
Paris, le vendredi 26 octobre 2012 – Bien que le calendrier législatif ait été un peu retardé et que la loi dite sur « le mariage pour tous » ne devrait être examinée par l’Assemblée qu’au début 2013, le texte devrait être dûment présenté en conseil des ministres la semaine prochaine. Ce dévoilement du projet de loi sera sans doute l’occasion une nouvelle fois pour les partisans de l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples homosexuels féminins d’exprimer leur regret de ne pas voir ce sujet abordé dans le texte parallèlement aux questions du mariage et de l’adoption. Cependant, le Premier ministre et le Garde des Sceaux ont déjà indiqué qu’ils ne céderaient pas aux nombreuses critiques qui se sont exprimées dans ce sens ces dernières semaines, notamment dans leur propre camp et jusqu’au sein même du gouvernement. Néanmoins, la question devrait faire l’objet au cours du quinquennat d’un autre projet de loi, ce qui suscitera probablement un nouveau débat concernant l’opportunité de permettre aux homosexuelles d’avoir accès à la PMA.
Un verdict sans appel
Pour les professionnels de santé, celui-ci est déjà tranché. Interrogés par le JIM sur ce point entre le 4 et le 17 octobre, médecins, infirmiers et pharmaciens ont été une majorité claire (74 %) à se déclarer contre l’accès à la PMA pour les couples homosexuels féminins (sur 719 répondants). Ils ne sont ainsi que 22 % à indiquer y être favorables, tandis que 3 % ont semblé estimé le sujet trop complexe pour s’exprimer ainsi de façon aussi définitive.
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Sondage réalisé du 4 au 17 octobre auprès de 719 professionnels de santé internautes |
Un rejet plus large de l’homoparentalité
Si le résultat est univoque, les raisons de ce rejet massif d’une mesure qui est pourtant appliquée depuis plusieurs années dans nombre de pays d’Europe (dont certains d’ailleurs accueillent régulièrement des femmes françaises) pourraient être multiples. D’abord, il est plus que probable que cette opposition à l’accès des femmes homosexuelles à la PMA peut être simplement la conséquence d’un rejet plus large du mariage homosexuel ou de l’homoparentalité. De fait, nombre de praticiens pourraient ne pas être totalement convaincus par les résultats apparemment rassurants d’études menées à l’étranger affirmant l’absence de répercussions psychologiques sur les enfants du fait d’avoir été élevé par deux hommes ou deux femmes. Sans doute, s’inquiètent-il des biais inhérents à certains de ces travaux (conduits parmi des militants), voire refusent en dépit de conclusions positives de renoncer à une conception « classique », « instinctive » de la famille.
L’étrange objet du désir
Mais ce refus concernant la PMA, pourrait être également isolé de la question globale de l’homoparentalité. Nous avons déjà signalé comment certains experts dissocient clairement la question de l’adoption d’enfants par des couples homosexuels de la PMA. Ces psychiatres et psychanalystes mettent en avant le fait que « l’homoparentalité procréative » pose des questions très différentes. « On fait croire à un enfant qu’il est le produit du désir sexué et sexuel de deux hommes et de deux femmes, mais que pour des raisons de « nature » on a eu recours à un tiers (…). On nous dit que la vérité sera dite à l’enfant. Mais quelle vérité ? Ce n’est pas celle de la mécanique qui l’intéresse, c’est celle du désir qui a présidé sa venue au monde » analysait ainsi Jean-Pierre Winter il y a quelques années dans les colonnes du site « Psychologies.com ».
L’homosexualité : une prison ?
Enfin, plus qu’un message à l’encontre des femmes homosexuelles et de leur souhait de fonder une famille, cette réticence pourrait aussi marquer la volonté de protéger le statut de la PMA. Ces techniques en effet sont depuis toujours réservées au traitement d’infertilités « pathologiques » ou destinées à empêcher la « transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une gravité particulière » rappelle l’article L. 2141-2 du Code de santé publique, plaçant la PMA dans un cadre strictement médical et non social. Néanmoins, on ne pourra oublier qu’avant même que soit soulevée la question de l’homoparentalité, il existait au moins une exception à cette règle : le cas des prisonniers qui depuis une loi de 1991 peuvent avoir accès à la PMA pour « pallier » les difficultés de procréation inhérentes à l’incarcération. Cette particularité a d’ailleurs souvent été critiquée (lire sur ce sujet notre article à paraître demain).
Faire l’économie d’un débat
Ce n’est peut-être pas seulement la défense du « principe » de la PMA qui est en cause, mais également les évolutions que pourraient favoriser l’accès à la PMA des homosexuelles qui inquiètent les médecins. Certains ainsi redoutent à cet égard que l’autorisation accordée aux femmes homosexuelles de bénéficier de ces techniques ne puisse relancer, au nom de l’égalité entre hommes et femmes, les controverses sur la gestation pour autrui (auxquels les professionnels de santé sont comme l’ont montré de précédents sondages sur JIM très majoritairement opposés).
Enfin, avant même toutes ces considérations juridiques, sociales, psychologiques et éthiques , l’enjeu pour les praticiens est peut-être aussi économique. Ils préfèrent en effet peut-être dire non à l’accès à la PMA aux femmes homosexuelles plutôt que de devoir se pencher sur la question épineuse de la prise en charge de ces techniques par la collectivité !
Illustration : Gustave Courbet, Les deux amies, 1866, Musée du petit palais
Aurélie Haroche