
Paris, le mercredi 1er juillet 2015 – Dans le monde entier, la récidive interroge les pouvoirs publics et les autorités judiciaires. Chez les sujets souffrant de toxicomanie ou d’alcoolisme, certains considèrent qu’un traitement de leur addiction pourrait permettre de freiner, voire d’éliminer leurs comportements délictuels, souvent liés à leur pathologie, quand l’emprisonnement favorise au contraire souvent l’enfermement dans la maladie. Face à ce constat, des « tribunaux de traitement de la toxicomanie » ont été mis en place dans les années 90 au Canada tandis qu'on constatait une augmentation « des infractions liées aux dogues dans les années 1980 », comme l’indique un rapport publié en 2012 sur le site de la Sécurité publique canadienne. Le principe de ces tribunaux est d’éviter l’incarcération aux délinquants non violents, souffrant d’une addiction et de les intégrer dans des programmes de traitement (sous la surveillance des instances judiciaires). Aujourd’hui, ces dispositifs ont gagné plusieurs pays occidentaux, selon ce rapport Canadien, on en comptait 3 000 aux Etats-Unis ainsi qu'au Canada, au Royaume-Uni et en Australie.
Traitement intensif pendant un an
Longtemps après ces pays pionniers, la France se penche aujourd’hui sur ces dispositifs. Au risque d’être une nouvelle fois critiquée par une certaine partie de la droite pour sa politique pénale qui ne serait pas assez répressive, le garde des Sceaux Christiane Taubira a en effet inauguré hier une expérimentation débutée il y a quelques semaines au tribunal de Bobigny. Pendant deux ans, entre une quarantaine et cinquantaine de délinquants récidivistes (mais non violents), souffrant de toxicomanie et/ou d’alcoolisme se verront offrir (après deux évaluations) la possibilité de voir leur peine ajournée s’ils acceptent de participer à un programme de soins intensifs. Cinq heures d’activités et de soins devront être suivies cinq jours par semaine pendant un an, tandis qu’un contrôle judiciaire strict sera également mis en place. « La prise en charge se fera en trois étapes. D’abord, on aide la personne à récupérer ses capacités cognitives. Ensuite on traite l’addiction. Enfin, on l’aide à se réinsérer socialement et professionnellement » a expliqué le psychologue Jean-Pierre Couteron qui participe au programme, cité dans les colonnes du Figaro. Pour l’heure six personnes ont expérimenté le dispositif, dont une l’a abandonné. Au bout d’un an, en cas de succès du programme, la peine pourra être annulée (bien que la culpabilité soit reconnue).
Pas tout à fait une solution miracle
« L'incarcération a été une solution facile et lâche pendant des années. Le résultat, c'est un taux de récidive qui a triplé en dix ans et une surpopulation carcérale » a fait remarquer le ministre de la Justice se félicitant du lancement de cette « grande innovation ». Au-delà de ces déclarations forcément très positives, les évaluations conduites outre-Atlantique permettent difficilement de jauger l’efficacité de ces programmes, en ce qui concerne le taux de récidive ou de rechute. Sur le site de la Sécurité publique canadienne, le rapport de 2012 observe que sur 96 études conduites sur les tribunaux de traitement de la toxicomanie, seules 25 présentaient une « méthodologie acceptable ». Sur la base de ces travaux, on peut considérer que ces dispositifs permettent une diminution modérée de la récidive, autour de 8 %, voire « 4 % si on éliminait les études considérées comme ‘faibles’ ». Des résultats un peu décevants qui pourraient contribuer à amoindrir l’enthousiasme du ministre de la Justice et qui en tout état de cause ne permettent pas de considérer cette solution comme miraculeuse. Néanmoins, elle a le mérite d’offrir aux juges une alternative « différente, nouvelle et vraiment opportune quand on a l'impression d'avoir déjà tout essayé » remarque Rémy Heitz, président du TGI de Bobigny.
Aurélie Haroche