
Paris, le vendredi 15 décembre 2023 – Selon l’avant-projet de loi sur la fin de vie consulté par Le Figaro, le gouvernement souhaiterait créer une « exception d’euthanasie ». Un projet qui suscite l’inquiétude chez de nombreux soignants.
L’aide active à mourir sera-t-elle légalisée durant le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron ? Il y a encore six mois, la réponse ne faisait guère de doute : la convention citoyenne sur la fin de vie avait rendu des conclusions favorables à la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie et le Président de la République avait chargé la ministre des Professionnels de santé Agnès Firmin Le Bodo d’élaborer rapidement un projet de loi pour le présenter avant la fin de l’été.
Mais depuis, les choses se sont enlisées : le projet de loi n’a toujours pas été présenté en Conseil des ministres (il ne le sera pas avant février) et ce mercredi, Agnès Firmin Le Bodo a indiqué qu’il faudra « au moins 18 mois de débats parlementaires » pour voter la loi. Si l’aide active à mourir venait à être légalisée dans notre pays, ce ne serait donc pas avant 2025 voire 2026.
Un médecin ou un infirmier pourra administrer la substance létale
Si l’adoption de cette réforme majeure, qui doit constituer la grande loi sociétale du second quinquennat d’Emmanuel Macron, est si difficile, c’est parce qu’il semble que le Président de la République éprouve les plus grandes difficultés à trancher sur certains points du texte. On le sait, le futur projet de loi doit contenir des dispositions portant sur les droits des patients, sur le renforcement des soins palliatifs (renommés « soins d’accompagnement ») et donc sur l’aide active à mourir.
S’il semble acquis que cette aide active à mourir sera réservée aux personnes majeures atteints d’une maladie grave et incurable, engageant le pronostic vital à court ou moyen terme et occasionnant de lourdes souffrances physiques (excluant ainsi les patients ne souffrant que de souffrances psychiques), une question fondamentale reste à trancher : celle de savoir si seul le suicide assisté doit être autorisé, ou si une « exception d’euthanasie » doit être créée pour les patients ne pouvant se donner la mort seul.
Selon l’avant-projet de loi que les journalistes du Figaro ont pu consulter ces derniers jours, il semble que le gouvernement ait tranché pour la seconde solution. L’exposé des motifs de l’avant-projet prévoit en effet que « l’administration de la substance mortelle est par principe réalisée par la personne elle-même » mais que « si la personne est en incapacité physique de s’auto-administrer la substance létale, un tiers peut la lui administrer ».
« Ce tiers peut être un médecin ou un infirmier » précise le texte. De manière quelque peu euphémistique, les articles du projet n’utilisent jamais les mots « suicide » ou « euthanasie ». « Le texte introduit une exception d’euthanasie sans la nommer » reconnait d’ailleurs l’exposé des motifs, « l’expression « aide active à mourir » a été privilégiée aux termes « suicide assisté » et « euthanasie ».
La SFAP vent debout contre une possible légalisation de l’euthanasie
De manière plus générale, on voit que, bien que certaines rumeurs aient indiqué qu’Emmanuel Macron s’intéressait au modèle de l’Oregon, Etat américain où les patients en fin de vie peuvent se voire prescrire un poison qu’ils sont libres d’ingérer quand ils le souhaitent, l’exécutif a finalement préféré s’inspirer du modèle belge. L’avant-projet de loi prévoit ainsi que, comme chez nos voisins d’outre-Quiévrain, les médecins seront présents à chaque étape du processus mortel : au moment de valider la demande de suicide du patient, mais également au moment de sa mort. Chaque suicide assisté devra ainsi se faire en présence d’un médecin, qui pourra « intervenir en cas d’incident lors de l’administration » selon un principe de « secourisme à l’envers » justifie le texte.
On le sait, permettre aux médecins de donner la mort à leurs patients constitue pour beaucoup de professionnels de santé une ligne rouge à ne pas franchir. Ces derniers mois, l’Ordre des médecins et l’Académie de Médecine s’étaient ainsi dit favorables à la légalisation d’une forme d’aide active à mourir, mais à condition que l’euthanasie ne soit jamais autorisée.
Ce jeudi, la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), mobilisée depuis plusieurs mois contre la légalisation de toute forme d’aide active à mourir, a immédiatement réagi à la diffusion de cet avant-projet de loi. « Il s’agit d’un texte indigent dont le caractère approximatif témoigne d’une grave méconnaissance de l’existant » fustigent les médecins, dans un communiqué cosigné par d’autres associations de soignants. « L’ensemble de ces dispositions vont à rebours des demandes adressées par les soignants » poursuivent-ils. « Sur la base de ce texte, le gouvernement doit être conscient qu’il n’y aura aucun accord avec les soignants ».
Le gouvernement semble donc d’être mis à dos une partie des soignants sur cette question, mais aussi des militants pour le droit à l’euthanasie, mécontents que l’adoption de cette réforme soit aussi lente. « Au mieux, la France n’aura pas de loi avant 2026 » s’est ainsi indigné ce mardi dans un communiqué l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), en réponse aux annonces d’Agnès Firmin Le Bodo.
Peut-être est on en train d’assister à un nouvel échec du « en même temps ».
Quentin Haroche