, on peut se demander au vu du décalage qui peut parfois exister entre les prévalences affichées et le taux de conformité au programme MPOWER dans quelle mesure il n’existe pas d’autres leviers, non mesurés par les indicateurs de l’OMS, ayant au moins autant d’influence sur les comportements.

La France parmi les plus mauvais élèves en matière de tabagisme, mais pas si mauvaise côté MPOWER

Et la France ? Notre pays est un très mauvais élève en matière de tabagisme avec une prévalence qui stagne à un niveau élevé : 28 %. Seuls huit pays au monde présentent un taux plus élevé (tous à l’exception de l’Indonésie et de Kiribati situés en Europe). Pourtant, avec un niveau de taxe parmi les plus élevé au monde (83,8 %, seulement dépassé par quelques pays d’Europe) et une bonne application de l’ensemble des dispositifs MPOWER, la France pourrait facilement faire partie du haut du classement de l’OMS.

Là où des efforts seraient encore à réaliser selon le rapport ce serait notamment dans le domaine du soutien au sevrage (en dépit du remboursement des substituts nicotiniques) et du respect des interdictions de fumer. On sait d’ailleurs que le Centre national contre le tabagisme épingle régulièrement les infractions à la législation prohibant la publicité, par exemple chez les buralistes. Ainsi, qu’il s’agisse de suivre les préconisations de l’OMS ou au-delà de trouver une véritable politique performante, le chemin sera encore long dans notre pays. 

Aurélie Haroche

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