
Paris, le jeudi 19 mars 2015 – Eclipsées par les controverses autour des dispositions sur l’organisation des soins, de nombreuses mesures du projet de loi de santé de Marisol Touraine concernent plus directement la santé publique. Ces dernières ont été l’objet de discussions souvent vives au cours de l’examen du texte par la Commission des Affaires sociales ces derniers jours, où l’on a pu observer que le souci de la santé publique n’était pas toujours le premier moteur des critiques et remarques de l’opposition, même si cette dernière a parfois contribué de manière plus positive au débat.
Avertissements concernant l’alcool : varier les plaisirs
Ainsi, concernant la lutte contre la consommation d’alcool excessive, les élus UMP n’ont pas été aussi nombreux que par le passé (mais les choses seront sans doute différentes en séance plénière) à revêtir leurs traditionnelles casaques de défenseurs des viticulteurs. Les discussions portant sur un amendement visant à permettre d’adapter l’avertissement concernant les dangers de la consommation de l’alcool se sont ainsi déroulées plutôt sereinement. Aujourd’hui, l’immuable : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé » est gravé dans le marbre du code de santé public. Ce caractère législatif empêche sa modulation ; aussi, un texte déposé par le rapporteur du projet Olivier Véran et adopté en commission vise à permettre plus de souplesse. En pratique, un arrêté devra lister les différents messages pouvant être utilisés. « Leur alternance et leur diversité sera le gage de leur efficacité dans le temps » a défendu Olivier Véran. Bien sûr, cette évolution n’est guère appréciée des viticulteurs qui redoutent des lendemains difficiles si les nouveaux avertissements se révélaient plus mordants que le message actuel. Mais plutôt que d’insister sur ces craintes, les élus UMP ont plutôt voulu ajouter leur pierre à l’édifice de la lutte contre la consommation excessive d’alcool. Ainsi a été adopté un texte porté par un élu UMP rendant obligatoire et non plus facultatif le contrôle de l’âge des acheteurs de boissons alcoolisées.
Michèle Delaunay fait un tabac
Les députés de la droite se sont montrés moins sages et moins constructifs en ce qui concerne le tabac. Les critiques contre le programme du gouvernement en la matière sont nombreuses : beaucoup parmi les spécialistes s’interrogent notamment sur la réelle efficacité de la mesure présentée comme phare, soit l’instauration du paquet neutre (adoptée par la commission et qui pourrait être effective à la mi 2016). Sur ce point, l’affirmation du ministre de la Santé selon laquelle l’adoption de la mesure en Australie a permis d’obtenir des résultats « significatifs » est on le sait sujette à caution. Certains élus se sont fait écho de ces doutes, tel Dominique Tian qui a considéré que le paquet neutre ne serait en rien une réponse à « l’échec français » contre le tabagisme et a dénoncé un « marketing sanitaire ». Mais l’essentiel de l’opposition des députés UMP a consisté en une défense des buralistes et en une plaidoirie pour ne pas aller plus loin que la directive européenne qui préconise de faire figurer des avertissements sanitaires sur 65 % du paquet. Des arguments très proches de ceux défendus depuis plusieurs semaines par les industriels et les buralistes, qui n’ont pas échappé à l’ironie des élus de gauche. Le rapporteur du texte s’est ainsi étonné de « la vigueur avec laquelle l’opposition lutte de toutes ses forces contre le plan tabac ». Cette « vigueur » n’aura de toute manière pas contribué au rejet de l’amendement, pas plus que l’hostilité affichée contre l’interdiction de fumer en voiture quand un enfant est à bord, mesure jugée comme allant contre les libertés individuelles par certains élus de droite, n’aura empêché l’adoption de cette disposition. Au menu des mesures contre le tabac ont également été adoptées plus sereinement l’interdiction pourtant très controversée de vapoter en public et de la publicité pour la cigarette électronique à partir de mai 2016. On retiendra enfin que les insuffisances du programme du gouvernement contre le tabac ont été constatées dans les rangs de la gauche : Michèle Delaunay aura d’ailleurs déposé pas moins de 16 amendements. Certaines propositions de l’ancien ministre aux Personnes âgées et cancérologue ont retenu l’attention, telle celle d’instaurer un principe de transparence sur les actions de lobbying des industriels du tabac (sur le modèle de ce qui existe désormais pour les rapports entre l’industrie pharmaceutique et les médecins). Concernant sa suggestion de rendre obligatoire la présentation d’une carte d’identité pour acheter du tabac, elle a annoncé qu’elle retravaillait son amendement, qui devrait être présenté en séance plénière.
IVG : pas touche à la clause de conscience
Si les discussions autour du tabac et de l’alcool ont été les plus longues et les plus vives, d’autres sujets de santé publique ont été étudiés. Plusieurs amendements concernant l’accès à la contraception et à l’IVG ont été adoptés : désormais les infirmiers scolaires pourront administrer une contraception d’urgence même en cas de centre de planification proche. Surtout, un texte a été adopté visant à supprimer le délai de réflexion d’une semaine obligatoire entre les deux consultations préalables à une IVG. A contrario, l’amendement qui proposait de bannir la clause de conscience spécifique à l’avortement a été repoussé, sur avis du gouvernement. Le ministre a refusé de s’engager sur un terrain susceptible de « ranimer un débat éminemment symbolique dans un contexte de tensions sur un certain nombre de sujets de société ». Elle n’ignore pas par ailleurs que certains professionnels de santé ont exprimé des réserves sérieuses quant à un tel projet, et notamment l’Ordre national des sages femmes.
Mannequins trop maigres : l’amendement d’Olivier Véran ne séduit pas une assez grosse partie des députés
Enfin, annoncée à grand renfort de médiatisation en ce début de semaine, la proposition d’Olivier Véran visant à imposer aux agences de mode de fournir un certificat médical attestant que l’IMC de leurs mannequins dépassait un certain seuil a finalement été retoquée. Beaucoup, dans les rangs de la gauche comme de la droite, ont en effet fait remarquer qu’une telle démarche pouvait être assimilée à une discrimination à l’embauche (difficile en effet de déterminer dans quelle mesure un IMC très peu élevé est le résultat de troubles alimentaires ou d’une disposition naturelle à la minceur…). Le texte visant à créer un délit d’incitation à l’anorexie a pour sa part été retenu. L’examen du projet de loi par la commission des affaires sociales se poursuit aujourd’hui, tandis que le texte arrivera dans l’hémicycle le 31 mars.
Aurélie Haroche