
Entrave à l’autonomie
De nombreuses associations engagées dans la défense des personnes handicapées et en faveur du respect des droits de l’homme militent de longue date pour que disparaisse la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH. Elles considèrent en effet que cette règle est une entrave à l’autonomie des bénéficiaires. « Ce mécanisme enfonce dans la pauvreté et la dépendance les personnes handicapées qui décident de se mettre en couple renforçant l’isolement auquel elles sont déjà plus confrontées que le reste de la population. Plus grave encore, cette dépendance vis-à-vis du ou de la partenaire nourrit et aggrave les situations de violences conjugales. La conjugalisation de l’AAH rendant les personnes handicapées financièrement dépendantes pour leurs dépenses personnelles et leurs soins, l’accès à l’argent devient à la fois un outil de pression et de chantage, et un obstacle à la mise en sécurité des personnes handicapées victimes de violences : sans argent personnel, il leur devient impossible de trouver un logement ou de payer un forfait téléphonique sans que leur partenaire ne soit au courant » énumère ainsi dans une pétition qui a récolté plus de 100 000 signatures un collectif d’associations dont font partie notamment l’Association des paralysés de France (APF) ou la Ligue des droits de l’homme.Solidarité familiale vs solidarité nationale
Fin 2019, Jeanine Dubié (Parti radical de gauche) déposait une proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale, dont la principale visait à « déconjugaliser l’AAH ». Le texte a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat. Cependant, lors du nouvel examen par les députés ce 17 juin, le gouvernement a demandé un vote bloqué, et le texte a été rejeté. Si le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet, s’est déclaré à « titre personnel » favorable à la mesure, le reste du gouvernement, Sophie Cluzel, ministre chargé des personnes handicapées en tête, s’y oppose. Parmi les différents arguments avancés depuis des semaines par cette dernière, la nécessité de préserver la solidarité familiale est le plus souvent répétée. « La solidarité nationale ne saurait être pensée en dehors de toute autre forme de solidarité. Parce que le foyer est la cellule protectrice de notre société, la solidarité nationale, qui est au cœur de l'ADN de notre pays, doit s'articuler avec les solidarités familiales. Parce que c'est le fondement même de notre système que d'assurer la juste redistribution de l'effort de solidarité vers ceux qui en ont le plus besoin, il est légitime de tenir compte de l'ensemble des ressources du foyer des bénéficiaires. Nous parlons donc bien ici de droit commun », avait ainsi déclaré en février Sophie Cluzel. Mais les associations défendant les personnes handicapées rappellent qu’il existe de nombreuses exceptions où la solidarité nationale s’émancipe du principe de subsidiarité : ainsi l’Allocation enfant handicapé est versée quel que soit le revenu des familles. Par ailleurs, les défenseurs de la déconjugalisation remarquent que le principe de solidarité ne vaut que pour les personnes mariées ou pacsées, alors que le calcul de l’AAH peut inclure les revenus du concubin… D’une manière globale, la Ligue des droits de l’homme résume dans un communiqué diffusé aujourd’hui : « Pendant le débat à l’Assemblée nationale, particulièrement houleux, la majorité a avancé des arguments tous plus fallacieux les uns que les autres : aucun système informatique ne pourrait mettre ce dispositif en place avant des années, l’individualisation remettrait en cause la solidarité conjugale. (…) Cette défaite est amère et scandaleuse, sur le fond comme sur la forme. La LDH dénonce le déni de démocratie que constitue le vote bloqué utilisé par la majorité LREM de l’Assemblée nationale. Le mépris du gouvernement pour les droits des personnes en situation de handicap n’a jamais été aussi patent et insultant ».Un nouveau plafond
Cependant, tout en refusant de mettre fin à la prise en compte des revenus du conjoint pour l’établissement du montant de l’AAH, les élus de la majorité ont proposé de remplacer l’abattement de 20 % appliqué aux revenus du couple pour déterminer la prestation, pour le remplacer par un plafond de 5 000 euros. Ainsi, c’est à partit de 1 520 euros net par mois et non plus de 1 020 que débuterait la réduction de l’AAH. Cependant, pour les associations, une telle mesure ne permettra pas de mettre fin à la dépendance financière de la personne handicapée. Aujourd’hui, le collectif d’associations espère que le retour du texte devant le Sénat à la rentrée lui permettra d’obtenir gain de cause.A.H.