
Paris, le samedi 13 octobre 2012 – Il y a des promenades qui vous réservent plus de surprises que d’autres. On a beau connaître ces rues de Paris par cœur, parce qu’elles abritent les lieux où vous travaillez depuis toujours (l’Ecole normale supérieure que vous avez choisie en 1963 plutôt que Polytechnique où vous étiez pourtant également reçu major !), le Collège de France dont vous êtes l’administrateur ou encore le lycée Louis le Grand où vous vous êtes passionné pour les mathématiques et la physique, il est probable que « ce » petit banc d’une rue parisienne a désormais une place aussi importante dans votre panthéon lutécien que les monuments susnommés.
C’est en effet lui qui fut votre secours quand votre téléphone laissa s’afficher un matin d’octobre, le 9, jour de l’annonce du lauréat du Prix Nobel de physique, l’indicatif 46. Celui de la Suède.
De l’étudiant de 1963 au Prix Nobel
L’anecdote racontée par Serge Haroche a été reprise à l’envi par les médias ces derniers jours. Elle a permis aux journalistes de mettre en lumière le chercheur - hier encore inconnu du grand public - plus facilement qu’en tentant d’expliquer la teneur complexe de la capture d'un photon qui lui a valu de recevoir la si prestigieuse distinction.
De même, de nombreux sites internet se sont plu à diffuser la première apparition télévisée du physicien, un jour de 1963, alors qu’il venait d’être reçu à l’Ecole normale. C’est ainsi que beaucoup se sont plus certainement passionnés pour les réponses données par le brillant étudiant ayant attrait au physique des jeunes filles, qu’à la physique tout court.
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Serge Haroche, étudiant et Prix Nobel à la fois. |
Curiosité pure
Ce reportage est pourtant un miroir assez fidèle de ce qu’est depuis toujours la vie de Serge Haroche : une existence consacrée à la recherche fondamentale. Il n’a d’ailleurs cessé de le répéter depuis que le Prix Nobel lui a été décerné. Il a notamment à plusieurs reprises insisté sur le fait que la raison première de ses travaux ne résidait pas en d’éventuelles applications mais était d’abord animée par la volonté de « comprendre le monde qui nous entoure ». « La recherche fondamentale (…) ne sert à rien d’immédiat. Elle est fondée sur de la curiosité pure » rappelle-t-il ce jeudi 11 octobre aux internautes du Monde qui l’interrogent.
De la physique à la biologie ou comment tenter de justifier la rédaction d’un article
Mais pourtant, outre les « lointains » ordinateurs quantiques, n’existe-t-il pas de possibles « retombées » médicales à la « capture » des photons, qui pourraient justifier la présence de cet article dans ces colonnes (s’il n’était inspiré par une forme de népotisme inversé* !) ? Interrogé sur ce point par le JIM, le chercheur affirme qu’il n’entrevoit aucune application médicale à ses travaux. Aux lecteurs du Monde, qui l’interrogent sur la possibilité de transposer ses recherches dans le domaine de la biologie, il précise : « En ce qui concerne mes recherches personnelles, je ne crois pas, car nous travaillons avec des systèmes très froids et protégés de leur environnement, alors que la vie se développe dans un milieu tiède, dans lequel le couplage à l'environnement joue un rôle essentiel. Donc les conditions de notre physique sont très différentes des conditions de la vie. Néanmoins, certains de mes collègues ont développé, grâce à la physique, des outils qui permettent d'étudier la cellule et le vivant. Je pense en particulier à Steve Chu, qui a partagé le prix Nobel avec mon collègue Claude Cohen-Tannoudji. Il a montré que des lasers pouvaient servir à piéger et à manipuler les atomes, et il a ensuite étendu ses expériences à la manipulation de cellules et de brins d'ADN, montrant ainsi que des outils issus de la physique pouvaient servir à la biologie ».
Et la lumière fut !
Demeure néanmoins un message plus large porté par Serge Haroche
qui plus certainement peut « s’appliquer » à toutes les sciences y
compris biologiques et médicales. Il rappelle en effet depuis
toujours l’importance de la recherche fondamentale et la nécessité
pour tous les pouvoirs publics de ne pas sous estimer son extrême
nécessité. « On a demandé à une certaine période de plus en
plus aux chercheurs de motiver leurs recherches par des
applications potentielles. Il ne faut pas pousser cette dérive trop
loin, car cela se fait au détriment de l'esprit de la recherche
fondamentale, qui doit être motivée par la curiosité intellectuelle
pure. Il faut donc trouver un équilibre entre le support que l'on
donne à la recherche fondamentale désintéressée et les crédits
donnés à la recherche appliquée.
Positionner le curseur entre ces deux aspects de la
recherche est essentiel. Il faut toujours garder à l'esprit
l'importance de la recherche fondamentale, qui constitue le socle
sur lequel tout le reste est possible » a-t-il expliqué aux
internautes du Monde.
Et la lumière fut : un sens a été donné à cet article.
*Népotisme inversé : si le népotisme est la préférence accordée par certains papes et cardinaux à leurs neveux, le népotisme inversé pourrait être la « préférence » donnée par une nièce à son oncle. L’intéressé, passionné de Renaissance italienne, ne reniera sans doute pas ce miroir. Quant aux autres, comprenne qui voudra.
Aurélie Haroche