
Paris, le samedi 14 décembre 2013 - Petit retour en arrière. En septembre 2012, le Nouvel Observateur crée l'événement en proposant une "Une" au titre pour le moins inquiétant : « Oui, les OGM sont des poisons ». Pour appuyer cette affirmation tonitruante, le Nouvel Observateur reprend les résultats d'un chercheur de Caen, Gilles-Éric Séralini, dont il livre la teneur en exclusivité.
En résumé : on découvre que l'ingestion de mais transgénique MON 810 provoque chez les rats une véritable hécatombe ! Mais très vite, les critiques contre l'étude de Gilles-Éric Séralini publiée dans Food and Chemical Toxicology abondent. Agences sanitaires, académies, groupes de chercheurs : les voix sont quasiment unanimes pour dénoncer les très nombreux biais de l'étude. Bien que Gilles-Éric Séralini se refusa à admettre que la démonstration de la dangerosité des OGM n'était nullement faite (et notamment pas par son étude), le bruit autour de cette affaire s'amenuisa peu à peu. Mais fin novembre 2013, « coup de théâtre », observe le journaliste Sylvestre Huet auteur du blog Science au carré hébergé par Libération, la revue Food and Chemical Toxicology annonce sa décision de retirer l’article (après le refus de Gilles-Eric Séralini sollicité en ce sens par la revue de se rétracter de lui-même). Les multiples enjeux soulevés par cette affaire, concernant notamment la qualité de l'information scientifique et le poids des « conflits d'intérêt » se trouvent du même coup de nouveau convoqués. En effet bien qu'il n'ait nullement soutenu Gilles-Éric Séralini, Sylvestre Huet et d'autres avec lui s'interrogent sur les conditions de retrait de cet article.
« Inconclusif », une raison pas très concluante
Dans une lettre expliquant sa décision à Séralini, le rédacteur en chef de la revue indique en effet que les vérifications réalisées à la suite de la polémique née après la publication n’ont pas mis en évidence « de fraude contrairement à des allégations de certains détracteurs de Séralini. Ensuite qu'il n'y a pas non plus d'erreurs de calculs. L'Editor précise également qu'il n'y a pas de "mauvaise présentation" (misrepresentation) des données, un vocabulaire ambigu, car l'un des défauts de l'article de Séralini est justement que le texte de l'article présente de manière étrange les données, en passant sous silence celles qui contredisent les conclusions » résume Sylvestre Huet. Ces défauts écartés, pour quelle raison le rédacteur en chef a tout de même choisi de procéder au retrait de l’article ? « In fine, l'Editeur en chef en chef annonce à Séralini que son article est retiré parce qu'il est "inconclusif". Cette raison pourra sembler peu convaincante, car elle ne fait pas partie des causes de rétractation listées dans les guidelines de la revue. Il serait facile de trouver de nombreux articles dont les conclusions n'ont pas été confirmées et qui auraient pu avoir le même sort » observe Sylvestre Huet.
Des dizaines d’articles devraient être pareillement retirés en invoquant les mêmes arguments
Une analyse proche est développée par le docteur Hervé Maisonneuve sur son blog consacré à l’édition scientifique. « Cette décision est justifiée par la revue car les méthodes étaient 'flawed'...A Wallace Hayes (le rédacteur en chef NDLR) s'explique dans une lettre postée le 10 décembre 2013 sur le site de ELSEVIER. Il y a controverse : peut-on rétracter un article sur cet argument ? Les recommandations disent que les rétractations sont pour fraudes ou erreurs (…). Nous connaissons tous des articles publiés, avec de très mauvaises méthodes.... Par exemple, il faudrait d'urgence rétracter l'article "Infant swimming in chlorinated pools and the risks of broncholitis, asthma and allergy". Non seulement, les méthodes sont aussi mauvaises que celle de GE Séralini et ne permettent pas de prouver quelque chose, mais le titre est trompeur ; la presse a affolé inutilement les parents de bébés nageurs... voir L'Express titrant "Les bébés nageurs plus sujets aux bronchiolites". Vous trouverez cet exemple, et bien d'autres, dans l'excellent ouvrage d'Alfredo Morabia » indique Hervé Maisonneuve mettant en lumière que les cas de médiatisation sans nuance d’articles aux conclusions biaisées ne sont pas rares.
Une pression efficace
Dès lors, face à l’imprécision des raisons invoquées et à l’absence de retrait d’articles aux biais aussi nombreux que celui de Gilles-Eric Séralini, peut-on suspecter une influence d’une part des critiques formulées sur l’article (l'Editor ne cache pas avoir reçu de nombreuses lettres) et d’autre part des industriels. Telle est en tout cas la piste développée par les deux blogueurs. « Il est évident que la pression exercée par les scientifiques mobilisés de leur propre chef ou par l'industriel a joué. Ce groupe très actif voulait la peau de ce papier, il l'a eue », résume Sylvestre Huet.
Plutôt que de le retirer, il aurait fallu ne pas le publier
Forts de cette analyse, les deux blogueurs divergent quant à ce que ce retrait révèle. Sylvestre Huet se lance sur une dissertation sur la question de l’indépendance de la science et sur les erreurs commises par Gilles-Eric Séralini. Hervé Maisonneuve de son côté note que le retrait de l’article invite de nouveau à s’interroger sur les failles existant dans le processus d’acceptation des études par Food and Chemical Toxicology. « N'aurait-il pas été judicieux de refuser d'emblée l'article plutôt que de le publier... et c'est là que l'on est gêné : qui a reviewé l'article ? Ce serait un proche de GE Séralini. Pourquoi, ne pas donner les noms des reviewers et publier leurs analyses : ceci est une pratique commune pour les articles du groupe BioMedCentral. (…) Cette rétractation fait aussi discuter la pratique dite du 'post-publication peer-review' : est-ce souhaitable d'évaluer ainsi les articles publiés ? » s’interroge-t-il.
Histoire sans fin
On le voit, plutôt que de mettre un terme définitif à l’affaire,
la décision de retrait de l’article relance au contraire les
nombreux débats soulevés lors de sa publication. Le titre du post
de Sylvestre Huet le signale d’ailleurs en annonçant : « OGM :
l’affaire Séralini, suite et fin et suite ». Les
développements des deux blogueurs ne manquent en tout cas pas de
pertinence et d’intérêts. Sylvestre Huet nous offre notamment des
réflexions complexes sur la nécessité de développer « une
toxicologie scientifique pour conduire des recherches dont l'un des
résultats peut être la mise en cause des normes de la toxicologique
réglementaire ».
A lire sur
http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/12/ogm-larticle-de-g-e-s%C3%A9ralini-r%C3%A9tract%C3%A9.html
et
http://www.h2mw.eu/redactionmedicale/2013/12/larticle-ogm-s%C3%A9ralini-a-bien-%C3%A9t%C3%A9-r%C3%A9tract%C3%A9-car-les-m%C3%A9thodes-%C3%A9taient-imparfaites-mais-la-r%C3%A9daction-a-mal-fait-son-t.html.
Aurélie Haroche